Les rêves d’Ima, Ghislaine Roman

 Les rêves d’Ima
Ghislaine Roman, Ill. Bertrand Dubois,
Cipango, 2020.

 

 Comment apprivoiser son imaginaire

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Ima née dans une famille d’artisans près du lac Titicaca au Pérou est une petite fille heureuse et sage. Mais un jour, elle devient triste et pâle, à ses parents inquiets, elle explique que ses nuits sont peuplées de cauchemars effrayants.

Sa tante pense que si elle apprend à tisser, elle sera apaisée, elle devient une bonne tisserande mais ses cauchemars demeurent, Luis, son frère lui apprend à reconnaitre les pierres précieuses et à en faire des bijoux, son oncle lui apprend la poterie, mais sa santé ne s’améliore pas, elle est toujours dévorée par ses cauchemars.  Un vieil Indien consulté lui offre un bateau-piège à rêves, elle le place près de son lit et le piège fonctionne, elle ne rêve plus, elle va ensuite, suivant ses conseils,  enterrer le petit bateau-piège dans un champ de pommes de terre.

Mais dans le même temps, les artisans du village constatent que leurs productions ont perdu leur couleur, leur fantaisie, « la joie de leur art les avait quittés ». D’ailleurs, le commerçant venu de Cusco  les leur refuse. Ima comprend que leur inspiration a disparu, elle court déterrer le piège à rêves.

Mais désormais elle sait comment les apprivoiser, elle achète un cahier et, toutes les nuits, elle couche ses cauchemars et ses visions sur le papier dans le cahier et ils deviennent des histoires extraordinaires.

Une belle parabole sur la force et la violence des rêves qu’il faut savoir accepter et apprivoiser.  Qu’ils viennent de notre culture ancestrale, de notre inconscient, il ne faut pas en avoir peur, ils sont une richesse et en particulier pour les artistes, ils sont la source où ils puisent.

Les illustrations de Bertrand Dubois sont chatoyantes et leur mélange de réalisme et de fantastique, sur fond de paysages andins, de lac, de villages de roseaux, sont, elles aussi, une invitation aux rêves et au voyage.

 

 

Ours à New York

Ours à New York
Gaya Wisniewski
MeMo 2020

Retrouver ses rêves d’enfant

Par Michel Driol

Métro, boulot, dodo : voilà à quoi se résume la vie monotone d’Aleksander, à New York. Transparent, invisible parmi les invisibles, jusqu’au jour où il rencontre Ours, celui qu’il dessinait quand il était enfant. Philosophe, gourou, Ours l’interroge sur ce qu’est devenue sa vie, essaie de lui permettre de (re)prendre sa place dans le monde. Avec l’aide de Foxi, le vieux doudou d’Aleksander, il parvient à le faire réfléchir sur sa vie et à en changer le cours.

La littérature de jeunesse réussie sait s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux adultes, quitte à transmettre un double message. C’est le cas de cet album, dont la réception se fera bien évidemment en fonction de l’âge du lecteur. Pour les enfants, on a affaire à une belle histoire merveilleuse dans laquelle les jouets prennent vie, parlent, et rencontrent leurs propriétaires devenus adultes. Comme la preuve de la permanence d’un attachement, ils jouent pleinement le rôle d’objets transitionnels, rassurants, dans la jungle du monde. Ils y seront aussi sensibles à cette quête de tous les « petits riens » qui font grandir. Le lecteur adulte s’y interrogera forcément sur sa vie, sur ce qu’il a perdu de la magie de l’enfance, de ses espoirs et de ses rêves, et ces « petits riens » (représentés ici par un ours gigantesque, quand même !) qui peuvent l’inciter à changer le cours des choses. C’est cette question de la permanence de l’identité, de l’être, que questionne finement cet album. Il nous fallut bien du talent, chantait Brel, pour être vieux sans être adulte. Voilà un album qui incite à retrouver l’enfant en soi pour échapper à la grisaille du monde.

Le texte sait se mettre à la portée des enfants, faisant la part belle au dialogue, dans une langue simple et suggestive, qui pose peut-être plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, laissant du coup chacun libre d’y répondre. Les illustrations sont un noir et blanc magnifique, dans lesquelles s’opposent les courbes d’Ours à la géométrie de la ville aux lignes verticales et horizontales. Jusqu’à ce qu’à la fin les courbes s’imposent dans la fête foraine et la pomme d’amour que mange Ours. Il faut enfin saluer la réalisation extrêmement soignée de l’album, la qualité de la quadrichromie pour un album en noir et blanc, qui fait ressortir la finesse du trait et les nuances de gris.

Un album sensible et métaphorique, pour évoquer le contraste entre la vie étriquée d’adulte et la splendeur des rêves enfantins.

La Forêt d’Alexandre

La Forêt d’Alexandre
Rascal
A pas de loups 2017

Etre un glaneur de rêves (Patti Smith)

Par Michel Driol

Comptable de profession, Alexandre rêve de planter un arbre dans un terrain aride. Si tous le prennent pour un fou, Alexandre persévère et voit grandir son arbre, à force de soins et d’attentions. Alexandre n’est plus, mais son arbre est toujours là, dans une forêt qui porte son nom désormais car son exemple a été suivi.

On pense bien sûr au Giono de L’Homme qui plantait des arbres.  Mais, à la différence d’Elzéard Bouffier, Alexandre ne plante qu’un arbre. Le texte, plein de sobriété, prend son temps pour raconter cette histoire d’amitié entre un homme et un arbre en jouant d’une vaste gamme de temps du passé, depuis le plus que parfait jusqu’à l’imparfait et au passé simple, qui installent avec poésie la narration dans la durée, alors que la fin au présent ouvre sur le monde actuel.  Ainsi la vie avance petit à petit, le rêve devient réalité, et l’arbre se métamorphose en abri, en rendez-vous pour les amoureux, ou en terrain de jeu pour les enfants, au point que l’arbre est un témoignage d’une foi et d’une action et qu’il survit à son « créateur ». Les illustrations, pleines de douceur dans leurs teintes pastel semblent pour nombre d’entre elles inclure une texture d’écorce. Elles évoquent sans doute aucun Magritte : silhouettes, pipe, tendance au surréalisme comme cette pelle dont le manche est un arbre… Elles introduisent dans l’univers poétique du rêve où tout devient possible et ouvrent à un autre monde possible.

Un bel album qui parlera à certains d’écologie et de la nécessité de replanter des forêts, et qui dira à d’autres qu’il faut réaliser ses rêves, quoi qu’on puisse en penser autour de soi.

 

Demain les rêves

Demain les rêves
Thierry Cazals / Daria Petrilli
Møtus 2015

Faire face à la crise

Par Michel Driol

Agathe est une petite fille qui, depuis la mort de ses parents, vit avec son Oncle Jean dans un monde en crise. Les signes de la crise ont bien là : usines qui ferment, arbres qui n’ont plus la force de faire pousser des feuilles, adultes qui jouent à la dinette faute d’avoir de vrais repas, l’oncle Jean qui perd son emploi. Il imagine des tas de métiers sans avenir : dompteur de papillons, facteur qui refuse les lettres de licenciement ou les factures… Mais la crise gagne… Alors Agathe sort à la rencontre des autres : un homme et une femme qui hurlent et griffent les murs, puis un garçon qu’elle embrasse. Avec ce garçon et Oncle Jean, il feront une équipe de choc pour devenir écouteurs de rêves et faire renaitre les jeux, la vie, l’espoir.

Voilà un album magnifique, qui ne cherche pas expliquer rationnellement la crise, mais à donner l’espoir. Tous les enfants entendent aujourd’hui parler de la crise. La voilà personnifiée, puissance maléfique qui a volé à Agathe ses parents et désespéré le monde entier, humains comme végétaux. Aura-t-elle le dernier mot ? Comme dans les contes, on croit un instant que le mal va l’emporter. L’imagination seule ne suffit pas à s’en tirer : Oncle Jean a beau inventer des métiers poétiques et fabuleux (éleveur de feux follets ou cultivateur d’étoiles filantes), la crise a tellement fait mourir les espoirs et les intérêts qu’il échoue. Il faudra se mettre ensemble et non pas proposer, mais écouter les rêves pour redonner l’espoir, découvrir ce que l’on a en partage, guetter le moindre souffle de vie, redonner confiance, lutter contre la peur. On le voit, c’est la poésie et le rêve qui seront capables de lutter contre la crise, l’attention patiente à chacun. Et, dans ce rôle-là, ce sont les enfants qui sont porteurs d’espoir. La crise n’aime pas les enfants qui rêvent…

L’album traite donc de façon poétique la crise, avec courage et audace : poésie du texte qui traite la crise de façon métaphorique, extraordinaire qualité des illustrations dont l’univers est proche de celui de Magritte et permettent aussi de sortir de donner une représentation surréaliste. Tout vole, des gâteaux aux oiseaux, des feuilles aux papillons, des lettres aux personnages, montrant une réalité étrange et inquiétante, jusqu’à ce qu’un bouquet de fleurs naisse dans la tête de l’oncle. L’illustration de couverture, comme un clin d’œil aux éditions Larousse (je sème à tous vents), que l’on retrouve sur les pages de garde, est porteuse de l’espoir que les fleurs s’épanouissent.

Un album en forme de conte philosophique pour nous aider à lutter contre la résignation.

Sanni & Jonas Une nuit d’hiver
Kalle Hakkola et Mari Ahokoivu
La Pastèque 2017

Rêver un impossible rêve…

Par Michel Driol

Quatre personnages, pour cet ouvrage qui tient de la bande dessinée et de l’album : une fille, Sanni, son frère Jonas, Maman et Papi. C’est l’hiver, quelque part dans le grand Nord (Finlande, sans doute, étant donné l’origine des auteurs). Chronique d’une vie familiale : descente en luge, avant de se préparer à la longue nuit : bain, histoire… Arrivent alors rêves et cauchemars montrant l’imagination des enfants : nounours polaire cherchant du secours pour Linda le dragon, super maman sauvant le monde, métamorphose en papillon… Chacun des rêves se clôt par un « bonne nuit » rassurant et réconfortant.

L’album conjugue la vie ordinaire de cette famille soudée et sans père avec les jeux, les rêves, les rires et les angoisses des enfants. Celle de la mort revient souvent : crainte de la mort du grand-père, qui souffre après avoir pellé la neige, ou dont les ronflements soudain cessent, ou de celle de la mort de la mère, qu’on envisage. Ces craintes sont vues à hauteur d’enfant dans un texte qui sait prendre des aspects philosophiques, avec la métamorphose des papillons qui leur confère plusieurs vies.  Ces craintes n’empêchent pas les rires et la vie de l’emporter.

A la façon des bandes dessinées, le récit avance au rythme des image etdles bulles, qui font entendre la parole des personnages. Des dominantes de couleur sur les fonds, tantôt chaudes, tantôt froides contribuent aussi à recréer l’atmosphère particulière des rêves.

Un beau voyage au pays des songes enfantins.

J’aimerais

J’aimerais
Portraits de Ingrid Codon,
Textes de Toon Tellegen, (trad. Maurice Lomré)
La joie de lire,   2013

  Sublime album pour Grands

par Maryse Vuillermet 

jaimerais_RVB_carre_200 Un album  étrange et d’une beauté envoûtante

 Trente-trois portraits d’enfants,  de femmes et de bébés, qui vous regardent,  mais ne sourient pas,  ils semblent tristes et vulnérables,  leurs yeux sont perdus dans un rêve, expriment  une nostalgie,  un étonnement ou encore une détermination sérieuse. Ils  portent des vêtements et arborent des coiffures  sans âge  et difficiles à situer, ce qui les rend à la fois proches de chacun de nous et étrangement décalés.

A chaque visage, l’écrivain  Toon Tellegen a prêté un rêve, parfois   une question. En effet en face de chaque portrait, on peut lire un texte qui commence le plus souvent par « J’aimerais.. »

« J’aimerais une baguette magique,… que quelque chose soit tout à coup annulé,… pouvoir me faire confiance, …avoir plus de courage moi qui n’en ai aucun… »  Ce sont de courts paragraphes,  des réflexions philosophiques et oniriques, parfois de petits rêves « J’aimerais marcher un jour le long d’un mur… »  qui donnent autant à penser qu’à rêver, qui donnent envie de nous  demander ce que nous aimerions, nous aussi…

Un album qui s’adresse aux grands à partir de quinze ans  et à tous les adultes.