Esther, Tapio, Labiwa et les autres

Esther, Tapio, Labiwa et les autres
Cathy Ytak, Thierry Cazals, Thomas Scotto, Anne Maussion, Julia Billet, Christine Beigel, Marie Colot, Jo Hoestlandt, Marie Zimmer, Nathalie et Yves Marie Clément
Editions du Pourquoi pas ? 2023

Que sont-ils devenus ?

Par Michel Driol

Pour fêter leurs 10 ans, les Editions du Pourquoi pas ? ont eu la bonne idée de demander à onze de leurs auteurs de reprendre un personnage d’un de leurs livres précédents, ce qui donne ce recueil collectif dans lequel on trouve dix nouvelles bien caractéristiques de leurs autrices et auteurs.

Ainsi, Cathy Ytak imagine que son personnage de l’Enfant du matin accueille une nouvelle élève qui a fui une guerre et se souvient de sa propre arrivée, et de la façon dont le don d’un livre a changé sa vie. Thierry Cazals reprend le personnage de Tom, de la Bouche en papier. Il s’échappe du cirque où il se produisait, rencontre des enfants à qui il adresse leurs poèmes, puis se retrouve confronté à sa propre oreille en pierre qui ne supporte plus d’entendre tous ces cris de haine. Pour Thomas Scotto, c’est Esther, la fillette terrifiée par le théâtre dans Comme un sourire qui flotte, qui écrit à Anissa qu’elle va monter sur scène pour lire des textes, et rendre ainsi hommage à tous ceux qui l’ont ouverte à l’art et aux livres. Anne Maussion raconte comment la fille de son personnage de Mamie voyage trie ses affaires après le décès de sa mère, et découvre qu’elle n’a pas cessé de penser à elle et de lui écrire. Julia Billet reprend le personnage de Monsieur Kassar, celui qui apprenait à lire et à écrire à Mo, dans le texte éponyme, pour le conduire à révéler son secret, celui de son réel prénom qu’il a dû franciser, ayant ainsi eu le sentiment honteux de trahir sa propre histoire. En écho à L’Autre, Christine Beigel propose Ombre, belle allégorie dans laquelle le programme des ombres s’oppose à celui de MOI, autocrate, jusqu’au jour où ombre prend conscience que MOI a aussi une ombre. Marie Colot reprend Théo, son personnage de la Danse des signes, atteint de surdité. Son amie Emma et lui sont devenus danseurs professionnels et accompagnent le flow d’un rappeur. Jo Hoestland envoie une lettre à la Petite du récit éponyme, et imagine ce que cette fillette du voyage est devenue, comment elle a vécu, a eu une fille. Pour Marie Zimmer, Nino, le héros  de Maisons de papier, est devenu architecte, et soutient son projet de fin d’étude, réhabilitation d’une fiche ferroviaire, où les rails deviennent passerelles pour relier les habitants dans un éco quartier conçu comme habitat d’urgence. Enfin Nathalie et Yves Marie Clément racontent la rencontre et le dialogue entre la lionne Labiwa de la Lionne, le vieil homme et la petite fille, et d’Oscar, le vieil homme des Amoureux du Houri-Houri, de retour dans le pays de leur origine.

Qu’on se rassure d’abord. Il n’est pas nécessaire de connaitre les récits initiaux pour comprendre et apprécier ces textes, qui ont des dynamiques narratives propres.  Bien sûr, si on les a lus, on éprouve le plaisir de la série, qui est de retrouver des personnages sur un temps long. Cette entreprise originale a bien des attraits. D’abord, celle de faire connaitre (pour celles et ceux qui seraient passés à côté d’eux) et de réunir dans un même recueil quelques-uns des auteurs contemporains les plus remarquables en littérature jeunesse. Tous partagent une même vision de l’utilité de cette littérature, des valeurs qu’elle transmet, mais sont d’accord sur la nécessité d’un pas de côté, de passer par l’imaginaire, voire la poésie pour toucher les lectrices et les lecteurs. Sans doute ont-ils tous des techniques d’écriture différentes, et c’est aussi ce qui fait la richesse du recueil. Phrases très courtes ou phrases très longues et enveloppantes, écriture poétique et métaphorique ou recherche d’un réalisme précis, tentation du fantastique, de l’allégorie ou quête d’un ancrage solide dans le réel. Plusieurs de ces textes parlent d’écriture, de lecture, qu’il s’agisse d’y intégrer superbement des haïkus écrits par des enfants en atelier d’écriture, d’évoquer l’imaginaire lié aux lettres (ce O qui enferme, mais qui est aussi la bouche d’où sort le souffle), le théâtre, la musique ou la danse, comme une façon de souligner l’importance vitale des arts et de la culture dans le monde contemporain. Plusieurs évoquent la question de la transmission, de l’amour, de l’apprentissage. Cela se voit en particulier à travers la forme de la lettre que de nombreux auteurs et autrices choisissent pour leurs récits. Les thématiques de l’identité, de l’immigration, du voyage ne sont pas loin, avec toujours ce souci de parler d’accueil et de dignité. Si ce recueil parle de notre monde actuel, il n’est pas pessimiste. Il montre des personnages en mouvement, qui sont en train de réaliser les rêves qu’ils pouvaient avoir dans le premier récit où ils sont apparus. C’est cet optimisme qui transparait dans la conclusion du dernier récit, lorsqu’Oscar explique à la lionne que les hommes ont changé, que l’Afrique reverdit, qu’on ne capture plus les animaux… On aimerait le croire sur parole. Cet optimisme est néanmoins nuancé, en particulier dans la belle lettre un peu mélancolique de Jo à la Petite, mettant en évidence l’écart entre les valeurs de notre pays, celles que promeut ce recueil, et la réalité vécue par les gens du voyage.

Cette diversité des écritures trouve un écho dans la diversité des techniques d’illustration choisies par les 12 artistes (Inès Guerrero, Aurélia Budin, Juliette Torre, Violette Mesnier, Marie-Cécile Grand, Joséphine Loiseau, Charlotte André, Emma Escat, Tom Bellanger, Maëlle Labbé, Bérangère Thominet, Matthieu Dina). Qu’il s’agisse du choix des couleurs, ou du noir et blanc, de remplir la page ou de laisser une respiration avec beaucoup de blanc, d’être dans une épure assez abstraite ou, au contraire, dans la volonté d’être au plus près du portrait, ces illustrateurs apportent des contre-points graphiques à ces textes.

Beau cadeau d’anniversaire que les Editions du Pourquoi Pas ? font à leurs lecteurs, un cadeau riche de la diversité des auteurs, des imaginaires, des écritures, des tranches de vie, au service d’un projet fédérateur qui lui donne sens, faire humanité.

Un billet pour l’Amérique

Un billet pour l’Amérique
Isabelle Wlodarczyk – Barroux
Kilowatt 2021

The Immigrant

Par Michel Driol

A presque 18 ans, Pénélope reçoit un billet de bateau pour rejoindre son oncle, récemment immigré à New York. Elle quitte son père et sa mère, part avec l’espoir de devenir médecin, accompagnée par sa voisine Agathe qui va rejoindre son mari, déjà installé aux Etats-Unis, et sa petite fille. Départ déchirant de la petite ile vers Athènes, où elle doit tricher pour embarquer car elle est mineure, traversée à la fois éprouvante et exaltante en bateau, et c’est Ellis Island, à l’immensité stupéfiante. Retrouvailles enfin avec la communauté grecque de New-York et reprise des études.

L’album retrace avec réalisme et empathie un parcours singulier, mais à l’image de tant d’autres, parcours de ces immigrants partis de Grèce, d’Irlande ou de Pologne pour espérer trouver une vie meilleure au Nouveau Monde. C’est là toute la force de la fiction d’exemplifier, de donner à sentir tout ce qu’il y a d’espoir et de douleur dans le départ pour une destination inconnue, de faire entendre la voix de Pénélope, la narratrice, dans son originalité, sa sensibilité,  ses doutes, ses inquiétudes, ses interrogations, sa détermination aussi. Si ce parcours est historiquement daté, il ne peut manquer de faire écho à toutes celles et tous ceux qui sont à la rechercher d’un meilleur pays pour y vivre. Le récit est complété par un dossier documentaire précis sur l’immigration aux Etats-Unis, et sur Ellis Island, porte d’entrée de 1892 à 1954.

Les illustrations de Barroux proposent un parcours de lecture en contrepoint au texte. C’est d’abord l’ile grecque, avec un ciel d’un bleu magnifique, des maisons blanches, une terre ocre, images d’une Grèce où il semble faire bon vivre. Ensuite c’est Athènes, et les teintes s’assombrissent, nuit, ciel bleu pâle, puis la traversée avec un ciel d’orage et une mer sombre. Des vignettes en grisaille montrent Pénélope et la fillette dansant dans le bateau. Gris et ocre pour Ellis Island, dans une architecture qui écrase les individus, représentés en longues files. C’est enfin New York, marron et ocre. Le ciel, qui a presque disparu, est devenu blanc, comme la page blanche de l’avenir espéré de Pénélope magnifiquement symbolisé dans la dernière image.

Un album pour aider à mieux comprendre ce qui pousse certains à partir loin de chez eux, loin de ceux qu’ils aiment, avec qui ils ont grandi, pour y construire un futur meilleur, à la fois témoignage du passé et ouverture en filigrane sur le présent.

Le Royaume sans soleil

Le Royaume sans soleil
Maïa Brami – Karine Daisey
Saltimbanque 2020

De la nuit naitra la couleur…

Par Michel Driol

Une vallée pelée, un marécage, un roi, une reine et leur fille Blanche qui rêve d’un monde disparu, celui des fleurs et des oiseaux… Hélas, pour produire de la lumière, le roi fait tourner son usine dont les fumées ont tout fait disparaitre. Jusqu’au jour où le roi tombe malade, à cause de ces fumées. Blanche suit alors l’oiseau de meringue qu’elle avait gardé de son gâteau d’anniversaire, qui se révèle être l’esprit de la princesse Sacagawea et qui l’emmène de l’autre côté des montagnes, dans un pays où tout est luxuriant. Blanche se voit offrir un brin d’herbe, une coccinelle, et un cocon. Et le roi retrouve vie en versant sa première larme lors de la naissance d’un papillon.

Inspiré d’une légende amérindienne, racontée à la fin de l’ouvrage, voici un album qui reprend la forme classique du conte pour parler de la destruction de la nature par les hommes, d’écologie, et d’espoir. De façon à la fois allégorique et réaliste, le texte et les illustrations montrent un monde où l’artificiel a pris la place du naturel : un boitier permet de choisir les ambiances sonores. Quant à l’usine et à ses fumées toxiques, elle n’a, malheureusement, que trop de modèles dans le monde réel. Le passage par le merveilleux, somme toutes omniprésent dans l’album, a deux effets. D’abord inscrire le conte dans la tradition, où l’on croise aussi bien la gaste forest de Perceval que tous les contes dans lesquels les oiseaux sont des adjuvants. S’il peut déréaliser, ce passage au merveilleux met aussi en évidence l’importance de la tradition, de la transmission, de la sagesse qu’une industrialisation et une recherche du profit ont mis à mal. Car la morale de l’histoire est au moins double : d’une part, on retrouve le colibri qui « fait sa part », lui aussi tiré d’une légende amérindienne, évoqué tant par l’oiseau de meringue – un colibri – que par les minuscules cadeaux de Sacagewa à Blanche, qui seront capables de redonner vie au royaume ; d’autre part on invite le lecteur à se replonger dans les légendes d’autres cultures qui assignent à l’homme une place dans l’univers.

Les papiers découpés de Karine Daisay jouent sur l’opposition entre le gris du royaume et les couleurs éclatantes du rêve ou de la nature. Ils dessinent un univers parfaitement en adéquation avec le texte et ses connotations.

Un album optimiste pour dire aux enfants que le moindre petit geste peut sauver le monde.

Le mot sans lequel rien n’existe

Le mot sans lequel rien n’existe
Claude Clément – Conception graphique Cyril Dominger
Editions du Pourquoi pas 2020

Il y a des mots qui font vivre, et ce sont des mots innocents

Par Michel Driol

Un oiseau picore dans un grand livre douze  mots à la connotation positive et part en voyage. Il survole successivement un désert brûlant et une ville où on a faim, puis une cité aux hommes affairés entre des tours ou désenchantés dans des quartiers gris, et enfin un paysage dévasté par la guerre. A chaque fois, l’oiseau ouvre son bec et sème quatre mots. De retour sur la plage, il s’aperçoit qu’il a oublié de picorer le mot le plus important, Amour, qui s’enroule autour de la terre. Dès lors les enfants peuvent venir réinventer des mots sur le livre…

Voici un livre au format et à la conception inaccoutumés pour les Editions du Pourquoi pas. Un format très allongé et une mise en page qui magnifie les mots semés par l’oiseau, dans une typographie raffinée et aérienne en rouge et noir. Tout est donc là pour attirer le regard du lecteur sur ces mots, en laissant l’imaginaire de chacun libre de se représenter les scènes évoquées, dans leur violence, leur cruauté, leur inhumanité, leur brutalité. Le texte, qui épouse le point de vue de l’oiseau, parle de notre monde sans concession, en trois épisodes qui évoquent la famine dont souffrent les pays du sud, la double déshumanisation des pays du nord, dans lesquels règnent la compétition et la ségrégation, et enfin les pays ruinés par la guerre. Alors que les deux premières étapes font l’objet d’une description précise du monde, la dernière est juste une évocation de l’absurde dévastateur de la guerre. La mise en page déstructure les alexandrins, comme pour leur donner encore plus de force dans un rythme et une liberté retrouvés.

Les treize mots de l’oiseau incarnent autant de valeurs disparues pour redonner sens à la vie sur terre et réparer le monde. La conception typographique de l’ouvrage dit l’importance des lettres et des mots pour panser et réinventer le monde. Comme pour encore souligner cette importance du langage, l’oiseau semble dessiné à la fin à partir d’un alpha et d’un oméga…

Cette réédition de la fable poétique  de Claude Clément (1995) est de qualité tant par le texte que par la conception de cet ouvrage qui s’adresse à tous, avec des mots simples, pour dire l’importance des valeurs humanistes.

Le Monde entier est nul

Le Monde entier est nul
Julie Cazalas-Caïe illustrations Vincent Bourgeau
Seuil Jeunesse 2019

I will survive…

Par Michel Driol

Petit Carlero est le huitième membre de sa famille. Il a une amoureuse, Gildre. Mais à partir d’aujourd’hui, il trouve que le monde est nul. Parce qu’il a trouvé une inscription sur le banc de la cour de récréation : Gildre + Tavor = Amour…Bien sûr il y a les amis, le stylo arc-en-ciel, mais cela ne rend pas le monde moins nul… Et pourtant Petit Carlero trouvera le moyen de rendre le monde plus cool, en ayant à sa façon une attitude positive et en s’aimant lui-même d’abord.

Première déception amoureuse, sentiment que tout va mal, que tout devient sombre : voilà ce dont parle cet album, dans une langue contemporaine et imagée. Le texte, très oralisé, est une adresse au lecteur, une explication des termes de verlan comme vénère, un florilège d’expressions mal comprises par les personnages (la roue du carrosse pour la dernière roue du carrosse, le feu dentifrice pour le feu d’artifice), des allusions à certaines pratiques sociales (la réunion boites en plastique de la mamie…). Texte écrit donc dans une langue qui mime la langue enfantine sans bêtifier pour montrer le désespoir du personnage attachant, émouvant, empli de sa mauvaise humeur…

Les illustrations sont particulièrement expressives, elles complètent le texte en prenant certaines expressions au pied de la lettre. Elles rendent à la fois Petit Carléro étrange (c’est un animal, assez indéfini) et l’humanisent par ses trois boutons jaunes sur le ventre, et surtout par l’univers qui l’entoure : l’école, les accessoires, le Père Noël.

Un bel album pour panser les petites ou grandes blessures de la vie, en se disant qu’il fera beau demain.

 

Un vent meilleur

Un vent meilleur
Adèle Tariel – Caroline Taconet
Utopique 2019

Parfois, on est obligé de désobéir pour sauver des gens

Par Michel Driol

Au bord de la Manche, Louise vit avec sa sœur ainée, son petit frère et ses parents dans une maison face à la mer. Sa tante répare un vieux biplan. La rencontre avec un jeune étranger qui porte des bidons d’eaux, Asaf, la bouleverse et lui permet de découvrir la problématique des migrants qui souhaitent passer en Angleterre et vivent, à deux pas d’elle, sous des tentes. Elle retrouve Asaf sur la plage, se lie d’amitié avec lui, l’héberge avec sa famille dans leur cabine de plage, leur porte à manger avec la complicité de ses parents. Lorsque le biplan peut voler, la tante conduit Asaf et sa famille en Angleterre.

Comment parler des migrants aux enfants ? La littérature de jeunesse n’hésite pas à s’emparer de ce thème actuel, et de promouvoir la solidarité et la désobéissance civile comme cet album. Tout est vu ici à hauteur d’enfant. C’est Louise la narratrice, et son point de vue est bien préservé tout au long de l’album : son étonnement, sa révolté, son incompréhension, son désir d’aider, de jouer avec cet enfant de son âge qui dessine sur le sable des maisons qu’il détruit, avec son bâton, en faisant des bruits de bombe. Les informations sur les migrants viennent des parents, de la tante, en réponse aux interrogations de l’enfant. Un album qui montre comment chacun, à sa mesure, peut prendre ses responsabilités et s’engager pour aider l’autre, voire suivre des idées folles.

Le titre est polysémique : le vent meilleur, c’est à la fois celui qu’attend la tante pour traverser la Manche comme Blériot, avec Asaf et sa famille, c’est aussi l’espoir d’une vie meilleure en Angleterre pour cette famille, mais aussi celui d’un temps meilleur pour tous les migrants sur terre. Le texte est d’une grande efficacité, permettant de bien comprendre les sentiments de la narratrice et de les partager. Les illustrations, très souvent en doubles pages respectent les codes et les techniques de la ligne claire, campent des personnages faciles à reconnaitre (les bottes jaunes de Louise..) et pleins d’expressivité dans des décors et des ambiances qui évoquent l’insouciance des bords de mer. Seule une vignette évoque le campement des migrants : ce que les illustrations entendent avant tout montrer, c’est le confort dans lequel vit Louise, et son envie de venir en aide à ce garçon.

Un bel album engagé, nécessaire aujourd’hui, pour montrer que chacun peut être solidaire et aider à sa mesure les migrants.

 

Demain les rêves

Demain les rêves
Thierry Cazals / Daria Petrilli
Møtus 2015

Faire face à la crise

Par Michel Driol

Agathe est une petite fille qui, depuis la mort de ses parents, vit avec son Oncle Jean dans un monde en crise. Les signes de la crise ont bien là : usines qui ferment, arbres qui n’ont plus la force de faire pousser des feuilles, adultes qui jouent à la dinette faute d’avoir de vrais repas, l’oncle Jean qui perd son emploi. Il imagine des tas de métiers sans avenir : dompteur de papillons, facteur qui refuse les lettres de licenciement ou les factures… Mais la crise gagne… Alors Agathe sort à la rencontre des autres : un homme et une femme qui hurlent et griffent les murs, puis un garçon qu’elle embrasse. Avec ce garçon et Oncle Jean, il feront une équipe de choc pour devenir écouteurs de rêves et faire renaitre les jeux, la vie, l’espoir.

Voilà un album magnifique, qui ne cherche pas expliquer rationnellement la crise, mais à donner l’espoir. Tous les enfants entendent aujourd’hui parler de la crise. La voilà personnifiée, puissance maléfique qui a volé à Agathe ses parents et désespéré le monde entier, humains comme végétaux. Aura-t-elle le dernier mot ? Comme dans les contes, on croit un instant que le mal va l’emporter. L’imagination seule ne suffit pas à s’en tirer : Oncle Jean a beau inventer des métiers poétiques et fabuleux (éleveur de feux follets ou cultivateur d’étoiles filantes), la crise a tellement fait mourir les espoirs et les intérêts qu’il échoue. Il faudra se mettre ensemble et non pas proposer, mais écouter les rêves pour redonner l’espoir, découvrir ce que l’on a en partage, guetter le moindre souffle de vie, redonner confiance, lutter contre la peur. On le voit, c’est la poésie et le rêve qui seront capables de lutter contre la crise, l’attention patiente à chacun. Et, dans ce rôle-là, ce sont les enfants qui sont porteurs d’espoir. La crise n’aime pas les enfants qui rêvent…

L’album traite donc de façon poétique la crise, avec courage et audace : poésie du texte qui traite la crise de façon métaphorique, extraordinaire qualité des illustrations dont l’univers est proche de celui de Magritte et permettent aussi de sortir de donner une représentation surréaliste. Tout vole, des gâteaux aux oiseaux, des feuilles aux papillons, des lettres aux personnages, montrant une réalité étrange et inquiétante, jusqu’à ce qu’un bouquet de fleurs naisse dans la tête de l’oncle. L’illustration de couverture, comme un clin d’œil aux éditions Larousse (je sème à tous vents), que l’on retrouve sur les pages de garde, est porteuse de l’espoir que les fleurs s’épanouissent.

Un album en forme de conte philosophique pour nous aider à lutter contre la résignation.