La Terre de l’impiété

La Terre de l’impiété
Jean-François Chabas
L’école des loisirs (medium), 2012

La terre du harki et la montagne pieuse 

Par Anne-Marie Mercier

Chaque livre de Jean-François Chabas est une surprise et une confirmation. Surprise car il est capable d’aborder de nombreux thèmes et de nombreux genres, confirmation parce que dans tous il excelle et sait être original sans affèterie, comme par nécessité, tout en visant juste et en touchant fort.

Ici, dans un décor dépouillé de rocs et de sapins, trois personnages isolés, qui ne communiquent pas entre eux : Philippe de Sainties, officier français retourné au civil après la guerre d’Algérie et la mort de ses illusions comme de ses liens avec le monde, son ami Abdelhamid Khider, autrefois soldat engagé dans l’armée française (un « harki »), qui a gardé quelques illusions par fidélité, mais perdu toute sa famille et tout avenir, et peut-être une part de sa raison, et Rachel, 11 ans, partie sac au dos pour rencontrer… Dieu, ou du moins l’auteur des « Magies » qui l’émerveillent.

Il n’y aucun point de rencontre entre d’une part la vie de ces deux hommes, notamment leur passé dans la guerre d’Algérie, retracée dans de nombreux retours en arrière brefs et terribles, et d’autre part l’allant de cette fillette qui gravit une montagne tandis qu’Abdelhamid l’observe à la jumelle. Mais justement, c’est ici que se fait la rencontre : le désespoir rencontre l’espoir fou, l’incroyance cynique fait face à un mysticisme hyper poétique, la vieillesse à l’enfance, la cruauté et les remords à l’innocence.

Roman poétique, mystique, historique, c’est aussi un bel ouvrage pédagogique sur l’histoire de l’indépendance de l’Algérie (un avertissement en pose les jalons) et notamment sur la question des harkis, douloureuse pour les deux bords.

En relisant certains passages du roman, je tombe sur le mot affèterie que je viens d’écrire : « L’absence d’affèterie, pensa Philippe, était souvent évoquée comme une qualité enfantine, et il lui semblait qu’il n’y avait rien de plus faux. Qu’on trouvait à foison des petits garçons doctes et empruntés et des petites filles qui faisaient des grâces, trop tôt au fait de la séduction qu’on leur prêtait. (…) Le naturel était, selon ses observations empiriques, plutôt le fait des vieillards ».  (p. 35-6)

D’enfance ou de vieillesse, l’absence d’affèterie est ce qui caractérise l’art de Jean-François Chabas (et peut-être plus généralement des grands auteurs qui écrivent pour la jeunesse – pour les autres auteurs, ça se discute). Lire ces auteurs c’est, à travers leur écriture, voir, comprendre, sentir, sans être trahi à aucun moment dans sa confiance : ils parlent vrai, juste et peu.

 

Le petit homme et Dieu

Le petit homme et Dieu
Kitty Crowther

Pastel, 2010

Le goût de l’omelette 

Par Anne-Marie Mercier

Le petit homme et Dieu.jpgPoursuivant son exploration philosophique, Kitty Crowther s’attaque à la question de la divinité. Non pas celle de son existence (Dieu existe, puisque Petit Homme le rencontre et lui parle), mais celle de sa nature, sa forme, ce qu’il peut et ce qu’il sait. Dieu affirme être un dieu parmi d’autres. A la demande de Petit homme, il est capable de prendre toutes les formes vivantes (on songe à l’ogre du Chat botté). Seule faiblesse, il ne sait pas grimper aux arbres, ni nager, et dit ne pas savoir ce qu’est une omelette.

Il accompagne le petit homme dans toutes ses activités  dans un décor aux allures de jardin d’Eden, rendant Théo heureux « pour l’éternité ». Cela dure jusqu’au moment où Dieu rentre chez lui, retrouver sa femme, pour lui faire une de ses fameuses… omelettes. Enfin, il se promène et se demande « si un jour il arrivera à grimper aux arbres comme Théo ». Le récit se retourne et on ne sait plus bien qui est le dieu de l’autre.

Si Dieu y perd sa barbe blanche, il y gagne en familiarité. Son allure ectoplasmique est fort sympathique. Petit Homme et Dieu, tous deux en majuscules (sauf dans le titre), sont à égalité, chacun dans son monde, mais avec en commun le goût de l’omelette.