Le Jour où Vicky Dillon Billon n’a pas bu son bol de lait

Le Jour où Vicky Dillon Billon n’a pas bu son bol de lait
Véronique Seydoux, Hélène Georges
Rouergue, 2022

Western enfantin

Par Anne-Marie Mercier

Malgré son nom imposant, Vicky Dillon Billlon est une petite fille et son histoire tient en quelques mots : elle a renversé son lait et sa mère l’a grondée. Rien de bien passionnant ?
Au contraire : la colère de la fillette l’emporte très loin, à cheval à travers les paysages de l’Ouest américain, accompagnée de toute une bande d’amis sauvages, accomplissant de multiples forfaits, passant de rodéo en bar, etc.
Page après page, on file dans l’imaginaire des westerns avec les aquarelles énergiques d’ Hélène Georges, dessinées à grands traits et peintes avec de grands à plats de couleurs vives (bleu et rouge) dans des décors stylisés. Tout se finira en douceur, la « grosse colère » une fois passée grâce à l’évocation d’un doux parfum.

The Book of Dust, vol. 1 : La Belle Sauvage

The Book of Dust, vol. 1 : La Belle Sauvage
Philip Pullman
David Fickling Books, 2017

Le Livre de la poussière, vol. 1
Gallimard jeunesse (grand format) , 2017

Darker !

Par Anne-Marie Mercier

Il y a deux raisons au moins pour lire ce livre sans attendre :

Il est parfait pour les temps de pluie et d’inondations : après avoir abordé et réécrit les mythes de l’Enfer ou d’Adam et Eve, Pullman se livre ici à une rêverie sur le déluge : Oxford, Londres, tout est noyé et ne surnagent que les étages supérieurs des batiments, les collines…
Pour ceux qui ont aimé la série précédente, il la retrouveront avec le frisson qu’apporte la nouveauté dans les retrouvailles : Le Livre de la poussière précède dans la chronologie de l’histoire La Croisée des mondes). Ceux qui connaissent et aiment (bien sûr) Philip Pullman demanderont : “est-ce que c’est aussi bien ? » Je répondrai qu’il n’y a pas de comparaison possible. C’est également un TRES beau livre, mais c’est différent, donc incomparable.

Sans tout relever (il y aurait beaucoup à dire sur les découvertes que fait le héros, Malcolm, onze ans, sur le monde, la littérature et sur lui-même, sur la vison de la religion…) on peut cependant relever quelques points : l’univers de Pullman est en place, mais n’apparaît que progressivement : ce qui touche à la « Poussière » est à peine esquissé, comme une question posée par des chercheurs. Le thème du daemon est en revanche plus développé, interrogé et décliné sous de multiples formes : l’apprentissage commun d’un daemon et de son alter ego bébé ; la possibilité d’une lutte entre un humain et son daemon, la parcellisation d’un daemon, etc. La différence majeure est que l’abondance d’évènements et les multiples histoires croisées des héros dans la série précédente est remplacée rapidement dans ce roman par une intrigue unique qui « coule » sans rupture jusqu’à la fin.

Ce flux qui emporte est aussi celui de la rivière qui, dans la deuxième moitié du livre, pousse à vive allure « La Belle sauvage », le canoé de Malcolm – je n’en dis pas plus pour éviter de trop révéler l’intrigue. C’est aussi celui du récit, qui n’offre que de rares pauses et montre le garçon luttant contre le flot, les courants, la fatigue et parfois la douleur et le désespoir. Chaque chapitre est une étape dans le parcours qui conduit les enfants d’Oxford à Londres, étape qui se clôt régulièrement par un nouveau départ sur les eaux : « the paddle in his hand, he pushed away (…) and brought the faithfull canoe out once more on to the flood » (435).

Le style est également fluide (j’espère que la traduction française le rend bien – le livre est paru également chez Gallimard jeunesse) et emporte lui-aussi dans un rythme parfait dans l’espace sans limites  de l’inondation, « An unimaginable volume of water carried onward with no snags, no rocks, no shoals, and no harsh wind or tempest to fling the surface into waves » (460).

Cette aventure d’enfants emportés sur les flots tandis qu’un prédateur fou les traque, évoque bien souvent La Nuit du chasseur, film aussi nocturne, aquatique et poétique que ce livre, et comme lui parfois terrifiant. « Darker » (plus sombre, dit l’auteur de His Dark materials – titre anglais de la trilogie La Croisée des mondes). Mêmes les fées sont cruelles, et le dieu de la Tamise est imprévisible.
You want it Darker ? (Leonard Cohen) Plongez-vous dans les eaux à la suite de La Belle Sauvage.

 

 

Au secours un monstre !

Au secours un monstre !
Francesco Pittau
Gallimard Jeunesse Giboulées 2016

Comme un lointain  avatar de la pieuvre et de Gilliatt 

Par Michel Driol

pitauTrois garçons et une fille qui fuient devant un monstre dont on ne voit que les tentacules. Cours, Forest, cours ! Ils courent à travers la ville, à l’aide de trottinettes, mais le monstre est toujours là, avec ses tentacules orange menaçantes. Le tronc d’arbre sur lequel ils traversent le précipice casse, et les voici à l’eau. Le monstre est toujours là, glissant lentement vers les quatre héros… avant que l’on découvre qu’il est le monstre des chatouilles, à la tête hilare…

Le dispositif narratif est efficace : le monstre est hors-champ, on ne voit que ses tentacules qui émergent de la marge de gauche, tandis que les enfants courent de la page de gauche à celle de droite. Toujours saisis en mouvement,  à l’horizontale, de bas en haut ou de haut en bas. Leurs places respectives dans la fuite sont conservées : Milena toujours devant, Fabio toujours derrière. Du coup, seul le décor change de page en page, un décor assez stylisé pour que le regard ne s’attarde pas trop sur lui, et qu’on se focalise sur cette fuite devant les tentacules…

La chute finale range ce monstre dans la catégorie déjà surpeuplée des monstres gentils. La peur n’avait donc pas lieu d’être. Et tout finit dans un éclat de rire. Certes, on le sait, dans toute la tradition carnavalesque, les monstres ne sont que de pacotille, et le rire est libérateur. Mais, dans cet album, juste une fuite avant de s’apercevoir que l’on s’était trompé, qu’on avait tort d’avoir peur, et que le méchant ne l’était pas. Le danger n’est pas affronté, et le rire est moins celui d’avoir vaincu sa peur que d’être victime d’un monstre chatouilleur… Comme s’il s’agissait de montrer aux lecteurs-enfants que les peurs sont stupides, qu’il ne faut pas se fier à l’apparence, et que les monstres n’en sont pas.

Un album au rythme soutenu, mais qui ne manque pas d’interroger sur la place des monstres dans l’imaginaire contemporain, et la littérature de jeunesse en particulier.