Des papillons dans la nuit

Des papillons dans la nuit
Olivier Ka – Christophe Alline
(Les Grandes Personnes) 2023

Sur l’écran noir de mes nuits blanches

Par Michel Driol

Les deux auteurs proposent ici un livre animé de rabats multiformes autour de la question de la nuit et de la peur du noir. Le narrateur y évoque les terreurs nocturnes, lorsqu’il pense que les meubles changent de place et se moquent de lui. Il suffit alors de fermer les yeux et de faire des grimaces pour être plus effrayant qu’eux. Mais les pensées sont là, qui planent, pensées qu’on peut attraper et qui emmènent le narrateur avec elles dans des univers lointains, dans le ventre d’un monstre ou dans l’espace intersidéral, comme une ode au pouvoir de l’imagination. Reste alors la solitude dans le lit, dans la nuit, loin des autres, sur un radeau entrainé par le courant pour une douce traversée de la nuit.

Le texte évoque bien un certain nombre de fantasmes liés à la nuit, à l’obscurité, lorsque l’imagination supplée la perception visuelle. C’est l’univers qui se transforme. Ce sont aussi toutes les peurs d’être enfermé, dans le noir, et l’on passe successivement du ventre du dragon à la grotte préhistorique, puis la caisse fermée, à la cave.  Dans cet univers, le narrateur est à la fois acteur (nombre de phrases où « je » est sujet) ou jouet, jouet de ses pensées avec lesquelles se noue un scénario complexe fait d’abandon ou de domination. Le texte enfin propose un mouvement qui va de la peur de l’univers instable à la douce traversée de la nuit, du cauchemar à la paix, en acceptant le pouvoir de l’imagination.

Ce texte s’accorde avec le jeu des rabats, des formes et des couleurs. Dès la première page, le rabat propose des couleurs claires dans une page très sombre, opposant ainsi l’intérieur du personnage  (dont l’esprit devient papillon) au sombre de la chambre dont on ne voit rien. Puis on traverse une nuit sombre, animée par le motif du papillon. Quant aux pensées, elles sont représentées par des papillons colorés sur un disque rotatif que l’on perçoit par fragments. Les rabats épousent au mieux les formes du monstre ou de la grotte qui se déploient au-delà de l’espace de la page. Petit à petit surviennent des couleurs plus claires, plus lumineuses, qui vont finir par devenir la vague, la mer que l’on traverse.

Un album qui fait la part belle à l’imaginaire et à un travail graphique original pour rendre compte de cette peur du noir, pour l’illustrer, et pour donner à percevoir la puissance infinie de l’imagination enfantine. Rien n’existe que dans l’esprit, c’est ce que dit cet album qui laisse bien entrevoir le pouvoir des métamorphoses, des rêves, des fantasmes, mais aussi des terreurs.

Le cœur des louves

Le cœur des louves
Stéphane Servant

Rouergue doado, 2013

 

Le mythe du loup-garou  féminisé et revisité

Par  Maryse Vuillermet

 

 

le ceour des louves imagesUne variante originale du mythe du loup-garou. Célia revient dans le village de sa  mère et de sa grand-mère,  village perdu au fond d’une vallée sauvage  et entouré de montagnes. Sa mère  Catherine, écrivaine à succès sur le retour,  cultive son mal-être et multiplie les amants ;  ruinée, elle doit quitter Paris et vivre dans la dernière maison du village avec sa fille. La grand-mère,  Tina était   considérée comme une sorcière  dans la région. L’atmosphère y est d’ailleurs particulière, tout le monde se connait, et les villes histoires, les vieilles haines, les amours enfouies semblent ressurgir à tout instant sous les pas de Célia.

La jeune fille est pleine de rancœur envers sa mère et aimerait savoir pourquoi son père les a abandonnées, quelles relations a eus  Thomas,   bûcheron brutal et alcoolique,  avec  sa mère Catherine, pourquoi Cécile,  sa fille, se laisse brutaliser par lui et pourquoi elle emmène Célia dans la montagne au bord du lac noir. Là, les deux jeunes filles se déguisent en louves à l’aide de fourrures et courent nues,  la nuit,  à travers les bois.

Célia,  en cherchant la vérité,  rencontre d’autres personnages du village, Andréas, le frère de Cécile,  fabricant de papiers artisanaux qui a recueilli les secrets de Tina, la sorcière, Armand, le grand-père de Cécile,  qui pourrait avoir bien connu Tina. Peu à peu, le puzzle des évènements se met en place, à travers deux récits, celui du journal de Tina, disparu puis retrouvé et  celui de la vie au village de Clélia.

 Et, à travers ces deux récits,  rôdent des loups, les loups  exterminés au siècle dernier, réintroduits  et qui tuent des brebis, et puis les hommes-loups, c’est-à-dire aussi cruels que des loups,  ceux  qui tuent  et torturent des enfants, ceux qui tuent des réfugiés  de la seconde guerre mondiale et brûlent leurs camps, ceux qui lynchent le seul témoin de ce massacre en le faisant passer pour le tueur d’enfants et enfin,  nos deux jeunes louves-garous qui effraient les habitants au point que l’un d’eux meurt d’une crise cardiaque. La violence  meurtrière est omniprésente dans ce coin de montagnes,   de même que la violence sociale, la fermeture des entreprises, la  rudesse du travail de bûcheron ou de scierie, la xénophobie, la solitude, la peur de l’étranger…

Le seul défaut de ce roman captivant est sa trop grande richesse,  trop d’histoires, trop de morts,  trop de violence !