Janis est folle
Olivier Ka
Editions du Rouergue,2015
Ah, oui, quand même…
par Christine Moulin
Le thème de la folie, nous l’avions déjà remarqué, sans être totalement absent de la littérature de jeunesse, n’y est pas souvent traité, du moins sur un registre autre qu’euphémique. Ici, il l’est, avec une violence inouïe : bipolaire, Janis, la mère du narrateur, Titouan, un adolescent de quinze ans, l’entraîne dans une errance qui va crescendo tout au long du roman. Jamais ces deux êtres, abîmés, traqués, unis par un lien indestructible et mortellement fusionnel, ne s’arrêtent : de mobil-homes en campings, vivant de vols et d’expédients, à bord d’une Volvo cocon, ils fuient… De lourds secrets semblent peser sur Janis. Certaines scènes, lumineuses, ne font que rendre encore plus sombre, par contraste, la fatalité qui accable Titouan et Janis : la scène où ils regardent les étoiles, au sommet d’un phare; la découverte de l’amour auprès de Fleur, une adolescente qu’il a fallu quitter très vite, trop vite; les moments, nombreux, où Titouan, protège sa mère, envers et contre tout, envers et contre elle-même, révélant pour elle un amour immense, insensé.
Vers la moitié du roman, les deux héros se rapprochent dangereusement de l’origine du mal qui a fait dérailler Janis: le chalet de la mère de celle-ci, où elle vit avec son autre fille, Marianne. On croit que les révélations sont proches mais elles ne seront que partielles car le mensonge et le silence ont rongé la famille de Janis. Le narrateur bascule alors lui aussi : il cherche à rejoindre sa mère dans ce qu’il appelle son monde parallèle. Le road movie effréné reprend et connaîtra la seule issue possible, celle que l’on pressent quand on se laisse porter par cette course chaotique. Heureusement qu’il y a l’épilogue…
On parle souvent de roman « coup de poing ». Métaphore un peu facile mais qui, dans ce cas précis, reprend toute sa force: même si ce livre est une très belle histoire d’amour, même si on ne peut lui reprocher d’éviter la facilité qui consiste à présenter la « folie » sous un jour acceptable, souriant, il bouleverse et dérange. Peut-être parce qu’il confirme l’impression que l’on peut avoir quelquefois en lisant les romans pour ados: la faillite des adultes est totale et les rôles constamment inversés. Au point qu’on en vient à se demander, comme souvent : littérature de jeunesse? pour la jeunesse? De quelle culpabilité est-elle le nom?