La Forêt pour te dire

La Forêt pour te dire
Martine Pouchain
Sarbacane 2024

Robinsonnade contemporaine

Par Michel Driol

Louise, 17 ans, dont le père est mort avant sa naissance, vit avec sa mère qui enchaine les hommes. Lorsque le dernier se livre à des attouchements sur elle, elle fuit dans la forêt, où elle mène une vie de survivaliste, faite de cueillette et de petite chasse, à l’aide de sa fronde. C’est là qu’elle fait la connaissance de Paul, un peu plus âgé qu’elle, qui va de petit boulot en petit boulot, traumatisé par la mort de ses parents dans un accident de voiture, et un abattoir où il a travaillé. Paul sauve Louise, victime d’un empoisonnement, et lui propose de l’héberger à La Faye, la vieille maison familiale, désormais vide. Comment ces deux-là vont s’apprivoiser, se découvrir, et se reconstruire, et établir entre eux et les autres une relation complexe…

Martine Pouchain propose ici un récit qui tient du conte et du roman d’apprentissage. Conte par le personnage principal (non plus une petite fille, mais une adolescente, victime d’un adulte), par les lieux,  la forêt emblématique – et symbolique – de ce genre où l’héroïne trouve refuge, mais aussi la vieille maison qui semble pleine de secret, enfin par la punition du méchant et la découverte de l’amour – sauf que la fin n’est pas celle du conte traditionnelle, avec le mariage et les nombreux enfants. Roman d’apprentissage par la découverte d’elle-même qu’y effectue l’héroïne, par les choix qu’elle effectue, sa fuite, son apprentissage de la psychologie à distance, et son éducation sentimentale et sexuelle. A la croisée de ces deux genres, on est vraiment dans une grande tradition de la littérature pour la jeunesse. Une littérature pour la jeunesse qui s’adresse aussi, ici, à un lectorat adulte.

Le roman propose un double portrait, celui de Louise, et celui de Paul. Si l’on découvre assez vite le passé de Louise, ses relations avec sa mère – femme enfant avec son « beau-père » du moment, en particulier parce que le texte nous livre son journal intime, il n’en va pas de même pour  Paul, dont le roman révèle, bribe après bribe, ses secrets, son passé qu’il a du mal à affronter. Il y a là à la fois respect de la psychologie du personnage et aussi source d’intérêt  pour le lecteur qui ne peut que se questionner sur ce personnage, dont on découvrira à la fin la tragédie qui le hante.

C’est un roman d’amour qui prend son temps, roman de découverte entre deux êtres qui s’observent d’abord un peu comme chien et chat, et vivent la tension entre leur besoin d’être ensemble et celui de sauvegarder leur liberté. Petit à petit, on assiste à transformation intérieure de Louise, à l’éveil de ses sens et à son passage à l’âge adulte. Louise ressent des émotions complexes et contradictoires, décrites avec finesse par l’autrice.

Un mot sur les personnages secondaires, bien dessinés, et dont le système forme des couples : Audrey, la cueilleuse, qui cherche à « draguer » Paul, en complet contraste avec la retenue et la pudeur de Louise, la grand-mère artiste de Paul, discrète, fine, sensible, en parfaite opposition avec la mère de Louise.

Un roman poétique et introspectif, qui articule avec force la problématique de la quête d’identité et de la quête du bonheur avec certaines des grandes questions qui traversent notre époque : les agressions sexuelles, le lien avec la nature,  les relations familiales, l’amour et la sexualité des adolescents.

L’Honneur de Zakarya

L’Honneur de Zakarya
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard Scripto 2022

L’Etranger aux autres et à lui-même ?

Par Michel Driol

Zakarya, entre adolescence et âge adulte, est accusé du meurtre d’un autre boxeur, Paco. Il se mure dans le silence. Entre scènes d’audience du procès et retours en arrière, entre le Morvan natal et la région parisienne, entre la mère aimante et les bandes de banlieue, entre enfants de l’immigration et bobos, c’est toute la courte vie de cet antihéros que raconte ce roman noir.

Qui est Zakarya, qu’est-ce qu’un individu ? De lui, on ne perçoit que des éclats, des fragments, une personnalité qui se difracte selon les époques, selon les situations, selon celles et ceux avec qui il est en présence. Il semble absent à sa propre histoire. Est-ce lui l’assassin ? Certes, il a eu maille à partir avec la police, a été violent, incontrôlable, mais par ailleurs tout le montre attentionné, sensible, altruiste… Ce sont là différents aspects de ce personnage qu’il est difficile d’assembler, comme un puzzle aux pièces trop nombreuses. C’est la force de ce roman de mettre le lecteur en position de juge, en lui révélant petit à petit des bribes d’un passé qui s’entremêlent, et donnent du personnage principal des visions contradictoires. C’est aussi un roman qui vaut par l’arrière-plan social sur lequel il s’inscrit, qu’il s’agisse de la condition des femmes immigrées, en province ou en région parisienne, de  la bourgeoisie de province, de toute une sociologie banlieusarde, entre club de boxe comme une planche de salut et grands frères islamistes, caïds mêlés à tous les trafics. Personne – pas plus le lecteur que les personnages –  ne sort indemne de ce roman, qui célèbre pourtant l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, ou l’empathie sans faille d’une avocate. Tous les personnages semblent dans l’excès, excès d’amour, excès de silence, excès de sensualité, excès de timidité, excès de désir. Comment trouver sa voie, se construire, se repérer, en particulier au moment de l’adolescence, des premiers émois amoureux, des grandes rebellions, lorsque l’on a été coupé de ses racines dans le Morvan ? Mensonges, faux-semblants, paraitre, tout cela forme comme un engrenage qui va broyer le héros, dont on sent bien que son silence – et le sacrifice – ne sont  là que pour protéger quelqu’un. Mais qui ? Rarement la forme du roman noir aura été si bien utilisée pour dire les ombres qui planent sur nos destinées, quand il est difficile de trouver une place, sa place, dans le monde, en particulier lors que l’on n’a pas de père reconnu et qu’on porte un nom à consonance maghrébine. Disons enfin que ce roman  – comme souvent les romans de l’autrice – donne la parole à ceux qui sont d’ordinaire sans voix, qu’on n’écoute pas, en raison des préjugés trop nombreux ou de leur difficulté à se dire. Il tente de faire comprendre comment de petit garçon morvandiau on devient ado à problème, dans une perspective finalement assez rousseauiste : l’homme nait bon, c’est la société qui le corrompt. Au fond, telle est bien l’essence du polar, d’interroger et de montrer le mal à l’œuvre dans la société.

Un roman noir et sombre, fait d’allers et retours pleins de sens entre le présent et le passé,  qui parle sans faux-semblants de notre société, sans donner de leçons,  et de la difficulté d’être juste quelqu’un de bien quand tout s’y oppose.

Mon Arbre à secrets

Mon Arbre à secrets
Olivier Ka et Martine Perrin
(Les grandes personnes), 2013

Trésors cachés

Par Anne-Marie Mercier

Mon Arbre à secretsPour les retardataires, ceux qui se diraient le 24 décembre à 15h : « nom d’un Père Noël ! qu’offrir à telle personne de 7 à 107 ans, que je vois ce soir/demain ? »

Réponse de Li&je : une autre petite merveille des éditions (Les grandes personnes), ce petit livre cartonné aux pages tantôt en fort papier tantôt en calque, tantôt en une seule dimension, tantôt en pop up bruissant, ou avec des tirettes, une merveille d’animation.

Quant au contenu, c’est de la poésie simple et pure : un arbre, un enfant, des secrets et tout ce que l’on peut mettre autour, oiseaux et mots. Jeu d’emboitements, dMon Arbre à secrets2e rabats : le secret n’est-il pas ce que l’on range précieusement et voile et dévoile ? A savourer…

Allez, c’est jour de fête, je mets une deuxième image. Et « bon solstice! » comme dirait Dominique !