Passeur de souffle

Passeur de souffle
Patricia Hespel
La Martinière jeunesse, 2023

Une Fantasy aux reflets écologiques

Par Loïck Blanc

Ce roman transporte le lecteur dans une aventure qui l’incite à méditer sur la nature qui nous entoure. Bren, guidé par une prophétie énoncée à sa naissance, entreprend une quête qu’il croit être celle de sa propre gloire. Toutefois, au fil de son périple et de ses rencontres, il découvre le sens véritable des paroles prononcées le jour de sa naissance. La prophétie prend alors une tout autre signification, tournée vers une quête plus grande et collective dont il n’est finalement qu’un instrument. Il entreprend alors cette quête à la place de celle, personnelle, qu’il croyait devoir poursuivre.
Le récit s’habille d’une métaphore saisissante, décrivant une terre en proie à un mal insidieux qui se répand parmi les peuples. Bren, après s’être libéré de ce mal grâce à ses compagnons de voyage, s’éveille progressivement à la valeur de la Terre et à la menace qui la ronge. Ce spectre de la destruction est alimenté par la volonté de gloire personnelle des hommes et leur obsession pour le gain, les poussant à mettre en péril le souffle vital de la nature.
Sous la forme d’une œuvre de fiction captivante, l’autrice invite le lecteur à suivre la difficile remise en question de son héros, qui prend conscience de la fragilité de la nature et de la corruption qui la ronge.
Cet ouvrage de fantasy mérite d’être découvert sans attendre, car il offre bien plus qu’une simple lecture : il propose une plongée fascinante dans la quête de sens et dans la nécessité de préserver notre précieuse planète.

L’arbre m’a dit

L’arbre m’a dit
Poèmes de Jean-Pierre Siméon – Encres et pastels de Zaü
Rue du Monde 2022

L’homme qui écoutait les arbres

Par Michel Driol

Près d’une cinquantaine de poèmes-phrases, dont l’incipit est invariablement le titre du recueil : l’arbre m’a dit. Les textes forment une sorte de double dialogue muet dans la mesure où les propos de l’arbre sont répétés par un « je » anonyme, qui mettent en quelque sorte en abyme la sagesse de l’arbre, comme s’il y avait là une double confidence, celle de l’arbre au poète, celle du poète au lecteur. Confidence dans laquelle on entre un peu comme dans cette forêt que Zaü propose sur la couverture du livre, à la fois claire et obscure, dans laquelle la multiplicité des arbres s’oppose au singulier du titre : l’arbre.

L’arbre m’a dit, c’est déjà toute une conception de la poésie comme un secret à partager. Secret d’une sagesse venue non pas des hommes, mais de la nature, comme si l’arbre ici se montrait comme un modèle à suivre. Secrets pour résister à la solitude, secrets pour grandir, secrets pour garder l’espoir. A chacun d’écouter cette leçon de sagesse. Les mots de l’arbre nous parlent dans un langage à la fois simple et imagé, nous confrontent à l’arbre et à ses caractéristiques : son immobilité face à notre désir de voyager, sa permanence victorieuse face à la neige qui revient chaque année. On est dans une poésie de la nature qui est en fait celle de l’attention aux moindres choses, aux plus minuscules détails (l’ombre qui rafraichit, la fleur qui devient fruit, le sourire de l’enfant qui cueille) à laquelle elle donne sens. Cette confrontation entre l’humain et l’arbre ne tourne pas, on s’en doute, à l’avantage du premier. L’arbre se révèle un puits de connaissances,  un être pétri de générosité, de patience et renvoie parfois par de simples questions l’homme face à lui-même, à son ignorance de la nature, à son impatience, à sa solitude.

Ces textes sont magnifiquement intégrés aux pastels de Zaü, monochromes évoquant l’arbre dans différents contextes, l’hiver, le brouillard, le bord de l’eau, accompagné parfois d’oiseaux ou d’un enfant.  Ces illustrations résonnent avec subtilité aux  propos de l’arbre : ainsi ce tas de bois coupé accompagnant L’arbre m’a dit : celui qui me coupe perd un ami. Trois doubles pages colorées, sans texte, apportent comme une respiration au recueil, donnant à contempler une nature vierge dont l’homme est absent. La verticalité de l’arbre est encore soulignée par le format très allongé de l’ouvrage.

Jean Pierre Siméon et Zaü revisitent les rapports entre les arbres et les hommes dans une leçon de sagesse apaisée et apaisante, donnant à voir et à sentir une autre relation au temps ou à l’agitation, et peut-être redéfinir ce qui donne sens à notre existence pour découvrir, comme le suggère le dernier poème, que « finalement, tu n’es qu’un arbre qui parle et qui marche ».

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

Du platane au ginkgo. Histoires d’automne

Du platane au ginkgo. Histoires d’automne
Ianna Andreadis
Les Grandes Personnes, 2021

Ouvrir les yeux

Par Anne-Marie Mercier

De la naissance à 214 ans, cet album tout carton aux coins arrondis est à la fois une belle méditation sur l’automne et une mini encyclopédie.
Chaque double page présente une photo de plusieurs feuilles d’un même arbre posées sur une surface sombre, elle-même détail d’un décor urbain : pavés, gravillons, plaque en fonte… Ville et nature, textures douces et dures, couleurs, formes découpées et pleines, tout est, pour qui s’y plonge, d’une grande richesse. Les feuilles sont à un état différent de maturité, et offrent ainsi des dégradés de vert et de jaune ou des rouges francs.
La quatrième de couverture les présente toutes ensemble et donne la solution à la question de l’arbre qui portait ces feuilles : platane, châtaignier, chêne rouge, tulipier de Virginie, arbre de Judée, érable plane, copalme d’Amérique, marronnier d’Inde, tilleul argenté, cerisier du japon, parrotie de Perse et.. Ginkgo. Tous ces arbres aux noms qui peuvent nous sembler exotiques peuplent en réalité nos rues et nos parcs depuis longtemps.
Feuilleter sur le site de l’éditeur

Ianna Andreadis est l’auteur d’autres superbes albums chez le même éditeur : ça donne envie de s’offrir ou d’offrir toute la collection !

 

 

 

Mirabelle Prunier

Mirabelle Prunier
Henri Meunier & Nathalie Choux
Rouergue 2020

Rejeton rejeté

Par Michel Driol

Prénommer sa fille Mirabelle quand on se nomme Prunier, voilà un choix qui parait bien insensé. Et la petite fille devient la cible des quolibets, des moqueries, qu’elle encaisse en ne leur opposant que l’amour. De plus en plus isolée, elle s’installe en lisière du village, sur un coin de terre stérile, où elle finit par prendre racine et se métamorphoser en un prunier qui offre à tous de magnifiques fruits.

Henri Meunier et Nathalie Choux proposent ici un bel album poétique, complexe, qui pourra faire l’objet de multiples lectures tant les thèmes qu’il tisse sont riches. Il y est question de violence et d’amour, du pari de l’intelligence contre la bêtise. Il y est question de ce que peut une méchanceté gratuite contre un enfant, de la souffrance et de la discrimination, des souffrances psychologiques causées par l’inattention ou la bêtise, de la violence des comportements harcelants. Il y est question aussi de la force de l’amour, du don de soi, contre toutes les formes d’exclusion et de violence. Mais à quel prix ? Celui de l’abandon de sa condition, d’une façon de s’endurcir, de se raidir, de s’aliéner pour devenir autre chose que soi. Cette métamorphose, qui inscrit l’album dans un réseau très riche, n’a lieu que pour échapper au pire. Passant de l’humain au végétal, l’héroïne ne perd rien de son amour et de sa générosité, pardonne, et offre ce qu’elle a de mieux à offrir, et que les hommes n’ont pas su voir, et inaugure une nouvelle ère remplie d’espoir.

Proche du conte, par l’univers merveilleux dans lequel il se situe et la métamorphose qu’il raconte, l’album est écrit dans une langue poétique superbement travaillée, rythmée, faite d’anaphores qui invitent à prendre le temps de la lecture et du récit. Les images, quant à elles, donnent d’abord à voir la dégradation de la petite fille, cheveux de moins en moins soignés… Puis le temps qui passe, les saisons, les ans, dans une grande douceur qui contraste avec ce que le texte peut avoir de violent dans la métamorphose. L’album se tient sur une ligne de crête, un entre-deux riche entre amour et violence, acceptation et rejet, aliénation et identité, acidité et sucré. Rien n’est caché de la cruauté enfantine, du désespoir et de la tristesse qui submerge la fillette, de la patience qu’il faut pour devenir arbre, s’endurcir et finalement se livrer aux saisons et au temps qui passe. Rien n’est tu non plus de ce mouvement qui pousse vers l’autre, du pardon et de l’amour comme force supérieure.

Un album atypique, plein de poésie qui se termine sur une leçon optimiste et pleine d’espoir : il est possible de trouver sa voie contre un destin tout tracé.

La Forêt d’Alexandre

La Forêt d’Alexandre
Rascal
A pas de loups 2017

Etre un glaneur de rêves (Patti Smith)

Par Michel Driol

Comptable de profession, Alexandre rêve de planter un arbre dans un terrain aride. Si tous le prennent pour un fou, Alexandre persévère et voit grandir son arbre, à force de soins et d’attentions. Alexandre n’est plus, mais son arbre est toujours là, dans une forêt qui porte son nom désormais car son exemple a été suivi.

On pense bien sûr au Giono de L’Homme qui plantait des arbres.  Mais, à la différence d’Elzéard Bouffier, Alexandre ne plante qu’un arbre. Le texte, plein de sobriété, prend son temps pour raconter cette histoire d’amitié entre un homme et un arbre en jouant d’une vaste gamme de temps du passé, depuis le plus que parfait jusqu’à l’imparfait et au passé simple, qui installent avec poésie la narration dans la durée, alors que la fin au présent ouvre sur le monde actuel.  Ainsi la vie avance petit à petit, le rêve devient réalité, et l’arbre se métamorphose en abri, en rendez-vous pour les amoureux, ou en terrain de jeu pour les enfants, au point que l’arbre est un témoignage d’une foi et d’une action et qu’il survit à son « créateur ». Les illustrations, pleines de douceur dans leurs teintes pastel semblent pour nombre d’entre elles inclure une texture d’écorce. Elles évoquent sans doute aucun Magritte : silhouettes, pipe, tendance au surréalisme comme cette pelle dont le manche est un arbre… Elles introduisent dans l’univers poétique du rêve où tout devient possible et ouvrent à un autre monde possible.

Un bel album qui parlera à certains d’écologie et de la nécessité de replanter des forêts, et qui dira à d’autres qu’il faut réaliser ses rêves, quoi qu’on puisse en penser autour de soi.

 

L’Arbre boit

L’Arbre boit
Christophe Tostain
Espace 34 (Théâtre jeunesse), 2015

Le théâtre des saisons

Par Anne-Marie Mercier

Deux « personnages », deux conteurs, pour cette courte pièce en trois saisons (printemps, été, automne) précédées d’un prologue et suivies d’un épilogue (l’hiver). Les deux voix sont celles de Vieille Racine et de Jeune Branche.
La première est soucieuse : elle sait les dangers qui guettent l’arbre et qui l’attaqueront : incendie, orages, sècheresse, hiver… Elle tente de répondre aux demandes de tous, feuilles et branches, tout en mettant un peu d’eau de côté pour les temps difficiles. La deuxième est l’insouciance même, elle attend l’hirondelle, le vent, le soleil, rêve de voyages…

Tout en mettant en scène un dialogue entre un être âgé et une jeune tête brûlée, cette fable est aussi une image de la vie végétale, une « leçon de choses », donc, simple et tragique.

La vie nocturne des arbres

La vie nocturne des arbres
Bhajju Shyam, Durga Bai, Ram Singh Urveti,
Actes sud junior,

Les sens de l’arbre

Par Claire Damon

La vie nocturne des arbresLa vie nocturne des arbres est un livre, et bien plus que cela. La preuve, il a une odeur. Une odeur d’Inde, mélange de papier et de bois de santal. L’acte que l’album impose est – plus qu’une lecture – une déambulation lente et silencieuse au fil des épaisses pages noires. Tous les sens sont mis en éveil.

Ce somptueux album au tirage limité reproduit des œuvres originales en sérigraphie des planches de trois artistes vivants héritiers de la tradition gond. Les textes sur la page de gauche placent les arbres au cœur du monde et témoignent des croyances animistes de ce peuple.

Le peuple Gond du centre de l’Inde fait partie de ces tribus très proches de la nature, à la marge de la société classique, qui intriguent et fascinent les hommes et femmes que nous sommes. Sortant – grâce à ce type d’ouvrages – de notre monde mondialisé, on découvre avec bonheur d’autres cultures très riches, fondamentalement différentes de la culture dominante, qui savent s’entendre avec la nature.

Il s’agit d’une réédition de l’album, publié en 2013.

Mon Arbre à secrets

Mon Arbre à secrets
Olivier Ka et Martine Perrin
(Les grandes personnes), 2013

Trésors cachés

Par Anne-Marie Mercier

Mon Arbre à secretsPour les retardataires, ceux qui se diraient le 24 décembre à 15h : « nom d’un Père Noël ! qu’offrir à telle personne de 7 à 107 ans, que je vois ce soir/demain ? »

Réponse de Li&je : une autre petite merveille des éditions (Les grandes personnes), ce petit livre cartonné aux pages tantôt en fort papier tantôt en calque, tantôt en une seule dimension, tantôt en pop up bruissant, ou avec des tirettes, une merveille d’animation.

Quant au contenu, c’est de la poésie simple et pure : un arbre, un enfant, des secrets et tout ce que l’on peut mettre autour, oiseaux et mots. Jeu d’emboitements, dMon Arbre à secrets2e rabats : le secret n’est-il pas ce que l’on range précieusement et voile et dévoile ? A savourer…

Allez, c’est jour de fête, je mets une deuxième image. Et « bon solstice! » comme dirait Dominique !

Les Aventures d’Alexandre le gland

Les Aventures d’Alexandre le gland
Olivier Douzou
Rouergue, 2013

Aventure initiatique au ras du sol

Par Anne-Marie Mercier

LesaventuresdalexandreCe récit jubilatoire, sans doute né d’un jeu de mot (on aura reconnu Alexandre le grand), est tout à la fois un récit initiatique, un jeu culturel, un jonglage langagier et un délicieux pastiche de roman d’autrefois.

Alexandre est un gland accroché à un chêne ; le dernier à rester, il ne veut pas tomber, une fois tombé il ne veut pas s’enfouir, et pourtant il est bien conscient de sa noble origine et de son destin.

S’il est inutile de raconter cette histoire, tant elle est portée par le charme des mots et des images, disons rapidement qu’Alexandre dans son errance rencontre un ver qui fait des vers (qui rappelle l’hilarant Vers de terre du même auteur), des châtaignes agressives, une noix philosophe qui déclame du Victor Hugo, des fourmis affairées, une fourmi rebelle, un escargot, etc., et… Pinocchio. Chacun a son langage propre (Alexandre labialise les R, forcément), comme sa vision du monde, et des conseils à donner. Alexandre écoute, s’interroge et rêve beaucoup, en bienheureux ou en cauchemardeux.

En sourdine, en bas de page, les commentaires du narrateur insistent sur le côté édifiant de l’histoire, invitant sans cesse le jeune lecteur à confronter cette fantaisie au réel et à juger de la conduite d’Alexandre. Cette posture distanciée n’empêche pas cependant que la leçon fonctionne : Alexandre tout gland qu’il est, est bien à l’image d’un enfant.