Dys-moi Papi

Dys-moi Papi
Claire Mazard – Illustrations d’Anaïs Lefebvre
Tom Pousse 2023

La fille qui craignait les mots et l’homme qui peignait les oiseaux

Par Michel Driol

Depuis son CE1, Léa a été diagnostiquée dyslexique. Mais, à 15 ans, ses difficultés scolaires sont telles qu’elle envisage de ne pas se présenter au Brevet. Elle adore les chevaux, et son grand père, céramiste réputé, veuf depuis quelques mois, et qui ne livre plus aucune de ses productions à son marchand. C’est alors qu’il lui révèle son secret et que Léa va tout faire pour surmonter ses propres difficultés et lui venir en aide.

Claire Mazard aborde avec ce roman écrit à la première personne le quotidien, les découragements, les espoirs aussi d’une jeune fille atteinte de dyslexie qui  se raconte, se confie, dit ses difficultés face à l’écrit, dit aussi ceux qui l’ont accompagnée : l’orthophoniste, ses parents. Elle dit aussi le regard méprisant qu’on a sur elle, sur sa prétendue lenteur. Cette dimension psychologique est précieuse, à la fois pour des lecteurs  « dys » qui s’y reconnaitront et pour les autres, qui, par empathie, éprouveront et comprendront mieux  les efforts et la fatigue ressentis par l’héroïne, et le hiatus entre cette énergie dépensée pour accéder à l’écrit et les résultats obtenus. Le roman saisit Léa à la croisée des chemins : la fin du collège est le moment de se déterminer pour un futur métier et de choisir une orientation. Celle-ci est d’abord passée par des choix négatifs : ce qu’elle rêve de faire (vétérinaire, chirurgienne) est impossible, car il faut trop d’années d’études, et, on l’a compris, les études qui passent par l’accès à l’écrit sont pour elle un véritable calvaire. Dès lors Léa a perdu le moral. Ce qui la sauve, et fait de ce roman un feel-good roman sans mièvrerie, c’est la relation qu’elle a avec son grand-père, taiseux comme un poisson, mais qui va lui parler. Comprenant qu’il a besoin d’elle, par amour pour lui, elle va trouver la force de faire avec son handicap. On ne dira pas par quels chantages (affectifs !) ces deux-là avancent… on laissera au lecteur  le soin de découvrir cette relation sobrement décrite dans l’affection mutuelle qu’ils se portent. L’artiste redécouvre le gout de vivre et l’adolescente trouve sa voie.

On saluera les efforts d’adaptation de l’écriture et de l’édition à un public dyslexique : une liste des personnages principaux, avec leurs principales caractéristiques, pour s’en construire une représentation avant d’entrer dans l’histoire. Un découpage en brefs chapitres, écrits dans une langue simple, avec des phrases courtes qui n’empêchent pas l’expression de la complexité de la pensée et des sentiments. La police de caractère est adaptée, de même que la typographie (alignement à gauche) permettant la coupure du texte en fin de ligne en fonction du sens. Même le papier – mat – est choisi pour limier le contraste entre le fond et les caractères imprimés. Enfin les illustrations d’Anaïs Lefebvre, tout en grisé et en douceur, jouent sur le réalisme pour aider à mieux visualiser les personnages et les lieux.

Un roman sur la différence, qui montre une belle relation entre une ado et son grand-père, un roman qui incite à ne pas lâcher, à ne pas renoncer parce que, comme dit le grand-père, découvrir de si belles pensées mérite des efforts.

les derniers des branleurs, Vincent Mondiot

 Les derniers des branleurs
Vincent Mondiot,
Actes-Sud Junior, 2020

On se souvient tous des derniers mois du lycée

 Maryse Vuillermet 

Minh Tuan, Chloé et Gaspard trainent leur spleen au lycée, ils sèchent les cours, fument des joints, avalent toutes sortes de substances planantes, et aiment se faire détester par tous, élèves, profs et parents. Ils sont amis inséparables et d’accord pour penser qu’ils n’ont pas d’avenir, donc qu’il est inutile de travailler et de faire des efforts.
Mais dans leur classe, il y a Tina, une jeune Congolaise migrante, qui, elle, est sérieuse et douée, elle est seule comme eux, et cette solitude et leur différence vont les rapprocher. Avec elle, ils s’ouvrent à d’autres réalités que leur petit monde confortable.
Le titre n’est pas engageant mais on est vite happé par ce roman. On ne peut que s’identifier à ces adolescents loosers, bavards, capables de palabrer à l’infini sur rien, (tellement qu’ils rappellent à Mina les palabres africaines), et en révolte continue mais aussi en recherche, d’absolu, de sens à la vie et tellement tristes de quitter leur adolescence pour entrer dans un monde adulte qui les dégoute et leur fait peur.
Et puis c’est très, très drôle, les notes en marge, très nombreuses expliquent de façon docte, leur monde, leur culture, leurs manies, comme si c’était une peuplade étrange à faire découvrir au lecteur. Eux-mêmes manient un humour féroce dans un langage « djeun », dialogues sans fin ponctués de « genre, » « grave », « connard » et autres insultes, le tout à prendre au second degré bien souvent. Cette rudesse de langage, cette paresse incommensurable cachent une sensibilité à fleur de peau et un désespoir sincère, on le sait bien, quand on a été adolescent.
Un beau personnage de professeur, une amie plus âgée de Mina rachètent un peu le monde adulte.

J’ai beaucoup aimé l’atmosphère, la peinture sociale et générationnelle, un peu moins l’intrigue autour du bac, qui a du mal à trouver sa fin, mais ce roman reste une belle découverte pour moi qui ne connaissais pas cet auteur.

Ce roman a obtenu le prix Vendredi, et c’est bien mérité !

 

 

Cornelius premier, l’enfant qui ne voulait pas être roi

Cornelius premier, l’enfant qui ne voulait pas être roi
Dominique Périchon – Illustrations Juliette Barbanègre
Rouergue dacodac 2020

La chose la plus importante dans la vie est le choix d’un métier…

Par Michel Driol

Le roman nous entraine dans un pays à la fois lointain et tout près d’ici, aux étranges coutumes. D’abord chacun n’y possède qu’un prénom, qui doit être différent de tous les autres prénoms. Ensuite tout le monde, dès qu’il est majeur – et on est majeur très tôt – devient roi. Non pas roi du pays, non, mais de quelque chose qui n’a pas encore choisi : des mésanges ou des éclairs au chocolat… Il doit aller devant le conseil des anciens annoncer son choix, et recevoir en échange une tâche plus ingrate à accomplir : ramoneur officiel ou soigneur de verrues. Mais Cornelius n’a pas d’idée… En route pour le grand beffroi où siègent les Anciens, il rencontre la glaneuse de feuilles qui lui donne un conseil : les Anciens ont l’esprit de contradiction. Cornelius saura mettre à profit ce conseil pour devenir ce qu’il a envie d’être.

Ce pays lointain est-il si différent du nôtre ? La couverture montre des personnages couronnés, vêtus d’hermine, pressés d’aller quelque part, se croiser sans vraiment se rencontrer…  une couronne suspendue, et un enfant, immobile, hésitant. Il n’est pas tant question d’enfant roi que d’enfants qui grandissent trop vite, à qui on demande trop tôt ce qu’ils veulent faire plus tard, d’insertion dans une société qui individualise chacun à l’extrême, et de l’incompréhension ou de l’animosité montrée à l’égard des jeunes par les plus anciens. Cornelius, comme tous les enfants, est partagé entre l’envie de grandir, de devenir majeur, et le poids d’une responsabilité trop grande à un âge où on ne se connait pas encore bien. Comment voir ses rêves se réaliser, s’incarner dans un monde hostile ? En connaissant le fonctionnement de ce monde, en étant rusé, en sachant trouver les mots appropriés.

Ce roman emprunte au conte nombre de ses marqueurs pour montrer son universalité. Outre le début, déjà signalé, on y croise une fée, certes dépourvue de pouvoirs magiques, mais capable d’écouter et de conseiller. Cornelius est confronté à un véritable rite de passage, une épreuve à franchir au sein du Beffroi. Quant au conseil des Anciens, il évoque ces personnages de conte poseurs d’énigmes, opposants malveillants plutôt qu’adjuvants. Le héros sera, comme tous les héros de conte, couronné roi, mais il est en quête de ce qui sera son identité sociale. Tout ceci est traité sur un mode léger, souvent drôle, dans une langue vivante, souvent proche de l’oral (encore un marqueur du conte !). La mise en page est soignée et inventive : lorsqu’arrive la nuit, les pages se font noires, et l’écriture blanche.  Les illustrations pleines de subtilité de Juliette Bérangère rythment bien l’ouvrage, dans un style qui n’est pas sans évoquer Tomi Ungerer  dans la profusion des détails, la fantaisie et l’allure des personnages, particulièrement expressifs, qu’ils soient menaçants ou bienveillants.

Un roman-conte plein d’humour, pour apprendre à déjouer des pièges tendus par les adultes, à écouter ses envies, et peut-être à se connaitre soi-même.