NEB

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Caroline Solé, Gaya Wisniewski
L’école des loisirs (médium), 2024

Jeux vidéo en procès

Par Anne-Marie Mercier

« Changer de planète », c’est le vœu le plus cher du personnage adolescent, Alex, qui raconte sa propre histoire. Il n’a pas d’amis, sa mère est morte dans un accident de voiture auquel, tout bébé, il a réchappé. Son père ne le comprend pas. Il dessine mais personne ne s’y intéresse. D’ailleurs il ne montre à personne ses dessins. Les illustrations de Gaya Wisniewski, en noir et nuances de gris, parfois en bleu, semblent être tirées du cahier d’Alex. Très sombres, tracées nerveusement, elles reflètent son état d’esprit.
L’histoire commence lorsqu’Alex découvre un jeu vidéo en ligne tellement addictif qu’il/elle (il crée un avatar avec un sexe indéterminé, cela aura une incidence sur la suite) y passe ses jours et ses nuits : gagner à ce jeu devient le but ultime de sa vie ; la victoire semble à portée de main… jusqu’à ce que son père confisque son portable et l’envoie en stage de déconnexion et apprentissage de l’anglais, en Angleterre. Une fois sur place, Alex découvre que le jeu a été arrêté pour cause de piratage. Les pirates lui envoient des messages montrant qu’ils ont aussi volé toutes ses données et ils lui proposent de continuer le jeu avec eux. Ils lui donnent rendez-vous dans un lieu mystérieux où Alex doit se rendre seul/e, la nuit… Le roman semble vouloir tourner au thriller.
Rencontrant les autres joueurs, Alex découvre que chacun d’eux est porteur d’une pathologie : syndrome d’anxiété, schizophrénie de profil, athazagoraphobie, assombrissement. Mais chacun d’eux aura une mission : orienter le jeu vers un futur meilleur. Les millions de fans du jeu voteront pour la direction qu’ils préfèreront. Ces jeunes gens de l’ombre sont alors exposés, sans leurs avatars, en pleine lumière.
La première partie du roman est intéressante, montrant la mécanique de l’enfermement progressif vécu par de nombreux adolescents. La rencontre avec les hackers l’est encore plus, tant par le suspense que par les informations qu’ils livrent. Ils démontent la stratégie des concepteurs de jeu qui crée l’addiction et mettent en évidence le fait que « quand c’est gratuit, c’est toi qui es le produit ». Ils donnent à Alex de nombreuses explications tantôt techniques, tantôt physiologiques (sur la molécule du plaisir et celle du bonheur, la dopamine empêchant la sérotonine de se développer), etc. L’addiction est décrite non comme un effet secondaire mais comme le but recherché. Parallèlement, on revient sur le rêve des origines des jeux en ligne : gratuité, coopération, fin des barrières géographiques, politiques et idéologiques, liberté enfin…
Si la fin est un peu décevante et en contradiction avec la noirceur initiale et le tempérament d’Alex, le roman reste intéressant et explique à travers la fiction le piratage généralisé de nos vies. Caroline Solé explore ainsi une autre facette des nouvelles formes de divertissement, après avoir dénoncé, avec La Pyramide des besoins humains, les jeux de télé-réalité. On devine qu’il pourrait y avoir une suite, ce qui expliquerait l’aspect un peu expéditif de la fin.

Voir un petit documentaire, sur les traqueurs et les voleurs de données (Arte).

 

 

 

 

 

Réclamez des contes !

Réclamez des contes !
Delphine Jacquot
Les Fourmis rouges, 2016

Belle salade de contes ! achetez ma belle salade, bien fraîche !

Par Anne-Marie Mercier

Pinocchio, la Petite Sirène, Barbe-bleue, la Petite marchande d’allumettes, la Reine de Blanche-Neige, enfin tous les personnages, héros ou ennemis de héros, des contes classiques ont eu un problème à résoudre. La magie n’étant plus de mise dans notre siècle matérialiste, on leur propose à travers des « réclames » à l’ancienne le produit miracle : le loup n’a plus faim, la reine narcissique ne doutera plus de sa beauté, Cendrillon ne perdra plus sa chaussure, le vilain petit canard sera sûr de grandir, la Petite Sirène aura le prince à coup sûr et sans douleur… le conte s’achèvera paisiblement, ou plutôt n’aura pas lieu d’être puisqu’il n’y aura plus de difficulté à résoudre.

La fausse magie du progrès matériel et les illusions qu’on nous vend sont vues ironiquement à travers ces pages de texte qui vantent les qualités d’objets, potions, lotions, ou entreprises, et livrent des slogans définitifs. Il sont accompagnés de superbes images en pleine page qui relèvent davantage de l’art que de la « réclame » et montrent des héros heureux et satisfaits, vivant en paix avec leurs ennemis, confortablement, ou s’« évadant » sans risque, comme la chèvre du professeur Serein, dans un univers virtuel.