L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants

L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants
Piret Raud
Rouergue

La petite maison dans la prairie

Par Michel Driol

La petite maison est triste d’être seule. Pourtant elle est belle et accueillante, avec ses motifs géométriques et ses roses. Elle part en quête d’un occupant, et rencontre successivement un chien, un poisson, un oiseau, un vagabond. A tous elle propose de se transformer pour les accueillir, mais tous refusent, avec des arguments sans appel : ils ont un déjà une niche, la mer ou un nid. Quant au vagabond, il préfère sa liberté. C’est alors qu’un fantôme demande à être hébergé. La petite maison et le fantôme pleurent ensemble, mais finalement sourient.

Piret Raud, auteure estonienne qui commence à être reconnue en France, signe ici un album étrange. Certes, il prend le contrepied du « Chacun cherche son toit » pour faire de l’héroïne de l’histoire la maison elle-même. Cela parle de solitude et de quête impossible de lien. La maison est prête à tout pour entrer en relation avec quelqu’un, prête à toutes les transformations – à toutes les altérations ou aliénations ? La voilà devenue niche, bateau, nid, mais ceux qu’elle rencontre n’en ont cure : ils ont déjà leur vie, leur monde, et n’entendent pas le changer, même s’il les contraint. Comme chez La Fontaine, le chien doit être très obéissant dans le jardin de Tata Anne, mais cela lui convient parfaitement, dit-il. A l’inverse, le vagabond avoue souffrir parfois d’être sans logis, mais aime bien cette situation. L’album se clôt sur une énigme : le fantôme n’existait pas, mais cela n’était pas un problème… la petite maison l’adorait. N’est-il que le produit de son imagination ? Ce dont elle a besoin pour être heureuse ? Cette fin ouverte ne manque pas d’intérêt, d’autant que les illustrations de la première et dernière page se font écho : c’est la même maison, dans le même cadrage, mais au début en pleine lumière, et à la fin en pleine nuit, sur une page très sombre.

Les illustrations de Piret Raud sont très particulières : illustration au point – chaque image est un amalgame de points serrés au crayon. Elle montre la métamorphose de la maison  à partir de quelques éléments graphiques, des roses qui deviennent roue par exemple. Les couleurs s’assombrissent de plus en plus, pluie et larme envahissent les pages, amplifiant le texte. Une mention particulière pour les représentations du chien et de l’oiseau, délicats entrelacs de courbes.

Un bel album en mi-teinte sur la solitude et la quête de l’autre.

De l’autre côté du ciel

De l’autre côté du ciel
Evelyne Brisou-Pellen
Gallimard (folio junior), 2002, 2016

Roman des origines

Par Anne-Marie Mercier

de-lautre-co%cc%82te-du-cielOn trouve dans ce roman de nombreux éclairages sur les hypothèses que l’on peut forger sur la naissance de la civilisation et sur ce que l’on sait de l’histoire des premiers hommes. Tout cela est entrelacé avec ce que l’on sait de tribus dites « primitives », pour décrire à la fois les mœurs de la tribu des deux héros, l’un fils de chef, l’autre fils de sorcier, partis en quête loin de chez eux, et celles de ceux qu’ils rencontrent dans leur voyage : les idées religieuses, le statut divers des femmes, les techniques pour s’orienter, faire du feu et le maintenir, cuire les aliments…, comme les débuts supposées de l’agriculture et de l’élevage, la naissance de la pensée scientifique…

Que la quête soit un échec et que celui-ci soit parfaitement assumé par le héros est une des originalités de ce très beau livre, bien mené, passionnant, aux personnages attachants.

Gregor, t. 1, La prophétie du gris

Gregor, t. 1, La prophétie du gris
Suzanne Collins

Hachette jeunesse, 2012

Envols souterrains

Par Anne-Marie Mercier

Voici une nouvelle série de Suzanne Collins – moins violente que Hunger Games, qui a fait tant de bruit dernièrement, avec son adaptation au cinéma – qui propose les aventures d’un héros plus jeune accompagné de sa toute petite soeur qui parle à peine. Il s’adresse donc à de plus jeunes lecteurs et certains seront déçus, d’autres contents.

Dans cette histoire captivante, Gregor et sa soeur Moufle se retrouvent dans un monde souterrain peuplé d’animaux gigantesques : cafards, chauves-souris, rats et araignées, et d’humains aux yeux violets et à la peau pâle. Ils participent à un affrontement entre divers peuples, volant à dos de chauves-souris dans des tunnels interminables ponctués de grottes belles et inquiétantes, mais toujours sombres, très sombres.

C’est aussi un mélange intéressant d’ingrédients très classiques du roman d’aventure : une quête (celle du père, disparu), une princesse rebelle, une trahison… L’histoire est portée par le dévoilement progressif du sens d’une prophétie mystérieuse – thème que l’on trouve depuis les romans de la Table ronde jusqu’à la science-fiction (Dune) en passant par Le Prince Éric – comme par une poésie des mondes obscurs assez attachante. Enfin, si le prénom du héros évoque celui de La Métamorphose de Kafka et si sa chute dans le monde souterrain ressemble fort à celle d’Alice, on est loin de ces chefs d’œuvre. Mais l’invention de ce monde, peu merveilleux mais très original, n’appartient qu’à Suzanne Collins (je crois) et l’ensemble est remarquablement bien organisé. Le dosage des éléments est savamment combiné : un peu de suspense, un peu de sentiment (pas trop), un peu de stratégie, beaucoup de conflits de loyauté, un peu de violence (pas trop), enfin, un monde imaginaire auquel on croit, bien taillé pour plusieurs volumes.

Une Chanson d’ours

Une Chanson d’ours
Benjamin Chaud
Helium, 2011

par Laura Imbert (master MESFC, Lyon1)

Cet album  fait partie des ouvrages sélectionnés pour l’opération « Premières pages », une « action de sensibilisation à la lecture par la découverte partagée d’un livre et d’une histoire, un lien privilégié entre enfants et parents. » Ce qui ressort surtout de cette opération est la notion de partage et de plaisir de la lecture, vue comme une activité que l’on peut partager en famille ; elle peut aider à recréer cette complicité entre parents et enfants, parfois difficile à retrouver dans les tracas quotidien de la vie moderne.

L’album est de taille conséquente. Les grandes et belles illustrations de Benjamin Chaud sont un réel plaisir pour les yeux grâce aux couleurs et au foisonnement des détails de chaque image. On aime passer du temps à contempler chaque page pour y analyser longuement les différents personnages hauts en couleur du dessinateur.

 L’histoire est simple toutefois : Un petit ours, une nuit, entend passer une abeille à côté de son terrier et se décide à la suivre; du coup, papa ours part à la recherche de son petit ourson.

Benjamin Chaud, au fur et à mesure des pages nous invite à chercher petit ours et cette abeille si convoitée à travers différentes questions. Cette activité de recherche peut aisément se faire à deux (parent et enfant, par exemple) car il est quelque fois difficile de retrouver les deux protagonistes, tant les images sont foisonnantes de détails. L’auteur se fait en effet un réel plaisir de corser la difficulté de page en page, en mettant même quelque fois le lecteur sur de fausses pistes…

L’auteur met en scène  de nombreuses scènes comiques où l’ours est en permanente contradiction avec son milieu. Son regard est également très touchant sur le monde moderne, et on ne peut que sourire de le voir faisant immersion dans la loge des danseuses, au beau milieu de l’opéra, et les confondant avec des volatiles.

Un album que je recommande pour ses  belles images et ses scènes cocasses.