Lilune

Lilune
Donatienne Ranc – illustrations d’Evelyne Mary
Colophon 2023

A la recherche d’une langue

Par Michel Driol

Lilune, ainsi nommée parce qu’elle est née un soir de pleine lune, ne pleure pas, mais ne parle pas non plus. A la place, elle fait danser ses mains. On pense qu’elle a donné sa langue au chat, ce qui incite ce dernier, Solal, à emmener Lilune à la recherche d’une langue. Sur la route, ils rencontrent un noisetier, un coquelicot, une truite, un coquillage qui chacun donnent quelque chose à Lilune. De retour à la maison, c’est une danse des mains et des doigts qui permet à Lilune et à ses parents de se parler.

Ce texte de Donatienne Ranc, comédienne, conteuse nous plonge dans un univers poétique par sa langue d’abord. Une langue imagée, rythmée, que l’on sent faite pour l’oralité avec ses reprises et sa prosodie. Par sa façon aussi de mêler le monde humain au monde naturel, par sa façon de donner vie aux arbres, aux animaux, aux plantes… Par sa façon enfin de raconter l’histoire d’une petite fille, comme dans de nombreux contes. C’est bien de conte merveilleux qu’il s’agit ici, pour une quête fondamentale, celle de la langue. De Lilune, on ne saura jamais si elle est muette. On saura juste sa façon de parler avec les mains, avec les doigts, dans une danse étonnante, comme une façon de parler à la fois de la différence mais aussi d’autres langages, langage du corps, langage des arts.

La particularité de Colophon, c’est que tous les ouvrages y sont composés et imprimés à la main, entendons par là avec de vrais caractères en plomb, à l’ancienne. Quant aux illustrations, ce sont deux linogravures signées d’Evelyne Mary, qui donnent vie aux éléments fondamentaux du récit, laissant toute la place au rêve et à la douceur.

Découvert cette année à la Fête du livre jeunesse de Saint Paul Trois Châteaux, Colophon mérite le respect pour sa façon de sauvegarder et de faire vivre toute la belle tradition humaniste de l’imprimerie..

Elisabeth sous les toits

Elisabeth sous les toits
Vincent Cuvellier et Guillaume Bianco (illustrations)
Little Urban 2023

La Môme Crevette

Par Michel Driol

Deux ans après la der des ders, Elisabeth, une jeune orpheline bretonne, munie d’une photographie de ses parents, se rend à Paris pour les retrouver. Avec l’aide de trois clochards, Pascal, Jérôme et le Fendu, elle parvient rue Marbeuf, retrouve la chambre où vivaient ses parents… Mais l’immeuble est envahi de Schmolls, petits êtres maléfiques, il héberge aussi un petit fantôme… Quant à la quête des parents, elle passera par de bien nombreuses péripéties tout à fait rocambolesques, et permettra de croiser nombre de personnages hauts en couleurs !

Ce roman est d’abord un beau livre, à l’ancienne, avec une couverture bien épaisse et dorée, une typographie aérée, et de nombreuses illustrations en noir et blanc qui montrent le pittoresque du Paris des années 20, et le petit personnage plein de vie qu’est l’héroïne au long nez et aux cheveux frisés, aisément reconnaissable. C’est ensuite un roman qui reprend les codes et les stéréotypes de la littérature populaire (au bon sens du mot) autour de personnages typiques : domestiques, apaches, Russe blanc chauffeur de taxi, gardien de prison, mauvais garçon couvert de tatouages, sans oublier quelques célébrités qu’on croise, parfois de façon anachronique (ce que souligne l’auteur !) : Cendras, Picasso.  Parmi ces codes narratifs, bien sûr, on retrouve la thématique de l’orpheline en quête de sa famille. Une héroïne bien décidée, courageuse, débrouillarde. Bref, elle n’a pas froid aux yeux, Elisabeth, malgré sa petite taille et on la suit dans son exploration du Paris des années 20, où chacun se souvient encore des horreurs de la guerre, dont il porte parfois les stigmates sur son corps. Ce réalisme des lieux (les Halles, la rue de Lappe), des situations (la vie dans un immeuble haussmannien), des personnages se mêle à une attraction forte pour le fantastique. Le fantastique du passage, et Elisabeth doit franchir un trou (de nature bien indéterminée) pour regagner sa chambre, le fantastique des êtres surnaturels comme les Schmolls qui vivent du chagrin des autres, ou l’enfant fantôme, que seule Elisabeth semble voir. Ces éléments fantastiques, à la fois discrets et omniprésents, apportent une note de fantaisie pure dans le récit. Les péripéties qui s’enchainent font de ce récit une véritable course contre la montre (dont on ne révélera pas ici la raison), au rythme de la java et du charleston, mais aussi d’une chanson de Damia Les Goélands. C’est envolé, bien dans la veine des Mystères de Paris, peuplé de personnages sympathiques sous leurs dehors parfois rudes.

Les illustrations sont souvent très complémentaires du texte, comme lorsqu’il s’agit de faire le plan de l’immeuble ou de le montrer en coupe. On apprécie tout particulièrement les scènes de groupes (rue de Lappe, aux Halles) ou la façon de croquer certains personnages à la limite de la caricature. Un peu d’humour supplémentaire dans ce roman qui n’en manque pas !

Un zeste de fantastique, un soupçon de mystère, une bonne dose d’amitié, et de l’aventure qsp, voilà quelques ingrédients qui font de roman un véritable page turner pour les jeunes lecteurs, qui, de surcroit, s’identifieront aux qualités de son héroïne !

Mais où est-elle ?

Mais où est-elle ?
Marie Mirgaine
Les fourmis rouges 2022

Une histoire échevelée

Par Michel Driol

Lorsque la magnifique – et remarquable – perruque jaune du héros s’envole, il  part à sa recherche, et croit la reconnaitre partout, dans des algues, un fromage coulant, voire un chat ou une vieille serpillière. Et lorsqu’il la retrouve, elle est devenue nid pour oiseaux, qu’il leur laisse bien volontiers…

Peu de texte dans cet album en randonnée qui repose sur le comique de répétition et des effets attendus, jusqu’au renversement final de la chute. Le texte : le monologue minimaliste du bonhomme, reposant sur l’alternance d’un « la voilà » et d’un « mais non… ». Les illustrations : à la fois des formes colorées pour le personnage, sorte de pantin animé, et un certain réalisme pour le décor. Tout se passe comme si on était spectateurs d’un théâtre d’ombres colorées, ce qui confère à l’album un petit côté magique dans la représentation des aventures de ce drôle de bonhomme et de sa quête de sa perruque. C’est drôle, plein d’imagination, suffisamment simple pour être bien adapté aux tout-petits qui, dès la première lecture, pourront à la fois anticiper sur l’échec du personnage, et être surpris des métamorphoses de cette perruque, que l’on voit partout ! Que dire de ce personnage que l’autrice n’hésite pas à monter coiffé d’un fromage coulant, d’une bouse de vache ou d’une vielle serpillère. On est dans une transgression bien carnavalesque ! Quant à la chute, elle montre un aspect bien sympathique du personnage, prêt à abandonner ce qu’il a de plus cher, afin de protéger la nature et les oisillons.

Un album en randonnée pour rire aux éclats aux dépends d’un drôle de personnage… à un âge où les cheveux commencent à  pousser sur la tête ! En tous cas, une histoire qui n’est pas tirée par les cheveux !

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Perdu dans la ville

Perdu dans la ville
Sydney Smith

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Rosalind Elland-Goldsmith
Kaléidoscope, 2020

Le chemin du retour ?

Par Matthieu Freyheit

Il n’est pas nouveau que la figure de l’enfant ou de l’adolescent puisse faire office de révélateur des troubles urbains, de ses dédales et de ses solitudes. Oliver Twist s’en faisait le héraut chez Charles Dickens, Holden Caulfield chez Salinger. Perdu dans la ville n’est cependant pas une énième histoire d’enfant aux prises avec les villes tentaculaires. Le choix de ne pas dessiner le visage du garçon (sauf, en de rares cas, des yeux inexpressifs), la dominante des gris, des noirs et du blanc, le choix climatique de l’hiver, de la neige et du vent, l’anonymat généralisé que souligne l’absence d’interactions laissent certes supposer une situation dominée par la perte, et les déambulations du personnage pourraient dans un premier temps confirmer cette intuition. Mais, d’autre part, l’adresse directe qui semble presque initier un dialogue et la formule qui se veut rassurante « Je te connais » laissent entendre une intimité plus grande. L’on découvre alors que les déambulations de l’enfant n’en sont pas, et que cette voix qui offre ses conseils est la sienne, qui donne sa personnalité et son expérience aux recoins de la ville et espère fabriquer un chemin sûr à celui qui, dans cette histoire, a vraiment disparu (quoique ?) : le chat !

Pas d’enquête, ici, mais la tendresse de vouloir offrir à l’autre ses lieux pour en faire bon usage. Les conseils formulés prennent alors un sens nouveau dès lors que le lecteur est avisé de l’identité du disparu : « Cette bouche d’aération souffle une vapeur chaude qui sent bon l’été. Tu pourrais te pelotonner dessous et faire une sieste. » Le retard avec lequel l’image donne sens au texte, le jeu des différés, le parcours du garçon que l’on suit au pompon de son bonnet, marqueur rond et rouge dans la grise géométrie de la ville, le silence que propose cette voix que l’on ne sait pas tout de suite à qui associer, le contraste entre les espaces pleins et les espaces vides : autant d’éléments qui forment une discrète poésie de l’espoir du retour, sans excès ni pathos. Un très bel album.

Noun et Boby

Noun et Boby
Praline Gay-Parra, Lauranne Quentric (ill.)
Didier Jeunesse, 2019

Sans mièvrerie

Par Christine Moulin

Il y a récit de quête et récit de quête. Dans la littérature de jeunesse, les parcours et les arrivées sont parfois stéréotypés et un peu mièvres. Rien de tout cela avec cet ouvrage au titre pourtant neutre. Le cadre fait la différence: un petit garçon, Noun, est seul, ou presque, dans une ville toute grise désertée, dévastée, par une guerre sans doute: les papiers collés qui la représentent en font un lieu fantomatique et oppressant. Le point de départ est également original et émouvant: Noun part à la recherche d’un chien, Boby, qu’une de ses voisines a abandonné, en s’enfuyant dans un taxi. Au cours de son périple, il est amené à sauver d’autres animaux que Boby: un  oiseau, qu’on peut voir comme un symbole de liberté, une chatte et ses petits, qui indique que la vie continue et qu’une renaissance est possible, au milieu du désastre. Tous les éléments qui peuvent signifier l’espérance sont dessinés et se détachent sur le décor, en particulier Noun, vêtu de rouge, qui souligne combien il est porteur d’une énergie généreuse qui l’emporte sur la pesanteur de la catastrophe. L’avant-dernière double page, par contraste avec les autres, est une explosion de couleurs et ouvre vers un lieu enfin accueillant, où se trouvent de nombreux animaux et… Boby, dont le collier rouge évoque le lien indéfectible avec son nouveau maître. La dernière double page est une merveille de tendresse apaisée. Heureusement car on aurait pu interpréter la descente de Noun vers le paradis des animaux dans un sens beaucoup plus tragique.

Laomer. La nouvelle histoire de Lancelot du lac

Laomer. La nouvelle histoire de Lancelot du lac
Pierre-Marie Beaude
Gallimard jeunesse, 2018

Lancelot à livre ouvert

Par Anne-Marie Mercier

Pierre-Marie Beaude était doublement qualifié pour écrire une suite des aventures de Lancelot dans une collection de littérature de jeunesse, tout d’abord parce qu’il est lui-même un excellent auteur dans ce domaine, et ensuite parce qu’il est aussi un adaptateur de romans de Chrétien de Troyes (Yvain, Lancelot, parus dans la collection « Folio junior. Textes classiques »). Il connait les ressorts des aventures et l’univers dans lequel elles se déploient, ni tout à fait archaïque comme dans la tradition arthurienne, ni tout à fait moderne, entre paganisme et chrétienté, entre sauvagerie et courtoisie.

Ainsi, Lancelot n’est pas mort… Il est parti incognito, comme il était arrivé, et s’est réfugié en terres d’Irlande où il a eu une nouvelle vie, une nouvelle famille, sous le nom de Robert de Laomer. Mais le passé, lui, n’est pas mort et vient introduire la tragédie dans cette vie paisible et cachée.

Lancelot part sur les routes pour retrouver le traitre qui a profité des incursions vikings sur les côtes pour faire détruire son château, assassiner sa famille, enlever sa belle-fille… Morgane est sur ses traces, et d’autres avec elle. Pendant ce temps, la belle-fille de Lancelot-Laomer, prisonnière des vikings, cherche à s’enfuir (on pense au beau roman de P.-J. Bonzon, Le Viking au bracelet d’argent, 1957) et à sauver ceux qui parmi les captifs des nordiques sont devenus ses amis.

Les trajets vers la Scandinavie, Le Groenland, l’Aquitaine, Venise (où l’on rencontre Marco Polo, l’action se passant au XIIIe siècle), le Mont Saint-Michel, la Mer d’Irlande plusieurs fois traversée, montrent un monde ouvert où l’on se fraie un chemin malgré les nombreux obstacles (bandits, inquisiteurs, ennemis de toute sorte…). C’est aussi un monde où les connaissances circulent, où les mondes se croisent (celui de la science et de la magie, celui de la religion et des saltimbanques), et où les jeunes gens se cherchent, cherchent leur voie, leur amour, leur idéal, leur destin, à la poursuite de l’ombre mythique du grand chevalier. La langue du récit est belle et souple, teintée parfois de termes anciens savoureux qui évoquent la tradition de Chrétien de Troyes, juste ce qu’il faut pour en avoir le sel, et pour avoir une furieuse envie de relire les aventures du jeune Lancelot et tout le cycle arthurien.

 

L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants

L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants
Piret Raud
Rouergue

La petite maison dans la prairie

Par Michel Driol

La petite maison est triste d’être seule. Pourtant elle est belle et accueillante, avec ses motifs géométriques et ses roses. Elle part en quête d’un occupant, et rencontre successivement un chien, un poisson, un oiseau, un vagabond. A tous elle propose de se transformer pour les accueillir, mais tous refusent, avec des arguments sans appel : ils ont un déjà une niche, la mer ou un nid. Quant au vagabond, il préfère sa liberté. C’est alors qu’un fantôme demande à être hébergé. La petite maison et le fantôme pleurent ensemble, mais finalement sourient.

Piret Raud, auteure estonienne qui commence à être reconnue en France, signe ici un album étrange. Certes, il prend le contrepied du « Chacun cherche son toit » pour faire de l’héroïne de l’histoire la maison elle-même. Cela parle de solitude et de quête impossible de lien. La maison est prête à tout pour entrer en relation avec quelqu’un, prête à toutes les transformations – à toutes les altérations ou aliénations ? La voilà devenue niche, bateau, nid, mais ceux qu’elle rencontre n’en ont cure : ils ont déjà leur vie, leur monde, et n’entendent pas le changer, même s’il les contraint. Comme chez La Fontaine, le chien doit être très obéissant dans le jardin de Tata Anne, mais cela lui convient parfaitement, dit-il. A l’inverse, le vagabond avoue souffrir parfois d’être sans logis, mais aime bien cette situation. L’album se clôt sur une énigme : le fantôme n’existait pas, mais cela n’était pas un problème… la petite maison l’adorait. N’est-il que le produit de son imagination ? Ce dont elle a besoin pour être heureuse ? Cette fin ouverte ne manque pas d’intérêt, d’autant que les illustrations de la première et dernière page se font écho : c’est la même maison, dans le même cadrage, mais au début en pleine lumière, et à la fin en pleine nuit, sur une page très sombre.

Les illustrations de Piret Raud sont très particulières : illustration au point – chaque image est un amalgame de points serrés au crayon. Elle montre la métamorphose de la maison  à partir de quelques éléments graphiques, des roses qui deviennent roue par exemple. Les couleurs s’assombrissent de plus en plus, pluie et larme envahissent les pages, amplifiant le texte. Une mention particulière pour les représentations du chien et de l’oiseau, délicats entrelacs de courbes.

Un bel album en mi-teinte sur la solitude et la quête de l’autre.

De l’autre côté du ciel

De l’autre côté du ciel
Evelyne Brisou-Pellen
Gallimard (folio junior), 2002, 2016

Roman des origines

Par Anne-Marie Mercier

de-lautre-co%cc%82te-du-cielOn trouve dans ce roman de nombreux éclairages sur les hypothèses que l’on peut forger sur la naissance de la civilisation et sur ce que l’on sait de l’histoire des premiers hommes. Tout cela est entrelacé avec ce que l’on sait de tribus dites « primitives », pour décrire à la fois les mœurs de la tribu des deux héros, l’un fils de chef, l’autre fils de sorcier, partis en quête loin de chez eux, et celles de ceux qu’ils rencontrent dans leur voyage : les idées religieuses, le statut divers des femmes, les techniques pour s’orienter, faire du feu et le maintenir, cuire les aliments…, comme les débuts supposées de l’agriculture et de l’élevage, la naissance de la pensée scientifique…

Que la quête soit un échec et que celui-ci soit parfaitement assumé par le héros est une des originalités de ce très beau livre, bien mené, passionnant, aux personnages attachants.

Gregor, t. 1, La prophétie du gris

Gregor, t. 1, La prophétie du gris
Suzanne Collins

Hachette jeunesse, 2012

Envols souterrains

Par Anne-Marie Mercier

Voici une nouvelle série de Suzanne Collins – moins violente que Hunger Games, qui a fait tant de bruit dernièrement, avec son adaptation au cinéma – qui propose les aventures d’un héros plus jeune accompagné de sa toute petite soeur qui parle à peine. Il s’adresse donc à de plus jeunes lecteurs et certains seront déçus, d’autres contents.

Dans cette histoire captivante, Gregor et sa soeur Moufle se retrouvent dans un monde souterrain peuplé d’animaux gigantesques : cafards, chauves-souris, rats et araignées, et d’humains aux yeux violets et à la peau pâle. Ils participent à un affrontement entre divers peuples, volant à dos de chauves-souris dans des tunnels interminables ponctués de grottes belles et inquiétantes, mais toujours sombres, très sombres.

C’est aussi un mélange intéressant d’ingrédients très classiques du roman d’aventure : une quête (celle du père, disparu), une princesse rebelle, une trahison… L’histoire est portée par le dévoilement progressif du sens d’une prophétie mystérieuse – thème que l’on trouve depuis les romans de la Table ronde jusqu’à la science-fiction (Dune) en passant par Le Prince Éric – comme par une poésie des mondes obscurs assez attachante. Enfin, si le prénom du héros évoque celui de La Métamorphose de Kafka et si sa chute dans le monde souterrain ressemble fort à celle d’Alice, on est loin de ces chefs d’œuvre. Mais l’invention de ce monde, peu merveilleux mais très original, n’appartient qu’à Suzanne Collins (je crois) et l’ensemble est remarquablement bien organisé. Le dosage des éléments est savamment combiné : un peu de suspense, un peu de sentiment (pas trop), un peu de stratégie, beaucoup de conflits de loyauté, un peu de violence (pas trop), enfin, un monde imaginaire auquel on croit, bien taillé pour plusieurs volumes.