L’Adorable ours des neiges

L’Adorable ours des neiges
Lionel Tarchala
Sarbacane, 2023

L’amitié, envers et contre tout

Par Anne-Marie Mercier

Les deux héros de Lionel Tarchala poursuivent leur vie et leur amitié tumultueuse dans un beau récit pour l’hiver. Petit Homme Poilu (c’est ainsi que l’ours désigne le trappeur) appréhende de passer l’hivers seul, sans la compagnie de son seul ami, Grosse Bête Velue. En effet, celui-ci doit hiberner.
Ils se rencontrant une dernière fois avant de se séparer. Ils passent tout près d’une vraie rupture, chacun se retirant en colère avec le regret de n’avoir pas dit à l’autre « que quoi qu’il fasse il restera toujours son ami ». Réconciliations, rires, découvertes de nouveaux plaisirs (ils inventent la luge) et création de nouvelles occupations pour l’hiver (le Petit Homme va avoir du travail pour réparer ce qu’ils ont cassé).
Les illustrations sont drôles, dynamiques, évocatrices, et simples. Elles vont à l’essentiel et se contentent de quelques couleurs dans une dominante de bleus et de blancs sur fonds blancs.  Paquets de neige, plaisirs des glissades et du retour au coin du feu, c’est un très bel éloge de l’hiver et un joli renversement des clichés :  l’abominable (homme des neiges) devient l’adorable, les distractions urbaines sont renvoyées à leur vacuité et la solitude est le plus beau cadre pour l’amitié.
On voit ce duo prendre ici vraiment forme, très agréablement, développant ce que le premier volume de leur histoire, un peu mince, avait laissé en suspens : on souhaite longue vie et de nombreuses aventures à cette belle équipe.

Le voyage sur la lune

Le voyage sur la lune
Isabelle Gil
L’Ecole des Loisirs, 2020

Quand on respecte les plus jeunes

Par Christine Moulin

L’album cartonné semble solide et prêt à supporter manipulations et morsures des tout-petits. Ce n’est pas pour autant qu’il cède à la facilité des imagiers sans originalité. Il propose une aventure, celle d’Ourson qui décolle pour un voyage dans l’espace. Le jeune lecteur a le droit à des péripéties et à … une chute, qui est aussi une célébration de l’amitié et des jeux partagés. Les illustrations, des photos très lisibles mais parfois joliment poétiques (quand, par exemple, il s’agit de représenter la lune), détournent des objets du quotidien pour en faire des engins spatiaux et célèbrent ainsi les pouvoirs de l’imagination. Le texte, tout simple, n’est pas plat: il comporte des dialogues, des onomatopées, des exclamations, voire, luxe suprême, des inversions du sujet (« Enfin arrive le jour du départ »). Autrement dit, on peut être exigeant tout en se mettant à la portée des bébés lecteurs et c’est une bonne chose!

Pombo courage

Pombo courage
Emile Cucherousset – Clémence Paldacci
MeMo Petite Polynie 2019

Une cabane dans les arbres

Par Michel Driol

Pombo est un ours qui aime le repos et la tranquillité, tandis que son ami Java est hyperactif. Mais, lorsque Java décide de construire une cabane dans les arbres, et, pour cela, a besoin de Pombo, les choses se gâtent. Comment convaincre Pombo  de monter sur l’arbre pour faire contrepoids afin de hisser le plancher au sommet ? Et que faire lorsque, la nuit venue, l’orage éclate, et que Java est en danger dans sa cabane ?

Pongo et Java sont deux ours bien sympathiques, de ceux qui sont plus de la race des nounours que de celle de grizzlys. Les illustrations nous les montrent menant une vie très humanisée, avec cabane confortable, rocking chair, poêle à bois et thé brulant… Ils symbolisent à la fois deux tentations des hommes, le gout du risque et l’amour de la tranquillité, mais aussi la force de l’amitié qui transcende les oppositions et les différences de caractère. Le récit est alerte, recourant souvent au dialogue et conduit du point de vue de Pombo, dont on suit les rêveries et les pensées, que l’on voit plus ou moins manipulé par Java, mais dont on apprécie finalement le courage. Les illustrations colorées, pleines de détails croustillants, situent l’action au cœur d’une profonde forêt, dans une civilisation qui évoque la Russie des contes (l’isba, les tapis).

Un récit pour parler de l’amitié, de l’adaptation à l’autre, dans un univers sympathique et attachant.

La petite boîte

La petite boîte
Yuichi Kasano, Diane Durocher (trad. du Japonais)
L’Ecole des Loisirs, 2021

La moufle, euh, non… la boîte

Par Christine Moulin

On ne compte plus les adaptations du conte slave La moufle. En voici une pour les tout-petits, de format carré, en carton résistant, qui met en scène non pas une moufle, mais un objet très riche, fantasmatiquement: une boîte!
L’histoire par accumulation est courte: peu d’animaux se présentent pour entrer dans la boîte et pour que cela aille plus vite, certains, tels les canards, viennent trois par trois. Ces animaux sont des classiques du répertoire de la maternelle: renard, élan, canards, donc, et ours. La situation est réduite à sa plus simple expression: on ne sait pas vraiment pourquoi tout le monde veut entrer dans la boîte, les conditions météorologiques ne semblant jouer aucun rôle, à la différence de ce qui se passe dans le conte originel. Pour le plaisir, sans doute?
Mais malgré ce dépouillement, cet album a de nombreux atouts: les animaux sont très mignons, avec leurs grands yeux malicieux, leur bouche souriante et leur expression très lisible. Le texte est varié: la narration est animée par des onomatopées et des dialogues enlevés.
Ce qui peut surprendre l’adulte qui connaît l’histoire, c’est la fin: la boîte n’explose pas, si bien que l’on peut chercher une nouvelle interprétation. Cela signifierait-il que l’on peut toujours accueillir autrui, même si les conditions matérielles ne semblent pas favorables? L’air réjoui des animaux, sur la dernière double page, laisse entendre que même serrés, on est bien, ensemble.

Encore une histoire d’ours

Encore une histoire d'ours
Laura et Philip Bunting
traduit de l'anglais (australien) par Rosalind Elland-Goldsmith
Kaléidoscope, 2020

Postmodernisme à la maternelle

Par  Christine Moulin

Tout commence normalement : "Il était une fois..." mais très vite, le protagoniste de l'histoire interrompt la narration pour protester: il y a trop d'histoires d'ours et cela l'empêche de dormir car il est toujours sur la brèche. Il s'ensuit une grève que l'auteur essaye de réprimer en ridiculisant et torturant son personnage, en une forme parodique de récit cumulatif, dont les références ne sont pas absentes: "Et il fit un gros bisou baveux à une grenouille pour la transformer en prince charmant". Après négociation, l'ours essaye alors de trouver un héros qui pourrait le remplacer. On se croirait alors dans la publicité, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, "Le casting de La-Vache-qui-rit" : à chaque fois que l'ours propose un animal, l'auteur oppose une objection, toujours drôle et souvent fondée sur un jeu de mots. A côté d'animaux bien connus, il y en a de plus surprenants, comme la roussette ou le poisson-globe, mais à tous les coups, la réplique de l'auteur fait mouche (non, il n'y a pas de mouche, pourtant...) . La chute en forme de compromis et de mise en abyme est un nouveau clin d’œil à un conte bien connu.

Le texte est émaillé de traits d'humour subtils comme lorsque l'ours énumère les "activités géniales", "par exemple, dormir, roupiller ou faire la sieste" ou lorsqu'une interrogation gourmande ("où est passé le saumon?"), quasi passée inaperçue, resurgit bien des pages plus loin, initiant les bambins à un procédé qui ressemble au  "set up pay off". Les illustrations sont malicieuses mais toujours lisibles. Bref, tout est délicieux dans cet album qui plaira sans aucun doute à l'adulte sommé de le lire mais également , peut-être pour d'autres raisons, à l'enfant qui l'aura embauché!

 

Bernie c’est mon ours

Bernie c’est mon ours
Janik Koat
Hélium, 2019

Un ours à l’infini

Par Anne-Marie Mercier

Six petits livrets dans un joli coffret, qui, posés à plat, forment un puzzle permettant de reconstituer la figure de… Bernie.
Il est partout, sur toutes les doubles pages, en pleine page, seul sur les cinq premières, tantôt jouant à différents jeux (ballon, toboggan…) , tantôt se déplaçant de différentes façons (en vélo, en trottinette, en avion… tantôt se cachant, changeant de couleur, comptant jusqu’à cinq… la sixième double pagede chaque volume le montre avec son ami, celui qui peut dire « c’est mon ours ».
Magnifique graphisme, « pépite » sur les ours, avec un ours imperturbable (et pour cause), quelle que soit la situation où son ami le met.

Un petit bijou à mettre sur l’étagère des beaux albums sur les (noun-)ours, par exemple avec Nours de Christian Bruel et Nicole Claveloux.

Vassilia et l’ours

Vassilia et l’ours
Françoise de Guibert – Laura Fanelli
Seuil Jeunesse 2019

L’ours qui voulait découvrir le village des hommes

Par Michel Driol

Vassilia et l’ours sont amis et se retrouvent tous les jours dans la forêt. L’ours aimerait bien accompagner la fillette au village, manger la soupe chaude, s’allonger sur un lit, mais elle refuse, pensant qu’il sèmerait la panique et risquerait d’y perdre la vie. Un matin, Vassilia le trouve à l’entrée du village, et le soir, il la suit, négligeant ses avertissements et ses pleurs. Par chance, l’ours profite d’un tourbillon de neige, des mauvais yeux de la grand-mère, de l’absence des parents et passe la nuit dans l’isba. Mais il fait des cauchemars, les bruits étranges de l’horloge le dérangent, et il préfère retourner dans la forêt.

L’album s’inscrit fortement dans les stéréotypes d’une Russie de tradition – isba, samovar, poêle sur lequel on dort – et ouvre au lecteur un champ imaginaire riche : c’est le lointain marqué par un hiver éternel qui signale le lieu du conte merveilleux dans lequel les enfants et les animaux peuvent se comprendre et devenir amis. Cette amitié passe par une complicité, une pensée de tous les instants, et la volonté de protéger l’autre qui ne serait pas forcément bien reçu. Chose que l’ours ne comprend pas qui, dans sa naïveté, veut aussi profiter des douceurs de la civilisation dont lui parle Vassilia. Mais la vie parmi les hommes est-elle possible pour un animal sauvage, habitué aux grands espaces ? Non, répond l’album, qui laisse chacun dans son espace : l’ours à l’extérieur, la fillette à l’intérieur, séparés par une fenêtre, mais amis.  Les deux personnages sont sympathiques et attachants dans leur contraste : l’ours, gosse bête souriante, entièrement mû par son désir de bénéficier des douceurs dont lui parle la fillette, et Vassilia entièrement mue par la volonté de protéger l’ours des dangers qu’elle pressent pour lui au village. Contraste entre la masse brune de l’ours, que l’on voit souvent danser devant la lune, son sourire et ses yeux expressifs qui font de lui l’archétype de l’enfant qui désire tout, tout de suite, et Vassilia, aux habits traditionnels (chapka, bottes…) colorés, que l’on sent mure et responsable, déjà une figure d’adulte bienveillante qui sait qu’on ne peut rien contre le désir.

Si la couverture nous montre les deux personnages dansant en pleine forêt,  les pages de garde nous conduisent  dans l’univers feutré de la maison, avec la reproduction des motifs de l’édredon qui servira de refuge à l’ours et à la fillette, mettant ainsi en page la dialectique entre la nature et la civilisation des hommes. Bien sûr, l’album parle de la différence avec subtilité, de la possibilité de vivre ensemble tout en respectant le lieu de l’autre, ses spécificités. Mais son intérêt est surtout dans la façon dont il entraine le lecteur dans un univers merveilleux et l’étrange hiver russe où l‘on retrouvera avec plaisir balalaïka,  poupées gigognes et isbas.

 

Tout doux

Tout doux
Gaetan Dorémus
Rouergue, 2018

Rouge et bleu

par Anne-Marie Mercier

Sur le principe du froid et du chaud, représentés par le bleu et le rouge, une histoire nous est racontée, celle d’un ours solitaire sur la banquise, dont le monde fond peu à peu.  Comme un réfugié climatique, il part…

Après un long chemin de froid et de chaud, il trouve une nouvelle maison, une compagne, le printemps,  l’été, et après un automne « tout doux », un enfant. Mais « tout doux » c’est aussi  le petit ours, nommé ici « Tiedy Bear »… Serait-ce l’origine de tous les ours en peluche ?
L’opposition de contraires amène la transformation : le froid et le chaud, le sec et l’humide, le haut et le bas, le masculin et le féminin,  le un et le deux…. Les maisons de glace ou de bois, le  fil des saisons, le temps pour faire un enfant, tout cela tient dans cette histoire, avec un fil rouge, celui d’une écharpe empruntée à un bonhomme de neige (tous les symboles de l’hiver sont là), et cette écharpe est… rouge évidemment !
Les images de Gaetan  Dorémus sont à la fois très simples et très riches : formes  juste dessinées, ou coloriées, crayonnées, diverses nuances de bleu et de rouge, vastes paysages nocturnes, petits intérieurs vus en transparence…  La narration, très concise (quelques mots, pas plus, des phrases nominales uniquement), exprime des idées simples, des constats et sensations ; mais les  personnages, muets mais très expressifs, disent l’inquiétude, l’effroi, la tristesse, le contentement, la surprise. Et cette histoire qui évoque au passage des sujets graves (pour le lecteur adulte) finit… tout en douceur.
Allez, hibernons encore un peu !

Le Miel des trois compères

Le Miel des trois compères
Richard Marnier, Gaëtan Doremus
Rouergue, 2014

Métaphysique des choix

Par Anne-Marie Mercier

Le Miel des trois compèresInstallons une situation : trois animaux amateurs de miel rencontrent un rayon de miel. Répétons la dix sept fois en proposant dix sept histoires différentes. On aura au bout du compte un exercice entre les Exercices de style et les Mille milliards de poèmes de Queneau : même style mais exploration des possibles.

C’est surtout sur le plan des rapports entre eux que ces « compères » font preuve d’inventivité, de la négociation à sa parodie, de la fable à l’explosion délirante.

Loup, renard, ours sont ici en compétition ; c’est souvent l’ours qui gagne : force brute, innocence un peu épaisse font mieux que ruse et cruauté.

Sylvain et SylvetteEt ces compères font penser au Roman de Renart et à Sylvain et Sylvette !

Poupoupidours

Poupoupidours
Benjamin Chaud
Helium, 2014

L’art du rebond

Par Anne-Marie Mercier

Depuis UnePoupoupidours Chanson d’ours, on attend avec impatience la prochaine escapade du petit ours de Benjamin Chaud… et on n’est pas déçu ! Poupoupidours est un festival d’inventions, de surprises, une promenade infinie (ou presque) que l’on fait à la suite du petit ours. Il se réveille au début de l’album, par un beau matin de printemps, seul dans la tanière familiale – où sont passés les parents? Nullement inquiet, heureux de partir à l’aventure, après avoir traversé une forêt (très peuplée), un monde souterrain (idem : on y trouve même Alice en train de tomber à la suite du lapin pressé), petit ours arrive dans un cirque où il voit se produire ses parents en équilibristes. Il participe à leur spectacle, et découvre dans les bras de sa maman un ours encore plus petit que lui, Tout petit ours.

Outre le charme des images, pleines de détails facétieux et poétiques, le dispositif d’enchainement des double page est particulièrement réussi : dans chaque page de droite, petit ours se trouve face à un trou qui lui fait apercevoir la double page suivante : trou dans le sol, tuyau de canalisation, rideau, cercle de feu du dompteur, gueule de dragon… petit ours franchit tous les obstacle et passe à travers toutes ces ouvertures, jusqu’à ce qu’il en trouve une trop petite pour qu’il s’y engouffre, « une boite si minuscule que petit ours ne pourrait s’y blottir même s’il le voulait » posée sur le ventre de sa maman. Eh oui, on peut franchir tous les obstacles, mais pas revenir d’où l’on est né… Un autre, plus petit que lui, est installé dans cette « boîte », et en sort pour participer au spectacle de la famille.

Pour voir et entendre, sur vimeo