Le livre des beautés minuscules

Le livre des beautés minuscules
Carle Norac illustré par Julie Bernard
Rue du monde 2019

Le parti pris des choses et le compte-tenu des mots

Par Michel Driol

36 poèmes pour murmurer la beauté du monde : le sous-titre explicite le titre, et cet accord ou cette tension entre la beauté des choses et du monde et les mots que l’on murmure. 36 poèmes qui se présentent le plus souvent comme un dialogue entre un « je » et un « tu ». Si le « tu » recouvre presque toujours la figure du lecteur – que l’on devine enfant, le « je » peut prendre différentes figures : celle signalée de l’auteur, qui s’adresse à son lecteur, qui indique qu’il écrit dans le texte, qui parle de son poème… Mais c’est aussi le jardinier à qui le texte cède la parole, le soleil, le temps, le vent, les grains de beauté… Il y a ainsi toute une façon d’animer – au sens propre de donner la vie –  le monde, en étant sensible à ce qu’il a à dire dans sa diversité.

Ces beautés minuscules sont une évocation de la nature (la lune, le soleil, le vent, différents animaux), mais aussi du temps qui passe (évocation de la mort du grand père suivie de celle des premiers mots adressés à une fillette qui vient de naitre), des relations surtout lorsqu’elles sont marquées par la difficulté à se dire ou la timidité. Comme un fil conducteur revient la dimension du langage et des mots, du poème : ces mots comme des cailloux qu’on ramasse pour en faire une phrase, ces expressions qui sont des clichés, ce poème qu’on écrit dans le train, celui que l’on rêve beau, celui que l’on glisse dans la poche. La beauté est autant dans le monde qu’il faut prendre plaisir à regarder, dans les gens qu’il faut prendre plaisir à aimer que dans les mots qu’il faut prendre plaisir à manier tant dans la lecture que dans l’écriture.

Un recueil qui invite à murmurer, à regarder autant en soi qu’à l’extérieur, pour répondre à la dernière question posée au lecteur
de quoi te parle-t-elle
en secret, la beauté ?

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

Qu’est-ce que tu vois ?

Qu’est-ce que tu vois ?
Stéphane Sénégas

Kaléidioscope, 2011

par Chantal Magne-Ville

La philosophie de cet album est sobrement résumée dans la maxime de Flaubert gravée sur le sable d’une plage de l’océan : « Pour qu’une chose soit intéressante, il faut la regarder longtemps ». Ce n’est pourtant pas l’avis du jeune narrateur que ses parents viennent d’abandonner pour une longue semaine chez son oncle Horace, gardien de phare. Comment survivre en étant privé de tout ce qui fait les charmes de la vie urbaine ? Les échanges entre l’oncle et le neveu, difficiles au début, se résument à cet échange : « Qu’est-ce que tu vois ? – Pourquoi ? Il y a quelque chose à voir ? ».

Et pourtant, en effet, il y a beaucoup à voir et à sentir. Le phare permet de multiplier les perspectives en une thématique du haut et du bas très poétique. L’image alterne les plongées vertigineuses dans le colimaçon de l’escalier avec des diagonales inédites qui inversent le sens de la lecture de droite à gauche et obligent l’œil à des détours panoramiques très réussis. Les crayonnés et l’ombre du papier confèrent des nuances chaudes, voire nostalgiques à la côte atlantique portugaise, ainsi qu’une maxime gravée sur une pancarte nous l’indique. Les couleurs contrastent fortement d’une double page à l’autre : elles se teintent violemment d’orange au couchant, ou s’embrument le matin. Stéphane Sénégas a réussi à saisir les changements de lumière ainsi que les émotions des personnages avec un trait minimaliste qui s’attache surtout aux regards. Entre la pêche au crabe et l’observation des nuages, le temps a passé très vite et l’enfant comme le lecteur ont appris à voir sans pour autant devenir contemplatifs !