Les Filles ne montent pas si haut d’habitude

Les Filles ne montent pas si haut d’habitude
Alice Butaud illustré par François Ravard
Gallimard jeunesse 2021

Si dissemblables et pourtant…

Par Michel Driol

D’un côté, il y a Timoti, garçon rêveur, un peu peureux, qui vit avec son père. De l’autre, il y a Diane, qui fait irruption dans sa chambre, et l’entraine dans une fugue échevelée et pleine de surprises. Jusqu’à ce qu’elle lui révèle qui elle est en réalité.

Voilà un roman enlevé et jubilatoire qui met en scène deux héros que tout oppose, et qui incarnent chacun, à leur façon, des stéréotypes, ou plutôt des contre-stéréotypes. C’est le garçon solitaire, pantouflard, ordonné, prévoyant – ne fugue-t-il pas avec sa valise à roulettes pleine de choses indispensables ? C’est la fille originale, intrépide, pleine d’énergie, d’envies, débrouillarde, entreprenante… Garçon manqué, aurait-on dit autrefois. La fugue de ces deux personnages fort différents les conduit à se découvrir, à affronter les mêmes dangers (une incroyable chasseuse à la casquette orange !), à partager les mêmes joies. Belle galerie de personnages secondaires : un père secrétaire à domicile, fabricant amateur de coquetières, qui, par erreur, étourderie, a donné à son fils le prénom d’un shampoing…, un facteur, et une mère partie faire du yoga aux Indes. Tout ce petit monde va se retrouver pour le plus grand plaisir de chacun et du lecteur bien sûr, qui va de surprise en surprise. L’écriture pleine d’humour – en particulier dans les dialogues vivants et piquants – raconte des aventures pleines de fantaisie. Ce tendre duo nous conduit petit à petit vers un dénouement inattendu, sur fond très actuel de relations familiales complexes, avec leurs difficultés, mais aussi leur réussites.

 Un « feel-good » roman d’apprentissage, aux situations souvent cocasses, plein de tendresse et de respect pour ses personnages, dont on sort ragaillardi !

 

 

Quand je suis toi & tu es moi

Quand je suis toi & tu es moi
Preston Norton
La Martinière jeunesse 2020

On a échangé nos corps

Par Michel Driol

Ezra Darvent est un garçon tourmenté, insomniaque, qui rêve d’inviter Imogen au bal de fin d’année. Fan de Johnny Depp, il anime une chaine Youtube parodique et très populaire, mais dont il ne parle pas à ses amis. A la suite d’une éclipse, le voilà qui change de corps avec  Wynonna, tout en gardant ses propres pensées. Ces changements de corps interviennent à intervalles plus ou moins réguliers, avec la crainte qu’ils ne soient définitifs. Vont-ils aider les deux adolescents, à l’aide du corps de l’autre, à régler leurs propres problèmes ?

Ce récit fantastique à la première personne pose la question du genre et de l’identité. Qui sommes-nous ? Comment se construisent nos relations avec les autres, amitié, amour, découverte de la sexualité. Au-delà de la découverte du corps étranger de l’autre auquel il faut bien s’habituer, le roman permet aussi de découvrir les fêlures secrètes, familiales, de ces deux adolescents, dans une petite ville américaine où tout semble lisse et bien réglé. La question du travestissement est aussi mise en abyme avec la comédie montée par la troupe de théâtre du lycée, La Nuit des rois.

Un récit original plein de rebondissements, de quiproquos pour aborder les questions de l’affirmation de soi, de la construction de l’identité et des relations entre garçons et filles.

Pour l’honneur de la tribu

Pour l’honneur de la tribu
Wendy Constance (traduit de l’anglais par Marie Leymarie)
Gallimard jeunesse, 2015

Jusqu’au bout du monde

Par François Quet

Un gros roman (328 pages), une histoire indienne d’avant l’histoire, deux points de vue (celui de Cheval Sauvage, un jeune garçon, et celui de Mésange bleue, une jeune fille), deux aventures qui n’en font bientôt plus qu’une, une trajectoire épique qui conduit les héros à travers forêts, montagnes et rivières jusqu’au bout du monde. Il ne fait aucun doute que l’histoire plaira : l’auteur a fait ce qu’il faut pour cela. Les héros ont tous deux rompu avec leurs tribus et leurs poursuivants ne sont jamais loin. Un bébé tigre est leur compagnon de route, mascotte assez peu commune pour éveiller l’intérêt et dotée d’une toison assez douce pour inspirer l’affection. Le froid, la neige, la faim, les loups, les rivières ou la tempête sont des obstacles saisissants dont les jeunes héros finissent par triompher.

L’auteur s’est appliquée à rendre la violence tolérable et les héros ne se rendent directement coupables d’aucun crime, même pour se défendre. On imagine qu’aucun animal n’a eu à souffrir de mauvais traitement pendant l’écriture du roman. Et l’auteur a bien pris garde à ce que l’héroïne soit aussi vaillante que son compagnon : les efforts de Cheval Sauvage pour laisser Mésange Bleue s’activer près du feu quand il va chasser s’arrêtent vite lorsqu’il découvre que la jeune fille peut chasser aussi bien que lui, et qu’à deux on obtient de meilleurs résultats.

On l’aura compris, il s’agit d’un bon livre, bien fait et très « politiquement correct ». Trop peut-être. On aimerait parfois que sa sagesse laisse davantage parler l’humour ou la fantaisie et qu’une part d’imprévu vienne dérégler le déroulement parfait d’une aventure un peu trop irréprochable.