La Bataille des grenouilles et des souris

La Bataille des grenouilles et des souris
Daniele Catalli d’après Homère
Editions amaterra 2017

Vous connaissez la batrachomyomachia ?

Par Michel Driol

Texte aujourd’hui peu connu de l’antiquité, la Batrachomyomachia, attribué sans doute par erreur à Homère, est une épopée burlesque parodiant l’Illiade.  Très souvent adapté au XVIème et au XIXème siècles, il est aujourd’hui tombé dans l’oubli. Voici que les éditions Amaterra publient la belle adaptation qu’en font  Daniele Catalli et Claudio Malpede, dans une traduction très pertinente de Séverine Petit. Une dispute éclate entre une souris et une grenouille pour l’accès à un point d’eau. Le batracien propose alors à la souris de visiter son royaume, en montant sur son dos. Hélas, un serpent surgit, ce qui entraine la noyade de la souris. Cet épisode est le prétexte d’ une guerre sanglante entre les deux communautés. Arrivent aussi les alliés : une loutre, des crabes…  Au plus fort de la bataille, deux héros sont désignés pour se battre en duel et décider du sort de la journée. Tous deux meurent, la bataille n’aura servi à rien, et la pluie en efface les traces.

Cette adaptation actualise fortement le  texte afin de rendre ce combat contemporain. On y croise donc un piège à souris, des allumettes, des capuchons de stylos.  La traduction très rabelaisienne joue aussi avec les noms des protagonistes. Côté grenouilles, citons Placidus Dumarais, le héros, Lagadoue, Criardin ou encore Joufelu. Côté souris, on trouvera Grippemiette, Croquejambon ou Creusefromage. Mais la parodie du style  « antique » préserve les généalogies des héros, les discours de guerre, les récits homériques des combats, évoquant la succession des combats et égrenant les noms des morts des deux camps. Lorsqu’à la fin tout est dévasté, Longsaut peut pleurer Mulo, son compagnon d’aventures…

Les illustrations, crayon et aquarelle, regorgent de détails pittoresques. Les pages découpées laissent apercevoir les horreurs à venir ou laissent apparaitre, dans les pages déjà vues, une tête de mort sinistre.  Quant à la dernière page, ornée de trous ronds, elle semble trouée de larmes. De beaux cadrages aussi, qui mettent en valeur la pagaille de la bataille ou la grandeur burlesque des deux héros.

Un bel album très contemporain  qui ressuscite pour notre plus grand plaisir un texte oublié de l’Antiquité.  Les lecteurs enfants prendront plaisir à cette histoire burlesque montrant l’absurdité des guerres, les lecteurs plus âgés y gouteront la parodie de l’Illiade. Les deux citations en exergue – de William Golding ou de Placidus Dumarais – rappellent non sans pessimisme que personne n’apprend jamais rien de l’histoire, et que personne ne survit vraiment à la guerre.

 

Pour l’honneur de la tribu

Pour l’honneur de la tribu
Wendy Constance (traduit de l’anglais par Marie Leymarie)
Gallimard jeunesse, 2015

Jusqu’au bout du monde

Par François Quet

Un gros roman (328 pages), une histoire indienne d’avant l’histoire, deux points de vue (celui de Cheval Sauvage, un jeune garçon, et celui de Mésange bleue, une jeune fille), deux aventures qui n’en font bientôt plus qu’une, une trajectoire épique qui conduit les héros à travers forêts, montagnes et rivières jusqu’au bout du monde. Il ne fait aucun doute que l’histoire plaira : l’auteur a fait ce qu’il faut pour cela. Les héros ont tous deux rompu avec leurs tribus et leurs poursuivants ne sont jamais loin. Un bébé tigre est leur compagnon de route, mascotte assez peu commune pour éveiller l’intérêt et dotée d’une toison assez douce pour inspirer l’affection. Le froid, la neige, la faim, les loups, les rivières ou la tempête sont des obstacles saisissants dont les jeunes héros finissent par triompher.

L’auteur s’est appliquée à rendre la violence tolérable et les héros ne se rendent directement coupables d’aucun crime, même pour se défendre. On imagine qu’aucun animal n’a eu à souffrir de mauvais traitement pendant l’écriture du roman. Et l’auteur a bien pris garde à ce que l’héroïne soit aussi vaillante que son compagnon : les efforts de Cheval Sauvage pour laisser Mésange Bleue s’activer près du feu quand il va chasser s’arrêtent vite lorsqu’il découvre que la jeune fille peut chasser aussi bien que lui, et qu’à deux on obtient de meilleurs résultats.

On l’aura compris, il s’agit d’un bon livre, bien fait et très « politiquement correct ». Trop peut-être. On aimerait parfois que sa sagesse laisse davantage parler l’humour ou la fantaisie et qu’une part d’imprévu vienne dérégler le déroulement parfait d’une aventure un peu trop irréprochable.

Troie. La guerre toujours recommencée

Troie. La guerre toujours recommencée
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2012

Homère, poète pour la paix

Par Anne-Marie Mercier

Troie. La guerre toujours recommencéeHomère en bande dessinée ? Vous n’y pensez pas ? Comment rendre le rythme, la complexité, la dimension épique et la longueur du récit – par exemple, le fameux catalogue des vaisseaux si ennuyeux, hein, dites-moi un peu ?

– Eh bien si, c’est possible : allez donc lire Troie de Yvan Pommaux et vous verrez.

Bien sûr, le début correspond à ce qu’on attend dans un album pour enfants : l’historiette de la pomme de discorde et la dispute entre les trois déesses pour savoir laquelle d’entre elles est la plus belle, cela ressemble à tout prendre à un conte, La Belle au bois dormant ne commence-t-elle pas ainsi ? Les couleurs pastel, le rose aux joues… tout cela ne dure en fait que deux doubles pages. La suite, eh bien, c’est… la guerre. Couleurs terreuses, sable, brun, et gris, ciels nocturnes ou rouge sang, corps emmêlés, mer infinie. Comme c’était le cas pour Thésée mis en textes et images par le même auteur, le souffle épique est bien là, dans l’espace de la double page. Cet album n’est pas une BD mais un espace mêlant textes et images de multiples façons. Par exemple, le catalogue des vaisseaux est bien là, en texte concentré et en images, chaque paragraphe étant accompagné d’une vignette :

« Pénélos, Leitos, Arcésilas et Prothoénor emmènent les guerriers des villes de Scolos, Théopie, Ilésion et bien d’autres, toutes situées en Béotie.

Les frères Ascaphos et Ialménos commandent aux gens d’Asplédon d’Orchomène… »

L’auteur a choisi la bonne manière de mettre en scène cette liste, linéaire, répétitive et pourtant variée, impressionnante et tragique. Car la guerre vue par Homère et par Pommaux n’est pas belle, à peine héroïque : la fin est escamotée. Pas de victoire ni de sac de Troie, on s’arrête à la mort d’Hector. Les enfants d’aujourd’hui, mis en scène comme auditeurs du conte raconté par un adulte, s’indignent : « C’est pas une fin, ça ! Qui a gagné la guerre et que devient Achille ? Et Hélène ? »

A quoi l’adulte répond : « En arrêtant là son histoire, le poète voulait peut-être suggérer que la guerre ne se terminerait pas. Qu’elle en enfanterait d’autres, indéfiniment. Qui remporta la victoire ? Gagne-t-on jamais une guerre ? En vérité, tous ceux qui a font la perdent. Passés les jours de liesse, les vainqueurs se trouvent tout aussi accablés que les vaincus. Imprégnés de dégoût, ils pleurent leurs morts, les villes détruites, les terres brûlées ». Néanmoins, il indique le sort de chacun, tragique, s’arrêtant à celui d’Ulysse, trop long à raconter et le réservant pour une autre histoire…

 

Les Enfants du Dieu soleil

Les Enfants du Dieu soleil
Odile Weulersse

Casterman (épopée), 2001

La mythologie égyptienne est-elle soluble dans la littérature de jeunesse?

par Anne-Marie Mercier

Les enfants du Dieu soleil.gifLes histoires des dieux de l’Égypte ancienne, autrefois présentées sous forme de plusieurs récits autonomes (on se souvient de la belle collection « Contes et légendes » de Nathan), sont ici réunies en un roman par Odile Weulersse, bien connue pour ses romans historiques.
La création du monde, la séparation du ciel et de la terre, la naissance des dieux, le meurtre d’Osiris et la quête d’Isis, tout cela forme une saga présentant une certaine unité. C’est à la fois le mérite et la limite de cette entreprise qui propose une lecture continue de textes d’époques et d’origines diverses. Une annexe en fin de volume permet de rétablir une perspective historique. Ainsi on donne au lecteur à la fois la possibilité d’une lecture naïve et d’un recul critique. L’ensemble est assez réussi, même si le projet est discutable, accentuant par trop l’aspect « histoire familiale » des mythes au détriment de leurs autres aspects.
Cela n’en fait  pas une épopée comme pourrait le faire croire le titre de la collection qui regroupe bizarrement aussi bien des textes qui s’en rapprochent comme l’Iliade et l’Odyssée que des textes pour lesquels on ne peut qu’être perplexe : Pinocchio, Sindbad le marin, etc. le terme de « classique » aurait sans doute mieux convenu mais ce serait moins bien inscrit dans les programmes de 6e du collège… Le nom de la collection dans laquelle il a paru en 2007, « les romans des légendes » (Pocket), était mieux choisi.
Ces remarques peuvent s’étendre à d’autres types d’oeuvres, les adaptations d’épopées. En effet, la plupart (je pense entre autres au cycle du Graal repris par Montella et à l’Odyssée de Honacker) opèrent un transfert de genre en adaptant : l’épopée se fait pour l’un roman d’aventures et d’amour, pour l’autre roman fantastique, et pour les deux, roman de formation : l’épopée ne serait-elle plus (ou pas) soluble en littérature de jeunesse? Voilà une belle question pour un colloque!