Les Printemps

Les Printemps
Adrien Parlange
La Partie, 2022

Année après année, l’ éternel retour

Par Anne-Marie Mercier

Ces printemps, au pluriel, ce sont ceux que le narrateur a vécus et dont il se souvient, depuis ses trois ans jusqu’à ses 85 ans, moment où il peut affirmer « je n’ai jamais autant aimé le printemps ». Chaque double page présente une phrase à droite, sur la « belle page »,  alors que l’image est à gauche, choix inhabituel : le texte est ainsi mis en avant malgré sa brièveté.
C’est que chacun des souvenirs évoqués est important : le premier souvenir, le premier fruit cueilli, la première peur, le premier amour, la première trahison, le premier grand voyage, le premier travail, jusqu’à la naissance d’un enfant et la répétition avec lui des étapes vécues. S’y ajoutent les liens d’amour. Dans les images esquissées au trait sur des fonds unis monochromes de différentes couleurs, on voit s’inscrire la silhouette de la mère, du père, du grand-père, de l’enfant, de l’épouse, etc.
L’album cartonné avec des découpes pourrait faire penser qu’il est principalement destiné à de très jeunes enfants, ce n’est pas le cas : il s’adresse à tous les âges. Les uns y verront ce que leurs parents ont parcouru, d’autres y trouveront un récit de leur vie, d’autres verront les étapes parcourues et celles qui restent à venir, avec un même esprit de sérénité et d’acceptation de ce que chaque printemps apporte ou enlève. Les étapes de la vie sont de plus choisies sans trop de conformisme : des expériences apparemment minimes étant mises sur le même plan que les étapes de la vie habituellement mises en avant. C’est ainsi une belle approche de ce qui peut composer une vie humaine.
La subtilité du jeu des découpes fait qu’on peut lire le livre à tout âge et de différentes manières. On peut l’aborder de façon linéaire ou en mettant en parallèle des expériences proches : les pages liées au grand-père, quoique éloignées sont ainsi rapprochées, comme celles de la rencontre avec un serpent, etc. Les parties évidées mettent en évidence sur plusieurs pages un même détail, l’avant dernier étant celui qui représente une main d’enfant tenant une main d’adulte, et le dernier faisant le lien entre la première et la peut-être dernière fraise sauvage (hommage à Bergman ?). Toute une vie en printemps, bellement et discrètement évoquée dans ce bel objet subtil à découvrir encore et encore…

L’Etranger

L’Étranger
Chris Van Allsburg
Traduction (anglaise, USA) de Chrisitane Duchesne
D’Eux, 2022

            Allsburg solaire

Par Anne-Marie Mercier

Un nouvel album de Chris Van Allsburg est un tel événement qu’on ne va pas se priver de le célébrer plutôt deux fois qu’une (et n’est-il pas publié par les éditions D’Eux ?). Je renchéris donc sur la belle chronique de Christine Moulin dans lietje qui célébrait sa beauté et sa générosité. C’est un album solaire, aussi bien par ses couleurs (magnifiques, aux crayons de bois, qui rappellent un Allsbug coloriste que l’on connaissait depuis Boréal express et surtout L’Epave du Zéphyr), que par son histoire. C’est aussi comme la plupart de ses albums, une énigme à laquelle chaque double page semble donner un fragment de réponse sans que jamais le puzzle ne soit complet.
Tout se passe en fin d’été, dans une belle lumière rasante, même lorsque l’automne semble avoir gagné tous les bois avoisinants : l’étranger amnésique et muet, recueilli par la famille Bailey après un accident, aurait-il le pouvoir, par sa présence, d’arrêter le temps ? ou bien le cycle des saisons ? D’autres pouvoirs semblent l’habiter : il est infatigable, il a un contact particulier avec les animaux, un souffle qui est comme le vent, une température anormale… Mais sa présence est une bénédiction pour tous. Qui est-il ? et d’où lui viennent ces vêtements étranges, en cuir brut ?
Devant ces belles images parfois étranges, le temps s’arrête en effet et on aimerait rester encore un peu avec cet étranger, ou du moins y revenir souvent, comme le suggère la dernière double page. Un automne trompeur est bien là, pour un perpétuel recommencement, invitant à reprendre la lecture au début.