Renversante

Renversante
Florence Hinckel
Ecole des loisirs –Neuf – 2019

Monde à l’envers ?

Par Michel Driol

Les deux jumeaux Léa et Tom vivent dans un monde où le féminin l’emporte sur le masculin, où la majorité des rues et des établissements scolaires portent des noms de femmes, et où ce sont les hommes qui s’occupent des enfants. Bien sûr ce sont les filles qui jouent au foot alors que les garçons jouent en périphérie de la cour à l’élastique. Et ainsi de suite… Dans le monde de Léa et Tom, nos stéréotypes de genre sont inversés, mais certains hommes pensent à un autre monde possible, tandis que Léa et Tom prennent conscience de ce que leur société a d’injuste.

Florence Hinckel propose là  un petit roman réjouissant  en prenant à rebrousse-poil notre langue et certains de nos comportements. Si la norme est le mot poétesse, certains trouvent le mot poète très laid, car il fait pouet, pouet… Il s’agit, on le voit, de proposer des contre stéréotypes dans tous les domaines : langue, vie quotidienne, travail, littérature, art…  pour nous conduire à réfléchir sur les nôtres, et s’interroger sur les inégalités entre hommes et femmes. Tout est vu du point de vue de Léa qui vit avec une double contrainte : assumer son rôle social de femme et défendre et protéger son frère. Une mention particulière pour les deux parents qui militent eux aussi pour établir d’autres relations, plus équilibrées, entre hommes et femmes. Car il est ridicule de vouloir une société qui fonctionne sur la domination des uns sur les autres.

On apprécie en particulier la démonstration par l’absurde et la façon dont le roman rend compte d’une idéologie à l’envers de la nôtre, qui trouve donc naturel que les hommes s’occupent des enfants – en le justifiant par des arguments  qui paraissent solides – et nous conduit à nous interroger sur ce qu’il y a de culturel dans la construction du genre dans notre société.

Un roman facile à lire qui permettra d’engager la discussion sur les relations filles –garçons, et qui plaide pour une société plus égalitaire.

Le Fils des géants / La Princesse et le dragon

Le Fils des géants
Gaël Aymon, Lucie Rioland
Talents hauts, 2013

La Princesse et le dragon
Robert Munsch, Michael Martchenko
Talents hauts, 2014

Deux illustrations du talents de Talents hauts

Par Anne-Marie Mercier

Le Fils des géLe Fils des géantsants est d’abord une histoire d’abandon (le roi et la reine trouvent leur enfant trop minuscule) et d’adoption (de pauvres géants recueillent l’enfant qui ne pourrait survivre sans leur force et surtout leurs mots et leur amour), elle mêle différents thèmes : ceux que l’on vient d’évoquer mais aussi richesse et pauvreté et genres de famille. A la famille composée d’un père et d’une mère, qui ne donne rien à l’enfant avant de voir quel intérêt il pourrait représenter s’oppose la famille homoparentale, généreuse et qui n’enferme pas.

La fin édifiante de l’histoire est certes un peu simpliste (l’enfant préfère sa famille d’adoption et la vie simple au destin princier qu’on lui propose), mais certaines vérités édifiantes sont bonnes à entendre et nécessitent, pour être entendues, que l’on y mette peu de nuance. Les illustrations dramatisent les points de vue (notamment celui de l’enfant) et grossissent les caractères, donnant du relief à cette fable.

L’ouvrage est soutenu par Amnesty international.

La Princesse et le dragonLa Princesse et le dragon est devenu un classique, à juste titre. Publié en Amérique du Nord en 1980 sous un titre plus original (« The Paper bag princess ») mais peu transposable en France où les sacs en papier de super marché sont peu répandus, il a été repris par la maison d’édition Talents hauts qui a fait de l’anti-sexisme sa principale ligne éditoriale. En 2014, on en est à la 4e édition. Pour moi, le charme principal de l’album réside dans l’illustration, subtilement cocasse, jamais trop caricaturale, tout un art…

 

Neuf mois pour attendre un petit frère ou une petite sœur avec Catherine Dolto

Neuf mois pour attendre un petit frère ou une petite sœur avec Catherine Dolto
Catherine Dolto et Colline Faure-Poiré, Amélie Graux (ill.)
Gallimard, 2012

Les bonnes traditions se maintiennent, merci

Par Dominique Perrin

9 moi2070648856FSCet ensemble de neuf petits livres cartonnés de quelques pages, insérés dans autant de pochettes de tissu cousues en ribambelle, vise à accompagner le dialogue entre parents et jeunes enfants dans l’attente d’un nouvel enfant. Les neufs mois de la grossesse sont ainsi évoqués du point de vue d’une petite fille et d’un petit garçon curieux de comprendre et d’accueillir l’arrivée d’un nouvel enfant.
On peut regretter que de tels ouvrages, dont le principe est à la fois simple et opportun, et la diffusion considérable, conservent le primat traditionnellement accordé au genre masculin dans les usages culturels français (et internationaux), sur un sujet si fondamental. Quand des études de plus en plus précises alertent sur les inégalités entre petites filles et petits garçons dans la construction de l’estime de soi, on pourrait par exemple imaginer que, sur la multiplicité des objets proposés ici (neuf livrets cartonnés, un livret tissu), le titre imprimé déjoue quelques fois la fatalité sexiste en faisant remonter le syntagme « petite sœur » devant celui de « petit frère ». Manifestation parmi bien d’autres, ici et ailleurs, d’un conservatisme qu’on peut trouver dérangeant, dans une production placée sous l’autorité de Catherine Dolto non seulement par son titre, mais aussi par un  renvoi – aussi
insistant qu’indirect, au détour d’une image – à d’autres de ses ouvrages.