Le Fils

Messager
Le Fils

Lois Lowry
Traduit (Etats-Unis) par Frédérique Pressmann
L’école des loisirs (Medium), 2014

Après Le Passeur

Par Anne-Marie Mercier

le passeurTout le monde (ou presque) connaît Le Passeur (1993), immense succès, œuvre neuve et dérangeante à l’époque : il construisait une parfaite dystopie, avant que la mode n’en envahisse les étagères des sections pour adolescents ; autre nouveauté de l’époque, il ne proposait pas de véritable happy end : on pouvait imaginer différentes fins, heureuses ou malheureuses. Et il y a même un article wikipedia sur ce qu’il présente comme une tétralogie : elle se serait poursuivie avec L’Elue (2001). Mais pour moi L’Elue n’est pas la suite du Passeur, c’est une dystopie indépendante, Le passeur ouvrait donc une trilogie.

Paru en 2005 et republié en 2013, Messager proposait une suite heureuse dans la mesure ou l’on y retrouvait Jonas, le mssagerhéros qui avait donc survécu, mais une autre fin malheureuse puisqu’un autre adolescent mourait à la fin de ce volume.

Mais qu’était devenu le bébé que Jonas avait sauvé ? On a la réponse dans Fils, qui retrace la vie de Gaby et donne une suite à Messager en montrant le retour, puis la défaite, du mal qui avait frappé la communauté dans le volume précédent. Mais l’originalité de cette fin de trilogie tient à ce qu’elle commence au même moment que l’intrigue du premier volume. Dans Fils, on est à nouveau dans la communauté des gens « satisfaits » dans laquelle se déroule le début du  Passeur, « où le fait de ne pas ressentir d’amour prévient de beaucoup Le Fils Lois Lowryde maux ». Pour Claire, l’héroïne, mère porteuse sélectionnée à 12 ans et mise dans le circuit à 14, cela ne se passe pas comme prévu et elle ne réagit pas comme prévu : l’accouchement, ses tentatives pour retrouver son « produit », le numéro trente-six, sa fuite après celle de Jonas et Gaby, son arrivée de naufragée  amnésique sur le village du bord de mer, son entrainement et son escalade de la falaise qui la sépare du village de Jonas et Gaby, le prix qu’elle doit payer pour passer, tout cela est passionnant. Ensuite, dans les chapitres qui suivent, on est dans un autre genre, une parabole moralisatrice, et c’est moins saisissant.

Un film, intitulé Giver, en a été tiré : quelqu’un parmi vous l’aurait-il vu ?

une critique sur Lirado, et une bande annonce pour voir?

L’Olympe assiégé (La conspiration des Dieux, t. 3)

L’Olympe assiégé (La conspiration des Dieux, t. 3)
Richard Normandon
Gallimard (Folio junior), 2012

Apollon est mort, vive Phaeton ! (ou : « place aux jeunes »)

Par Anne-Marie Mercier

La conspiration des Dieux t3Apollon est mort, ou plutôt Phébus, bon. Héra est une horrible mégère et elle ramène des Enfers les Titans (dont Cronos) pour qu’ils règnent sur l’Olympe. La jeunesse, incarnée par Phaeton, le nouveau héros de l’histoire, ne se laissera pas faire…

Un récit bien mené, des intrigues diaboliques, des personnages entiers, oui, c’est assez réussi : mais pourquoi réécrire à ce point l’histoire pour de jeunes lecteurs qui ont déjà du mal à retenir le récit premier ? Seule consolation : il y a un arbre généalogique et cela peut les aider à mémoriser qui est fils ou mari de qui. Sinon, autant faire une énième histoire de dragons, on peut tout inventer librement.

Les Métamorphoses d’Ovide

Les Métamorphoses d’Ovide
D’après Ovide, Françoise Rachmuhl, Nathalie Ragondet
Flammarion (Père Castor), 2015

Métamorphoses métamorphosées

Par Anne-Marie Mercier

meta rachmulhOn ne compte plus les adaptations des Métamorphoses d’Ovide dans les périodes où elles sont au programme des écoliers, ce qui est à nouveau le cas depuis quelques années, après une longue éclipse. Dans celle-ci, le texte de Françoise Rachmuhl (qui a publié aussi en collection de poche des récits tirés des Métamoprhoses) est relativement fidèle au texte, qui a été modernisé et simplifié (on pourra toujours contester la traduction non ambiguë du texte sur la fin de l’histoire de Daphné, mais c’est un choix qui est fait par de nombreux traducteurs). L’originalité est surtout dans le choix des épisodes, certains étant peu connus. Pan et Syrinx, la corne d’abondance d’Acheloüs, les oreilles de Midas, sont moins fréquemment transcrits que les histoires de Daphné, Pygmalion, Philémon et Baucis, les Piérides, Phaéton ; quant à celle d’Orphée, elle se limite souvent à la deuxième mort d’Eurydice et n’inclut pas, alors que c’est le cas ici, l’épisode des Bacchantes.

Les illustrations sont charmantes, elles évitent l’académisme et la mièvrerie, sauf lorsqu’il est question d’Apollon. Les filles et déesses sont au contraire parfaites, fraiches, avec du caractère et le cadre naturel stylisé parfaitement.

Zita, la fille de l’espace

Zita, la fille de l’espace
Ben Hatke
Traduction (anglais) de Basile Béguerie
L’école des loisirs, 2013

Star wars pour les plus jeunes

Par Anne-Marie Mercier

Zita, fille de l’espaceEn ces temps de Star wars mania, on pourrait proposer aux plus jeunes de se plonger ou replonger dans l’univers de Zita, petite fille embarquée dans une lointaine galaxie, qui délivre son ami Joseph (enfin une fille qui délivre un garçon !) avant de sauver des planètes entières. Elle se fait des amis en chemin, de toutes sortes, monstres mous, robots ronds, machines rouillées…

Elle rencontre aussi des personnages qui évoquent une littérature plus traditionnelle, comme le musicien qui dans le premier volume évoque le joueur de flute de Hamelin. De nombreux thèmes de la science fiction populaire se rencontrent également. Le dessin est simple et expressif, la narration très rythmée, non sans humour. La SF de qualité pour les jeunes enfants est rare, ce roman graphique est une belle réussite. Il a lancé les éditions rue de Sèvres, branche BD de l’école des loisirs.

On en est au tome 3, et on peut la découvrir sur Youtube, en anglais.

Vladimir et Clémence

Vladimir et Clémence
Cécile Hennerolles, Sandrine Bonini
Grasset jeunesse, 2015

L’union du visible et de l’invisible

Par Anne-Marie Mercier

VladimirL’un, Vladimir, est photographe, l’autre, Clémence, est invisible : comment ils se rencontrent, se découvrent, s’unissent, se séparent, se retrouvent et ont beaucoup d’enfants dont on ne sait s’ils sont flous ou bien nets sur la photo, tout cela est raconté dans un petit roman graphique joliment illustré, imprimé sur beau papier, cartonné, un peu à l’ancienne.

Il est écrit aussi dans un joli style un peu décalé : beaucoup d’inversions du sujet lui donnent un air dansant et suranné. Elles obligent aussi à retarder la construction du sens comme on attend que la photo se dévoile quand on la développe.

B42-Voir-le-voir-Berger-Cover_scaledC’est une belle fable sur le regard et sur l’image qu’on dit « fixe ». Elle ne l’est pas tant que cela, quand on a le talent de Vladimir, mais aussi son expérience de l’invisible et un bon appareil… argentique, autrement dit, le sens de la tradition et du mythe. Cela m’évoque Voir le voir, le beau titre de John Berger, paru aux éditions B42, tiens, si on le relisait ? Et puis son interview dans Télérama intitulée “Un livre, c’est un silence qui demande à être rempli”

Le Soldat chamane, vol. 1: la déchirure

Le Soldat chamane, vol. 1: la déchirure
Robin Hobb
traduit (anglais) par Arnaud Mousnier Lompré
Flammarion jeunesse, 2015

Etre ou ne pas être soldat en terre colonisée ?

Par Anne-Marie Mercier

chmane Robin Hobb, connu pour sa série fleuve, L’Assassin royal, qui s’adresse à un public d’adultes ou de grands adolescents, a proposé une nouvelle série, sans doute plus adaptée à un lectorat un peu plus jeune, qui garde les ingrédients et les qualités de ses œuvres antérieures. C’est sans doute la raison pour laquelle on la trouve aujourd’hui rééditée en grand format (donc à un prix assez élevé) alors qu’elle est disponible en poche (2008) et depuis 2014 en intégrale (j’ai lu). La série a sa page wikipedia, pour ceux qui ne voudraient pas attendre pour savoir le suite…

Le récit se déroule dans un monde imaginaire, une civilisation qui évoque celle de la fin de l’empire romain, ou des soldats méritants se voient attribuer des terres dans des zones conquises en théorie, mais dans lesquels les anciens autochtones, nomades, voient avec méfiance leurs nouveaux voisins, ou plutôt leurs nouveaux maîtres. Le narrateur, Jamère, est destinéchamane poche à devenir soldat alors que son frère aîné doit hériter du domaine ;  il craint de ne pas être à la hauteur. Pour l’aguerrir, son père, ancien soldat, le confie à l’un de ses anciens ennemis, un guerrier nomade. L’apprentissage que subit Jamère entre ses mains est non seulement rude mais aussi dangereux; il l’amène à entrer dans le domaine de la magie, domaine qui le marquera durablement à son insu.

Réflexion sur le heurt des civilisations, sur les clivages sociaux fondés sur la naissance, sur l’oppression sous toutes ses formes, sur l’amitié et l’éducation, c’est un roman d’aventure complet et prenant qui s’achève en laissant le héros en proie au doute sur toutes les certitudes qui avaient bercé sa jeunesse jusqu’alors.

On retrouve avec plaisir ici l’atmosphère crépusculaire de la série  L’aigle de la 9e légion de Rosemary Sutcliff, avec  des aménagements « modernes » : plus de violence et une place importante donnée à  la magie…

 

L’Héritière

L’Héritière
Melinda Salisbury
Traduit (anglais) par Emmanuelle Casse- Castric
Gallimard jeunesse (grand format), 2015

La fille de la mangeuse de péchés

Par Anne-Marie Mercier

Lheritiere_9429Après avoir fini ce roman, on se demande encore ce que signifie ce titre, « l’héritière ». Le titre original « The Sin eater’s daughter » (la fille de la mangeuse de péchés), est plus approprié, car somme toute c’est cet héritage qui sera peut-être le plus intéressant, davantage que le pseudo destin de princesse de l’héroïne de cette trilogie.

Au début de cette lecture, on ressent une certaine lassitude : encore une histoire de princesse, et encore une histoire d’amour où l’héroïne a du mal à choisir entre deux hommes… Mais passé cette inquiétude, on découvre des choses intéressantes : Twylla est destinée à épouser le prince héritier : la sœur de celui-ci, qu’il devait épouser selon la coutume, est morte ; on a découvert (on ne sait pas bien comment) alors qu’elle était encore une enfant que Twylla, fille de la mangeuse de péchés et destinée à prendre la suite de sa mère, était l’incarnation d’une divinité, et donc pouvait remplacer la défunte. Le prince est beau et attentionné, Twylla parfaitement soumise ; ombre au tableau : elle s’inquiète de sa jeune sœur dont elle est sans nouvelles et sui semble être son seul ancrage affectif.

Ce qui pourrait être une bluette avec quelques traits d’originalité se teinte dès les premières pages de cruauté : si Twylla touche qui que ce soit, il meurt instantanément. Elle est ainsi utilisée comme bourreau par la reine et tue les « traîtres », qu’on lui présente, au nombre desquels a figuré un enfant de son âge, son unique ami. Seule la famille royale est immunisée contre ce poison. La reine fait aussi disparaître ceux qui lui déplaisent en lâchant les chiens contre eux. Pourquoi tant de férocité ? Les royaumes environnants s ‘esquissent progressivement, l’un se posant en rival , un autre étant plongé dans une obscurité qui en fait une terre de légende inquiétante – on retrouve un peu de la géopolitique de Game of thrones. Enfin, la profession de la mère de Twylla nous montre des rites funéraires étranges, non dénués d’une certaine poésie macabre.

Le cadre étant posé, on s’impatiente tout de même un peu : l’action tarde à se mettre en place, il y a de nombreuses invraisemblances. Comme tout est vu par les yeux de l’héroïne qui n’est sortie de l’univers amer de sa mère que pour entrer dans le monde clos et mensonger de la reine, le discours est parfois assez niais : quand elle tombe amoureuse de son beau garde du corps, on a l’impression de retrouver les plus mauvaises pages de Twilight.

Mais, une fois parvenu aux deux tiers, le lecteur découvre qu’il a été piégé comme Twylla que tout n’est que manipulation et faux-semblants : son don, l’amour qu’elle croit partagé, la religion à laquelle elle s’accrochait, tout s’effondre ; sa sœur est morte, la reine est son ennemie, un monstre a été lâché dans le royaume et la guerre vient. C’est une trilogie : le meilleur est sans doute à venir…

On retrouve dans ce roman le problème de lecture que posent de nombreuses dystopies narrées à la première personne : le début du récit passant par le filtre d’un personnage jeune, naïf, désireux de s’intégrer au mieux dans le monde parfait qui semble être le sien et prêt à croire tout ce qu’il lui dit, on doit subir des clichés, des interrogations timides et des atermoiements fastidieux avant que le retournement advienne. Le style même change avec la maturation du personnage. C’était le cas de la trilogie d’Allie Condie (Promise, Insoumise, Conquise), et la couverture est aussi réussie dans ce cas (l’esthétique des trilogie de fantasy, y compris celle de Twilight) est assez remarquable.

 

Le lutin du cabinet noir

Le Lutin du cabinet noir
Jean-François Chabas
l’école des loisirs (neuf), 2015

Sombre féérie

par Anne-Marie Mercier

CouvgabaritneufJean-François Chabas propose un récit drolatique plein de rebondissements qui fera frémir les jeunes lecteurs et qui montre à nouveau que, vraiment, on ne peut pas faire confiance aux adultes pour prendre au sérieux les mystères et les terreurs enfantines.
La famille d’Edgar vient d’emménager dans une maison hantée : dans un cagibi (clin d’œil à Gripari?), où ils enferment le narrateur trop turbulent, se trouve un lutin. Ce qui pourrait bifurquer vers une histoire assez convenue se développe en un récit pleine de rebondissements. Ce lutin s’avère être un monstre affreux qui menace l’humanité tout entière après avoir sérieusement terrorisé le jeune Edgar, d’abord ravi de cette aventure. Une petite merveille d’humour assez noir.

Ascenseur pour le futur

Ascenseur pour le futur
Nadia Coste
Syros, Soon (Mini), 2014

Paradoxes temporels

Par Anne-Marie Mercier

Nadia CoAscenseur pour le futurste propose de prendre la science-fiction à l’envers: imaginons qu’un enfant du passé (1991), aux abois, soit projeté dans son futur, en 2015, et puisse voir quel destin l’attend et ce qui arrivera aux autres enfants qui au moment de sa jeunesse le pourchassent. Imaginons aussi qu’en 2015 des machines à remonter le temps ou à le descendre existent… Rencontrant son propre fils, qui a à ce moment le même âge que lui, ses parents, vieillis, il mûrit, prend des leçons pour retourner affronter son présent et faire que l’avenir… advienne.

C’est en apparence un peu complexe, c’est peut-être un peu facile, mais c’est très clair, et les décalages technologiques et culturels sont utilisés avec humour et efficacité.

SOS dans le cosmos

SOS dans le cosmos
Guillaume Guéraud, Alex W. Inker
Sarbacane (Série B), 2015

L’album fait son cinéma, en série B

Par Anne-Marie Mercier

Guillaume Guéraucouv-sos-dans-le-cosmos-620x868d, amateur de cinéma (voir le bel hommage qu’il lui a rendu, Sans la télé), est aussi amateur de Série B. Depuis 2013 il signe dans la collection « série B », avec chaque fois un illustrateur différent, des volumes qui déclinent avec gourmandise les clichés de films « de genre ». Après les cow boys, pirates etc, voici les films de science fiction  passés à la moulinette. On retrouve des allusions à de multiples films à travers les rencontres effectuées par les héros, d’Alien à Interstellar, mais surtout beaucoup d’humour et une délectation pour toutes les fantaisies du genre.

Les illustrations rythment de manière cinématographique, c’est-à-dire à la fois visuelle et sonore (oui, sonore !) cette histoire loufoque, en y ajoutant la poésie et la verve qui sont la marque du style de Guéraud :
« Le météore 8 fut projeté à une vitesse vertigineuse dans un essaim d’étoiles filantes. Hors du système solaire. Bien au-delà des frontières imaginables. Parmi des astres au nom désastreux. Les membres de son équipage haletèrent en traversant la constellation des haltères. Ils s’agitèrent en longeant la galaxie du Sagittaire. Ils s’endormirent en frôlant Sandorimir. Et ils se réveillèrent en arrivant devant la nébuleuse des Rivières. Ils eurent à peine le temps de bailler. »

Tout comme le lecteur, pris par ce texte très court mais très efficace graphiquement et sémantiquement.