La jeune Institutrice et le grand serpent

La jeune Institutrice et le grand serpent
Irene Vasco – Juan Palomino
Obriart 2022

Au cœur de l’Amazonie

Par Michel Driol

Une jeune institutrice est nommée dans un village au cœur de la forêt amazonienne. Après un long voyage, elle y parvient, avec sa valise de livres, et commence à faire classe aux enfants. Elle leur lit des histoires et les enfants emportent les livres le soir chez eux. Mais lorsque le fleuve déborde et emporte la classe et les livres, elle est désespérée, mais voit les femmes du village en train de broder des images que les enfants rassemblent en livres qui racontent les légendes de la communauté.

L’album retrace le parcours initiatique de la jeune femme. Elle part avec des idées bien arrêtées sur son rôle, sur la durée du voyage : mais celui-ci se révèle plus long et difficile que prévu. Malgré le choc éprouvé lors de son arrivée (choc matériel,  linguistique) elle remplit sa mission, se raccrochant à ses livres, à sa culture écrite. Avec bienveillance, elle enseigne et assiste, de loin, aux échanges familiaux autour des histoires qu’elle raconte. Comme Robinson, elle ne croit pas aux légendes, et quand on lui parle du grand serpent – belle métaphore de la crue du fleuve – elle n’en a cure. C’est pourtant cette catastrophe commune qui scelle le lien et l’échange interculturel autour des récits. Aux récits imprimés lus par l’institutrice succèdent les récits oraux des femmes du village qui deviennent livres d’images et permettent aussi à la jeune femme d’apprendre la langue des villageois. Chacun apporte ainsi quelque chose à l’autre, et l’ouvrage montre ce que les cultures autochtones ont à apporter à la civilisation moderne. On retrouve ici, quelque part, la belle réécriture que Michel Tournier avait faite de l’ouvrage de Defoe dans Robinson ou la vie sauvage, avec cette différence toutefois qu’ici il est question avant tout de transmission par les récits. D’un côté, la littérature, les récits imprimés, qui n’ont de sens que s’ils sont vecteurs d’apprentissage – et c’est bien pourquoi ils sont lus par cette institutrice dont le texte souligne la conscience professionnelle, de l’autre les récits oraux, en langue vernaculaire, qui sont aussi porteurs d’un enseignement sous une forme imagée, celle des légendes et contes sacrés, aux personnages humains ou animaux merveilleux, incarnation des esprits. Si les récits font bien partie du patrimoine commun de toute l’humanité, ils sont à préserver, à transmettre, sans hiérarchie de valeur entre eux.

La traduction de Sophie Hofnung se lit aisément, dans une langue à la fois simple et vivante. Les illustrations, très colorées, souvent en doubles pages, reprennent deux motifs significatifs. D’une part celui du fleuve-serpent, sinueux, dangereux, omniprésent. D’autre part celui du fil, apporté avec elle par l’institutrice, fil avec lequel se tisseront les liens et les histoires, fil sinueux lui aussi, et si fragile par rapport au fleuve… Ces illustrations ouvrent l’espace de la rêverie à partir des contes sacrés dont ils représentent les personnages en les mêlant pour en montrer la variété et la richesse.

Un album réussi qui évoque les liens entre les cultures dites primitives et les cultures savantes, et montre comment elles peuvent s’enrichir mutuellement autour d’un objet commun, le récit.

Aponi et le peuple minuscule

Aponi et le peuple minuscule
Bernard Villiot – Illustrations de Mariona Cabassa
L’élan vert 2022

La petite fille dans la forêt amazonienne

Par Michel Driol

Chez les Wayanas, peuple installé sur les rives du fleuve Maroni, les enfants vivent libres jusqu’à un rite de passage, qui consiste à supporter la morsure de fourmis. Une fillette, Aponi, vit en contact avec les insectes qu’elle protège. Lorsqu’un groupe de chercheurs d’or vient s’installer, détourner la rivière, elle tente de sauver le plus d’insectes possibles, et, malgré elle, inonde les cultures du village. Lors de la cérémonie de son initiation, les fourmis la reconnaissent et l’épargnent, puis, avec l’aide des insectes, elle chasse les chercheurs d’or.

Dans la collection Pont des Arts, voici le premier volume consacré à un objet rituel d’Amazonie, sur lequel on trouvera, à la fin de l’album, une riche partie documentaire qui permet de mieux comprendre les peuples Wayana et Apalaï dont il est question dans l’histoire d’Aponi. Sans chercher à imiter la nature fidèlement, ou à s’inscrire dans une vision ethnographique, les illustrations, pleines de vie et de couleur, donnent à voir une espèce de paradis où hommes, plantes et animaux vivent en harmonie au sein d’une nature luxuriante. Quelque part, on retrouve une vision rousseauiste, celle du bon sauvage menacé par la « civilisation » qui détruit tout, incarnée ici par les dix prospecteurs armés de leurs fusils. Il n’est, bien sûr, pas indifférent que le héros soit une héroïne, et que ce soit avec l’aide de la nature, des insectes, qu’elle réussisse à chasser les intrus. Par là, le récit devient quelque peu conte merveilleux, tout en permettant au lecteur occidental de mieux pénétrer dans les coutumes des peuples d’Amazonie qu’il contribue à faire connaitre. C’est aussi la question des rites de passage que pose cet album. Rite en apparence sévère et cruel ici, puisqu’il s’agit de résister aux morsures de fourmis (pas si cruel en fait, dit le documentaire), rite qui accompagne le fait universel de grandir, de quitter l’enfance et de mériter de prendre place dans la communauté des adultes. Nul doute que cet album invitera les jeunes lecteurs à s’interroger sur nos rites de passage et sur ce que signifie devenir grand, en Europe, aujourd’hui…

Un bel album pour mieux comprendre les peuples amazoniens, certaines de leurs formes d’art et de leurs coutumes

Itawapa

Itawapa
Xavier-Laurent Petit

L ‘école des loisirs, 2013

Du pouvoir des images contre la déforestation

Par Anne-Marie Mercier

ItawapaXavier-Laurent Petit signe ici un roman proche de L’Attrape-rêves, où l’aventure exotique sert un propos écologique. Ici, le cadre est celui de la forêt amazonienne, et l’ennemi les entreprises qui chassent les indiens de leurs terres et détruisent la forêt, comme ceux que les indiens appellent les Termites, dans le film de John Boorman, La Forêt d’émeraude.

Mais comme dans son roman précédent, le texte ne se réduit pas à un propos écologique et militant. Il est porté par des personnages extraordinaires et attachants : le grand père irresponsable et alcoolique, devin et escroc, dont on sait qu’il cache quelque chose, le policier désœuvré en surpoids, passionné de photographie, la mère du héros, disparue à la recherche du dernier représentant d’une tribu, qu’elle nomme Ultimo, le « Dernier ».

Partant à la recherche de sa mère, la jeune Talia apprendra beaucoup de choses sur la forêt et la vie des indiens, tout en découvrant un secret de famille jusqu’ici bien caché, secret que le lecteur expérimenté aura en partie deviné grâce à un prologue en forme d’énigme. Ainsi l’auteur conduit plusieurs récits parallèles, celui du combat contre une multinationale, du pouvoir des images, du mystère de la disparition de la mère de Talia, de la rédemption de personnages enlisés dans une situation délétère, du sauvetage du dernier indien, et enfin de la reconstruction d’une histoire familiale.