Angel, l’indien blanc

Angel, l’indien blanc
François Place

Casterman, 2014

Atlas imaginaire et songes de nuits australes

Par Anne-Marie Mercier

angel-l-indien-blancJusqu’ici, François Place romancier n’arrivait pas à la hauteur (magistrale) de François Place auteur-illustrateur, malgré de belles échappées (j’en avais parlé dans ma chronique du Secret d’Orbae). Cette fois, avec Angel, il propose une œuvre impressionnante et fascinante, qui reprend les caractéristiques qui ont fait sa marque tout en ouvrant d’autres voies.

La tribu des Woanoas dans laquelle Angel, esclave en fuite, et Corvadoro, noble vénitien, séjournent est décrite avec le souci d’un ethnologue qui rappelle les autres romans de François Place et son Atlas des Iles d’Orbae : coutumes, division en classes d’âge, mode de pêche, structure sociale, religion… tout cela et bien d’autres  sont évoqués,  sans tomber dans un catalogue artificiel : tout est vu par les yeux d’Angel, ou à travers le témoignage de son compagnon de captivité, avec des incertitudes, des interrogations, des terreurs et des charmes puissants.

C’est aussi un récit d’aventures plein de rebondissements qui entrelace plusieurs thèmes : Angel est un bâtard, un métis (comme le titre l’indique) né au XVIIIe siècle d’une gouvernante française expatriée en Argentine puis enlevée par des indiens de ces terres, peuple systématiquement massacré par les conquérants européens. L’histoire de sa mère et la période de son enfance où il est un paria parmi eux est brièvement retracée dans le premier chapitre. Le personnage de sa mère vite disparue, marque l’esprit du lecteur par son originalité comme il marque la destinée de l’enfant. Vendu comme esclave après une razzia des blancs sur le village, Angel vit les durs travaux de sa condition et est un souffre-douleurs dans les distractions de son maître et des amis fortunés de celui-ci. Modèle de résilience, il puise dans ces épreuves ce qui lui fera réussir par la suite toutes ses entreprises dangereuses et mortelles. Tout cela fait l’objet d’un texte bref, le deuxième chapitre : autant dire que François Place excelle dans les narrations brèves, apparemment simples, mais denses.

Angel vit une deuxième existence à bord d’un bateau faisant voile vers les antipodes, toujours maltraité et affamé (comme il se sera tout au long du roman jusqu’à un heureux dénouement). A bord de ce navire, un académicien mathématicien naturaliste, et arriviste , un dessinateur chargé de mettre en images les merveille, plantes, animaux, indigènes et monstres que rencontrera l’expédition, un vénitien aussi savant que sceptique, richissime et mystérieux, un capitaine compétent et autoritaire, un bosco rude, et tout le peuple qui fait vivre le Neptune. On apprend beaucoup de la marine à voile à travers les activités d’Angel, les parties du vaisseau, son approvisionnement, ses hiérarchies, ses avaries et réparations…

La troisième existence est retracée dans les deux derniers tiers du roman, parmi les mystérieux Woanoas, peuple à deux bouches, qui parle avec deux voix et sait vivre avec le froid et le feu, l’air et l’eau, les « gens de l’eau » et ceux de l’air. Et c’est véritablement un livre d’air et d’eau, fluide, miroitant, plein de courants subtils que ce livre. Les descriptions de ce monde pris dans les glaces sont envoutantes, tant lors de la course du Neptune que dans les moments passés chez les Woanoas. Angel est aussi un merveilleux roman initiatique où l’homme et l’animal s’affrontent et se complètent et où la magie et le rêve s’entrelacent.

vieuxfouLe roman porte aussi une interrogation sur la représentation par l’image et on retrouve ici des échos du Vieux fou de dessin. L’opposition entre le soin méticuleux du dessinateur naturaliste qui s’interroge sur les limites de son art et la méthode de Corvadoro qui procède par « visions » (« un souffle étrange traversait ses images qui ressemblaient plutôt à des intuitions, des impressions fugaces ou des chimères » p.79) semble refléter les interrogations de l’illustrateur. Enfin, l’épilogue qui pose le problème du mensonge, fiction dans la fiction, plus croyable qu’une vérité qui n’entre pas dans les cadres de pensée, est très subtil, tandis que le destin des cartes qui ont retracé ce voyage, cartes dont on sait l’auteur friand, est un beau clin d’œil.

Bravo, l’artiste !

Itawapa

Itawapa
Xavier-Laurent Petit

L ‘école des loisirs, 2013

Du pouvoir des images contre la déforestation

Par Anne-Marie Mercier

ItawapaXavier-Laurent Petit signe ici un roman proche de L’Attrape-rêves, où l’aventure exotique sert un propos écologique. Ici, le cadre est celui de la forêt amazonienne, et l’ennemi les entreprises qui chassent les indiens de leurs terres et détruisent la forêt, comme ceux que les indiens appellent les Termites, dans le film de John Boorman, La Forêt d’émeraude.

Mais comme dans son roman précédent, le texte ne se réduit pas à un propos écologique et militant. Il est porté par des personnages extraordinaires et attachants : le grand père irresponsable et alcoolique, devin et escroc, dont on sait qu’il cache quelque chose, le policier désœuvré en surpoids, passionné de photographie, la mère du héros, disparue à la recherche du dernier représentant d’une tribu, qu’elle nomme Ultimo, le « Dernier ».

Partant à la recherche de sa mère, la jeune Talia apprendra beaucoup de choses sur la forêt et la vie des indiens, tout en découvrant un secret de famille jusqu’ici bien caché, secret que le lecteur expérimenté aura en partie deviné grâce à un prologue en forme d’énigme. Ainsi l’auteur conduit plusieurs récits parallèles, celui du combat contre une multinationale, du pouvoir des images, du mystère de la disparition de la mère de Talia, de la rédemption de personnages enlisés dans une situation délétère, du sauvetage du dernier indien, et enfin de la reconstruction d’une histoire familiale.

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps
Manchette et Loustal

Gallimard jeunesse, 2011

Par Marianne Mondel (Master MESFC Lyon 1)

Quelle caractéristique incarne le mieux notre jeune héros Asdiwal ? Son incommensurable appétit bien sûr ! C’est durant l’été 1966 que ce personnage a été mis en scène par un père pour son fils, alors en vacances en Provence loin de lui, à Paris. Cette œuvre est la première et seule incursion de Manchette au sein de la littérature de jeunesse. Lorsque que l’on songe à cet auteur, polyvalent dans ses fonctions de critique littéraire et de cinéma, scénariste et dialoguiste, traducteur, et surtout père de nombreux romans policiers, on aurait tendance à penser noirceur, violence, crimes… mais bien au contraire, le ton reste résolument comique et décalé !

Malgré une histoire semblant sortir tout droit de l’imagination de son auteur, les indiens Tsimshian, peuple d’Asdiwal, existent bel et bien dans de lointaines contrées. Ce dernier fait figure de héros dans leur mythologie. Manchette puise ses sources dans le l’ethnologie des peuples amérindiens, connue chez nous depuis Claude Lévi-Strauss (ASDIWAL est le nom d’une revue d’anthropologie et d’histoire des religions).

La langue employée par l’auteur est très inventive et frappe le lecteur par sa vivacité et son naturel. Celui-ci s’adresse ainsi aux enfants en s’exprimant comme eux. Les répétitions sont un élément récurrent qui accroche le petit lecteur à l’ouvrage. Manchette joue joyeusement entre le réel et le fantastique, nous entrainant doucement dans l’imaginaire. La dynamique de l’œuvre par ses enchainements d’actions entraîne attention et réflexion. Le loufoque pointe le bout de son nez par la succession brutale des évènements, sans beaucoup de transition ou de logique. Les dessins, quant à eux, accrochent l’œil par la vivacité des couleurs et l’impression de mouvement qui s’en dégage.

L’attachement à ces petits indiens ne parvenant plus à voir leurs mocassins, dissimulés par un ventre grassouillet, est inévitable. Ce joyeux bazar indéniablement original permet une fin heureuse à Asdiwal, devenant un mari comblé… et obèse !

Sequoyah

Sequoyah 
Frédéric Marais
Thierry Magnier, 2011

 Sequoyah   (1770-1843) : ceci n’est pas un arbre

Par Anne-Marie Mercier

Ceci n’est pas un arbre, ce n’est pas non plus un « pied de porc », bien que ce soit le sens littéral de ce mot en langue cherokee. C’est un enfant de cette culture, confronté au handicap, puis c’est un adulte qui invente, après un long travail, le syllabaire cherokee. Les deux histoires se succèdent, mettant chacune en valeur la solitude et l’obstination de ce héros très particulier.

Toutes deux se déroulent dans un décor de western sombre et stylisé (noir et bleu, noir et vert, gris…) où le personnage ocre se détache fortement. Les images empruntent aux scènes de western par leur cadrage, par les angles de vue et l’utilisation de la profondeur de champ. L’album est superbe; c’est une belle réalisation de Frédéric Marais (qui vient d’illustrer chez Sarbacane un album de Dedieu, La Guerre des mots).

Les lecteurs français découvriront ainsi ce héros de la culture cherokee (il semble qu’on ait donné son nom à l’arbre et il est avéré que de nombreux lieux en Amérique portent son nom) et de la culture tout court. Il verront aussi ce beau syllabaire de 85 articulations, reproduit en entier dans les dernières pages. Autant dire que c’est un album qui devrait être entre les mains de tous les écoliers.

Sur Wikipedia, un article bien documenté.

 

Un indien dans mon jardin

Un indien dans mon jardin
Agnès de Lestrade
Rouergue (dacodac) , 2010 

Crise de père

Par Anne-Marie Mercier

Un indien dans mon jardin.jpgIl arrive que les parents se mettent à débloquer. Parfois, un problème qui n’a pas été réglé dans leur jeunesse les empêche de se conduire de façon rationnelle. C’est ce qui arrive au père de Mia qui plante une tente dans son jardin et fait l’indien, attendant un signe, tandis que sa femme, compréhensive, patiente; sa fille, elle, s’inquiète de plus en plus.

La solution viendra, et le lecteur a le choix entre penser qu’elle est issue de la raison ou née de la folie même, justifiant ce détour nécessaire. L’histoire est loufoque, mais le ton de Mia est bien posé et on pourrait transposer ce rêve d’indien en bien d’autres comportements plus fréquents mais non moins dérangeants pour l’entourage.