La Barbe bleue

La Barbe bleue
Charles Perrault, Clémentine Sourdais
Hélium, 2014

Accordéons nos classiques

Par Anne-Marie Mercier

barbebleueheliumLe conte de Barbe bleue est bien connu, et on en a de multiples versions (voir récemment chroniquée, celle de Sophie Tiers publiée au CMDE). Ici, l’originalité n’est pas dans le texte qui reprend fidèlement celui de Perrault, et ce jusqu’à sa moralité en vers, mais dans les images et dans l’objet-livre lui-même. Il s’agit d’un livre accordéon mais aussi découpé, où seul le bleu tranche avec le noir et le blanc, et où le thème de la clef et surtout de la serrure guide bien des étapes, comme il se doit.

Le dessin naïf alterne avec le style du théâtre d’ombres, le tendre avec le cruel, le grotesque avec le poétique, en harmonie avec ce conte qui joue sur plusieurs tableaux et mêle comique et tragique, prosaïque et mythique.

Barbe Bleue

Barbe Bleue
Sophie Tiers, d’après les frères Grimm
CMDE, Dans le ventre de la baleine, 2011

 

Le conte des femmes découpées en morceaux découpé en morceaux

cvt_Barbe-bleue_7792Par Anne-Marie Mercier

Le titre est un peu trompeur et d’ailleurs les pages de faux titres indiquent « Barbe bleue ou presque » : il ne s’agit pas de Barbe bleue mais d’une version sanglante et magnifique, intitulée « L’oiseau d’ourdi » ou « L’oiseau Fitcher ». On trouve les raison de ces deux titres sans l’édition de Natacha Rimasson-Fertin des Contes pour les enfants et la maison (Corti, 2009, 2 vol., t. 1). ; on y trouvera également une version plus proche du Barbe-bleue de Perrault (t. 2).

Le récit commence ainsi : « Il était une fois un maître sorcier qui se donnait l’apparence d’un pauvre et s’en allait mendier de maison en maison pour s’emparer des jolies filles. Nul au monde ne savait où il les emportait, et jamais plus elles ne revenaient de là-bas. »

Sophie Tiers, comme l’indiquent les ciseaux disséminés sur les pages de garde et les soulignements de couleurs sur la page de titre et dans la dernière double page, s’est livrée à un travail étonnant de déconstruction du conte. Elle a choisi quelques mots, d’abord pris dans la première phrase (« Nul, Monde, Emportait, jamais, là-bas ») pour les insérer dans une image elle aussi fragmentaire, rapprochant certains éléments, et ainsi de suite pour chaque étape de l’histoire. Les images sont superbes et inquiétante, composées autour de fragments de corps barbouillés de rouge-sang dans un espace lui aussi déconstruit. Au lecteur de refaire l’histoire, ou d’en inventer une autre… Pour essayer, comme l’héroïne de l’histoire de remettre ensemble les morceaux séparés des corps de ses sœurs.

Magnifique, dérangeant, stimulant, à l’image de Rouge Chaperon petit le, chroniqué sur li&je il y a quelques temps, paru lui aussi au CMDE

Sophie Tiers parle très bien elle-même de son travail, et on trouvera une interview et des images ici.

Le CMDE (collectif des Métiers de l’édition), situé à Toulouse, propose une autre façon de faire des livres, comme on peut le lire sur leur site  : « Faire un livre collectivement, cela signifie avant tout qu’une création, littéraire ou graphique, n’échappe pas à son auteur. Il est, quoiqu’il arrive, au cœur de la mise en livre de son œuvre.
Créer un livre nécessite de faire intervenir d’autres corps de métiers (graphiste, typographe, correcteur, assistant de fabrication…). C’est donc tous ensemble que nous nous interrogeons sur la forme que prendra le livre, ses intentions, ce que nous voulons et devons améliorer…
Ainsi, nous épargnons à l’auteur le « procédé magique » lui faisant découvrir son livre lors de sa sortie. Chaque personne ayant participé au livre a le sentiment légitime qu’il en est aussi l’auteur. Le CMDE est une structure non hiérarchique, qui vise au décloisonnement des métiers les uns des autres. […]

La baleine est hors-genre, elle publie des livres de contes pour enfants… et pour adultes, des livres jeunesse qui moquent cette lubie des adultes, qui cherchent à « adapter » leurs propos aux enfants. Ses conteurs deviennent auteurs puis redeviennent conteurs… La baleine avale toutes les histoires depuis le début du monde, et de son ventre, les écrits, les images, résonnent à nos oreilles.»

Signalons pour les amateurs du conte de Barbe bleue la parution d’une version théâtrale, La Barbe bleue de Ludwig Tieck (1796), suivi des Sept femmes de Barbe bleue , édités par Alain Montandon aux classiques Garnier (2013).

 

 

La femme à barbapapa

La femme à barbapapa
Renaud Perrin
Rouergue, 2014

En piste, messieurs, mesdames!

par Christine Moulin

barbapapa1-480x640Cet album ne fait pas dans le « joli »: les illustrations, fondées sur les trois couleurs primaires, sont un peu « rugueuses » (le trait est celui de la linogravure, parfois les couleurs « dépassent », comme diraient les mômes). Mais il suffit d’entrer dans l’ouvrage pour se laisser prendre par son entrée en matière pyrotechnique. Dès le départ, nous sommes prévenus: ce que nous tenons entre les mains, c’est, ni plus ni moins, le livre de la destinée de Rosa, vendeuse de barbapapa, livre dont une voyante tourne les pages, sans rien révéler, bien sûr. Cette mise en abyme initiale se complique d’un jeu de miroirs aussi redoutable que les labyrinthes des fêtes foraines, dont l’atmosphère à la fois joyeuse et légèrement inquiétante imprègne toute l’histoire: multiples sens du mot « clef », double sens du mot « numéro », refrain du perroquet Okay (!), qui se reflète dans la boule de cristal de la voyante et répète deux fois le mots « doouble, dooouble », C’est ce volatile qui accompagnera notre lecture de ses interventions agaçantes et signifiantes.
Rosa rencontre donc Barbe Bleue, le mécano, et s’installe avec lui. En accéléré, le couple vit ce que vivent bien des couples: l’émerveillement, la lassitude, la rupture, les regrets. Mais heureusement, une petite fille veille et guide Barbe Bleue, qui retrouve Rosa, si bien que tout se termine sur le grand huit (à quatre…).
Nous avons donc affaire à une sorte de conte moderne et vieillot à la fois (la voiture de Rosa est une Ami 6, c’est dire!), joyeux et amer parfois, mais toujours riche en jeux de mots (à commencer par celui du titre) et de clins d’oeil (les hommes sandwichs s’appellent Moutarde et Mayo!…; les numéros des pages, à la manière des codes-barres de Ponti, font partie intégrante de l’illustration et de l’histoire: ils sont à l’envers quand les deux héros tombent amoureux, par exemple; quand Rosa disparaît, telle Alice, dans une porte dérobée, ils signalent la page où le couple sera de nouveau réuni, etc.). Sans doute cet album plaira-t-il aux adultes mais peut-être peut-il amuser les enfants. Comme le cirque, comme les fêtes foraines.