Une histoire sans caca…

Une histoire sans caca…
Philippe Jalbert
Seuil jeunesse 2024

Dira ? dira pas ?

Par Michel Driol

Deux personnages dans cette histoire. D’une part un enfant qui raconte une histoire, dont le dernier mot, à la tourne de page, commence par ca…  et dont on n’a que la première syllabe. D’autre part, celui qui est sans doute le papa, dont les propos sont imprimés en cursive sur fond bleu, qui tente de réorienter l’histoire. Le plaisir est de faire attendre le mot interdit commençant par ca…

Voilà un album bien drôle.  D’abord à cause de la surprise du mot commençant par ca… à chaque tourne de page. On fait l’hypothèse d’un nom, et on en a un autre, étonnant. A chaque fois le papa veille, figure de la bienséance et incarnant les interdits langagiers.  Drôle aussi à cause du comique de répétition, l’enfant se voyant contraint de recommencer souvent son histoire, avec toujours le même incipit : « Il était une fois un enfant… ». Drôle également à cause des illustrations, très enfantines, très joyeuses, et représentant à chaque fois le mot commençant par ca… Drôle enfin en raison du rapport qu’on imagine entre l’enfant, prêt à transgresser les règles langagières, à employer un gros mot qu’il  adore, se lançant dans des histoires sans queue ni tête, et le papa, dont les propos ne sont jamais illustrés, un papa qui censure, qui interdit. Quant au mot que chacun attend, disons seulement qu’il est prononcé deux fois, dans des contextes bien loufoques.

Un album qui joue avec les mots, avec le plaisir de la transgression, s’en approche, la côtoie… pour le plus grand plaisir du lecteur dans une scène entre un enfant faisant ses premières gammes avec le langage et un parent jouant lui aussi son rôle.

Mais où est-elle ?

Mais où est-elle ?
Marie Mirgaine
Les fourmis rouges 2022

Une histoire échevelée

Par Michel Driol

Lorsque la magnifique – et remarquable – perruque jaune du héros s’envole, il  part à sa recherche, et croit la reconnaitre partout, dans des algues, un fromage coulant, voire un chat ou une vieille serpillière. Et lorsqu’il la retrouve, elle est devenue nid pour oiseaux, qu’il leur laisse bien volontiers…

Peu de texte dans cet album en randonnée qui repose sur le comique de répétition et des effets attendus, jusqu’au renversement final de la chute. Le texte : le monologue minimaliste du bonhomme, reposant sur l’alternance d’un « la voilà » et d’un « mais non… ». Les illustrations : à la fois des formes colorées pour le personnage, sorte de pantin animé, et un certain réalisme pour le décor. Tout se passe comme si on était spectateurs d’un théâtre d’ombres colorées, ce qui confère à l’album un petit côté magique dans la représentation des aventures de ce drôle de bonhomme et de sa quête de sa perruque. C’est drôle, plein d’imagination, suffisamment simple pour être bien adapté aux tout-petits qui, dès la première lecture, pourront à la fois anticiper sur l’échec du personnage, et être surpris des métamorphoses de cette perruque, que l’on voit partout ! Que dire de ce personnage que l’autrice n’hésite pas à monter coiffé d’un fromage coulant, d’une bouse de vache ou d’une vielle serpillère. On est dans une transgression bien carnavalesque ! Quant à la chute, elle montre un aspect bien sympathique du personnage, prêt à abandonner ce qu’il a de plus cher, afin de protéger la nature et les oisillons.

Un album en randonnée pour rire aux éclats aux dépends d’un drôle de personnage… à un âge où les cheveux commencent à  pousser sur la tête ! En tous cas, une histoire qui n’est pas tirée par les cheveux !

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur
Michaël Escoffier – France Cormier
D’eux 2021

Petit manuel de cuisine pour les ogres

Par Michel Driol

C’est le chef Bronislav Haddendur qui accueille les lecteurs dans cet album. Depuis 50 générations, sa famille régale les ogres : n’est-il pas le mieux qualifié pour livrer ses recettes ? L’ouvrage commence par présenter les enfants, dire leurs dangers, préciser la différence entre enfants sauvages et enfants d’élevage, et donner les conseils pour la capture de seconds, bien plus gouteux ! Vient ensuite le chapitre consacré à la conservation des enfants. Et enfin trois recettes savoureuses : le rôti d’enfant, l’enfant brioché, le sandwich à l’enfant. Bon appétit !

Conçu sur le modèle des livres de recettes traditionnels, cet album est drôle et réjouissant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il parodie les encyclopédies ou les émissions culinaires qui donnent des conseils avisés, tant sur le choix des produits que sur leur utilisation. Cela sera peut-être plus perçu par les adultes lecteurs que par les enfants. Ensuite parce qu’il présente une vision de l’enfance pleine de saveur : la moquerie toujours présente, les dents gâtées par les bonbons trop fréquents, les microbes qu’ils apportent avec eux, leur gout pour les frites ou les pizzas, leur aptitude à se chamailler ou encore leur manque d’hygiène… Chacun s’y reconnaitra, et mettre ces traits dans la bouche d’un ogre ne manque pas de piquant et introduit une distance entre le texte et la réalité qui permet de mieux la percevoir. Enfin par les recettes. Passons d’abord sur leur côté rabelaisien dans l’exagération des proportions. 10 kg de farine ou 3 kg d’oignons, pas moins ! Evoquons ensuite la précision du lexique culinaire utilisé : on a affaire à un spécialiste ! Certes, mais n’est pas trop transgressif de proposer ainsi des recettes dans lesquelles des enfants vont se faire rôtir, griller ? C’est là qu’il faut évoquer le rapport texte image, et observer finement comment, à chaque recette, l’image montre que l’enfant est plus malin pour glisser qui un nounours, qui une chaussure, qui un grille-pain à sa place dans le plat, alors que l’ogre n’y voit que du feu. Autre qualité attribuée aux enfants : la débrouillardise qui culmine avec la fuite de toute la troupe d’enfants, dans le dos de l’ogre. Comme une revanche de David sur Goliath ! Les illustrations, colorées, vivantes, expressives, sont pleines de détails à examiner avec attention.

Ce petit manuel de cuisine pour les ogres, album grand format, est un vrai portrait des enfants d’aujourd’hui, avec leurs qualités comme la débrouillardise, avec leurs défauts comme la gourmandise, avec leurs penchants à l’irrespect. Il est surtout d’une drôlerie irrésistible !

Oh ! Qu’est-ce que c’est ?

Oh ! Qu’est-ce que c’est ?
Ramadier et Bourgeau
Ecole des loisirs 2021

La chose qui venait du ciel…

Par Michel Driol

Deux chiens, Jack et Georges, tranquillement assis à l’ombre d’un arbre. Et soudain l’arrivée d’une grosse boule tombée du ciel. Et les deux amis de s’interroger sur cet étrange objet, trop mou pour être un rocher, mais boule qui roule et les entraine vers un précipice, qui les sauve en se transformant en parachute, puis en radeau, en couverture, avant de repartir vers le ciel.

Absurde et rebondissement, comique de répétition, voilà un album qui n’engendre pas la mélancolie ! La question du titre, posée à de nombreuses reprises par Georges, attire à chaque fois la même réponse de Jack : Je ne sais pas… Peut-être un…  A la fin de l’album, après de nombreuses péripéties, et transformations de l’objet, on n’en sait pas plus qu’avant, et les deux amis, comme deux personnages de Beckett, dont les rôles sont bien définis, celui qui questionne, celui qui répond, n’auront pas de réponse et continueront d’attendre qu’il se passe quelque chose. Mais quoi ? Illustré sans doute à partir de papiers découpés, avec de grands aplats de couleurs vives et gaies, en doubles pages, l’album donne à voir un monde lumineux, dans lequel s’exprime la curiosité de ces deux amis qui se laissent entrainer par cette chose venue d’ailleurs dans un voyage qui les ramène à leur point de départ. Le plaisir est dans le voyage, dans l’aventure. On ne sait pas ce que c’est, concluent les deux amis, mais c’était merveilleux. N’y a-t-il pas là comme une leçon de vie, une façon de se laisser emporter par ce qui vient sans forcément chercher à le rationnaliser ?

Une histoire pleine d’originalité, de surprises, de péripéties, qui surprendra le lecteur qui s’amusera autant des rebondissements que de l’impassibilité et du flegme des deux chiens dans toutes les situations.

Le mystère de la basquette bleue

Le mystère de la basquette bleue
André Bouchard
Seuil Jeunesse

Une enquête sans fin…

Par Michel Driol

Lorsqu’Adèle, Hortense, Paul, Camille et Hugo découvrent sur un trottoir une basquette bleue, ils veulent en percer le mystère : comment est-elle arrivée là ? A qui peut-elle bien appartenir ? Et chacun y va de son hypothèse : à un homme mangé par un tyrannosaure, à un bébé géant ayant perdu sa chaussure… On le voit, ces hypothèses, qu’on laissera ici au lecteur le plaisir de découvrir dans leur intégralité, emportent dans un imaginaire de plus en plus éloigné de la vraisemblance, jusqu’à l’heure du gouter qui laisse le mystère irrésolu… Sauf que l’auteur y va de son hypothèse, tout aussi fantastique que celle de ses personnages, avant de faire appel à ses lecteurs pour lui envoyer leur solution à ce mystère.

De façon classique, l’album confronte un texte, page de gauche, à une illustration, page de droite. Celle-ci reprend, pour l’essentiel, le même décor urbain. Un trottoir noir, une basquette bleue, des enfants colorés, et un arrière-plan traité dans les gris : la fenêtre et la porte cochère d’un immeuble, numéro 21. Seules variations : la présence ou non des enfants, la représentation de la cause de la présence de la chaussure, et un chat roux derrière la fenêtre. Ce dernier assiste à tout, faisant le dos rond par le tyrannosaure, témoin muet mais expressif, qui s’en va en même temps que les enfants. Quelques illustrations sortent de ce cadre et entraient le lecteur dans l’imaginaire débridé des enfants.

Le texte, très vivant, fait la part belle au dialogue entre les enfants, qu’une autre illustration très expressive représente en bas de page de gauche. Cet album se présente donc comme un jeu incluant l’auteur, qui devient personnage de son livre : comment, à partir d’un fait banal, l’imagination peut se mettre en route et proposer des explications à la fois pleinement logiques et irrationnelles, entrainer dans une espèce de surenchère verbale jouissive pour le plus grand plaisir du lecteur. On peut aussi y voir une certaine conception de la littérature ou de l’art : à partir d’un fait réel, conduire le lecteur dans un autre univers surprenant, émerveillant, poétique et drôle, où tout peut arriver. Autre façon de dire le pouvoir de l’imagination et du récit pour nous divertir dans un mouvement sans fin qui entraine aussi le lecteur.

Un bel album sur l’enfance, l’amitié, et le pouvoir du langage et de l’imagination.