Une histoire sans caca…

Une histoire sans caca…
Philippe Jalbert
Seuil jeunesse 2024

Dira ? dira pas ?

Par Michel Driol

Deux personnages dans cette histoire. D’une part un enfant qui raconte une histoire, dont le dernier mot, à la tourne de page, commence par ca…  et dont on n’a que la première syllabe. D’autre part, celui qui est sans doute le papa, dont les propos sont imprimés en cursive sur fond bleu, qui tente de réorienter l’histoire. Le plaisir est de faire attendre le mot interdit commençant par ca…

Voilà un album bien drôle.  D’abord à cause de la surprise du mot commençant par ca… à chaque tourne de page. On fait l’hypothèse d’un nom, et on en a un autre, étonnant. A chaque fois le papa veille, figure de la bienséance et incarnant les interdits langagiers.  Drôle aussi à cause du comique de répétition, l’enfant se voyant contraint de recommencer souvent son histoire, avec toujours le même incipit : « Il était une fois un enfant… ». Drôle également à cause des illustrations, très enfantines, très joyeuses, et représentant à chaque fois le mot commençant par ca… Drôle enfin en raison du rapport qu’on imagine entre l’enfant, prêt à transgresser les règles langagières, à employer un gros mot qu’il  adore, se lançant dans des histoires sans queue ni tête, et le papa, dont les propos ne sont jamais illustrés, un papa qui censure, qui interdit. Quant au mot que chacun attend, disons seulement qu’il est prononcé deux fois, dans des contextes bien loufoques.

Un album qui joue avec les mots, avec le plaisir de la transgression, s’en approche, la côtoie… pour le plus grand plaisir du lecteur dans une scène entre un enfant faisant ses premières gammes avec le langage et un parent jouant lui aussi son rôle.

Comment devenir un élève modèle

Comment devenir un élève modèle
Audrey Poussier
L’école des loisirs 2021

En 7 leçons et sans ce fatigué

Par Michel Driol

Colette et Mo adorent jouer, et détestent l’école. En 7 « leçons », ils expliquent comment être à l’heure, bien écouter en classe, ne jamais rater l’école, excuser ses absences, faire ses devoirs, être bon camarade, savoir s’adapter aux situations imprévues… Sauf que ces « leçons de sagesse » sont plutôt des façons d’échapper à l’école, de faire l’école buissonnière, de faire croire qu’on est malade, et d’écrire des mots d’excuse à l’orthographe approximative mais qui dénotent une bonne dose d’imagination !

Sous une forme qui tient à la fois de l’album et de la bande dessinée, voici un album qui réjouira tous les cancres… mais pas que ! Deux personnages pleins de vie, un frère et une sœur, malicieux, étourdis, roublards, inventifs, et, au fond, terriblement sympathiques ! Pas de parents, mais un robot  « notre petit bonhomme en chef », métaphore du père ou de la mère, et une maitresse, autoritaire, peureuse, sévère, mais amatrice de bonbons comme les enfants, qui, au fond, l’adorent. Des situations farfelues, où les mots peuvent être pris au pied de la lettre, et des illustrations pleines de gaité, comme ce costume d’école buissonnière. L’album joue sur l’antiphrase, les deux personnages se prétendant sans arrêt bons élèves, alors qu’ils démontrent le contraire dans leur comportement, leurs attitudes. Mais rien de méchant, rien de violent, juste un désir assumé de ne pas se soumettre aux règles de l’école pour vivre sa vie d’enfant, loin des contraintes qui fera sans doute rêver tous les lecteurs en leur donnant l’image du fruit défendu et en les renvoyant à leurs propres pratiques et comportements.

Tout est dit de la complicité qui unit les deux personnages et les lecteurs dans la quatrième de couv’ : sil vou plé, ne dite pas que vous zavé trouvé toute ses idées dans notre livre, on pourrai avoir de cérieux problème. Autre preuve que pour apprécier les transgressions, il faut connaitre les normes et les règles!

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage
Françoise Coulmin – Séverine Perrier
Motus 2019

Comme une recette du bonheur

Par Michel Driol

Le livre donne d’abord quelques recettes en cas d’insomnie : recettes, comme le titre l’indique, pas très sages et quelque peu burlesques ou farfelues. Puis suivent d’autres recettes de choses à  faire, quand on est éveillé, la dernière étant se préparer à écrire un poème… Mais, quand toutes les conditions sont remplies pour l’écrire, peut-être a-t-on envie d’autre chose : réaliser un dessert nuage qui rendra heureux toute sa vie…

Un grain de folie plane sur cet album drôle et malicieux. Plaisir des mots, plaisir des actes défendus en temps normal, plaisir de la transgression : la grand-mère propose des listes de solutions, de choses à faire qui tiennent de l’inventaire à la Prévert et d’une envie de liberté sans contrainte, de magie à hauteur d’enfance où tout peut se mêler, de monde à l’envers où la sagesse traditionnellement prêtée aux grand-mères est devenue folie douce. Avec une grande poésie, le texte développe cet univers proche de celui d’Alice au pays des merveilles, où l’on croise des dragons, des limaces, où l’on guette les signes du poème à venir. La graphisme lui-même est pris de cette folie : taille et couleur des lettres, lignes d’écriture brisées, circulaires, ondulées Tout participe de cet univers burlesque, sorte d’éloge de la folie pour lutter contre une trop grande sagesse, invitation à utiliser les forces de l’imaginaire contre un réel trop contraignant.

Les collages de Séverine Perrier sont des petites merveilles et composent un monde surréaliste, farfelu et plein de douceur. On y cherche la petite bête, le petit détail qui font jubiler au sein d’un univers onirique qui n’a rien d’inquiétant.

Un album qui serait comme un éloge poétique de la folie.

Dix cochons sous la lune

Dix cochons sous la lune
Lindsay Lee Johnson, Carll Cneut
La Joie de Lire, 2011

 Ceci n’est pas un album à compter

par Christine Moulin

linday lee johnson,carll cneut,la joie de lire,cochons,transgression,christine moulin,fugueDès les pages de titre, on se doute de quelque chose : rien n’est tout à fait « normal ». On nous parle de 10 cochons,  nombre rassurant s’il en est, et dans la cabane sur  la gauche, ce sont des éléphants qui se détachent sous forme d’ombres chinoises, et à droite, une souris.

Quand les cochons entrent en scène, en fait, ils sont sur le départ. Pour une fugue nocturne. Le réveil marque huit heures (moins cinq) et pourtant, il fait nuit noire et on est en été (on le saura plus tard, il fait chaud, très chaud).

Protégés par la surveillance discrète d’un hibou, nos cochons vont à qui mieux mieux braver les interdits. Certains, toutefois, emportent un grigri : un livre qui ressemble étrangement à celui que nous tenons entre les mains, un doudou, un ballon…

Mais « tout est-il permis, se demande le hibou ? ». Non, bien sûr…

Loin des messages moralisateurs, cet ouvrage interroge le lecteur sur la transgression, le plaisir (surveillez les souris!), l’irruption du désir qui dérange la sage ordonnance des nuits et des jours, le tout amplifié par les illustrations, toujours splendides, de Carll Cneut.

Voulez-vous connaître l’avis de Sophie Van der Linden ?