Isaure et la fête foraine
Pauline Robinson
Seuil Jeunesse 2023
Manèges hallucinatoires
Par Michel Driol
Isaure, pour la première fois, se rend seule à la fête foraine. Mais, au stand de confiserie, la vendeuse lui parait avoir deux canines menaçantes. Serait-elle une ogresse ? Et Isaure fuit de manège en manège, et il lui semble la retrouver dans toutes les attractions. Le dernier monstre terrifiant n’est autre que le pompon qu’elle attrape. Et tout se termine autour de deux barbes à papa.
La fête foraine est bien un lieu hors norme, où le réel côtoie le fantastique. C’est ce qu’expérimente ici l’héroïne, qui se laisse emporter par son imagination galopante, nourrie par toutes les choses à voir, les bruits étonnants et les odeurs évoqués dans les premières pages. Cet album dépeint bien l’ambivalence de ce lieu, lieu de plaisir, mais aussi lieu de terreurs possibles, avec les miroirs déformants, les trains fantômes, les chenilles géantes qui glissent sur des rails. Les mots eux-mêmes deviennent des menaces, selon la façon dont ils sont prononcés, et les caramels, berlingots et croustillons peuvent être des sujets d’inquiétude. Le texte suit au plus près cette course d’Isaure qui tente d’échapper à ses peurs, tandis que les illustrations mettent en évidence ce caractère inquiétant de la fête, en saturant les pages d’éléments imagés (gâteaux devenus wagons) ou de personnages, voire d’animaux, monstrueux et dangereux. Au fond, cette expérience de la fête foraine apparait comme un récit d’initiation, dans lequel l’héroïne va apprendre à surmonter ses peurs, à voir la réalité en face et non ce que son imagination lui montre faussement. En acceptant de retourner voir la jeune confiseuse, Isaure découvre qu’elle a changé depuis ce matin : n’est-ce pas cela, grandir ?
Inscrit dans un univers à la fois familier et inquiétant, celui de la fête foraine, magnifiquement représenté ici, l’autrice signe un album personnel et original sur les petites étapes qui font grandir en permettant de vaincre ses peurs irrationnelles.