Adia Kelbara à l’académie des chamans

Adia Kelbara à l’académie des chamans
Isi Hendrix
Traduit (anglais, USA) par Rosalind Elland-Goldsmith
Seuil, 2024

Parcours laborieux

Par Anne-Marie Mercier

Comme c’est souvent le cas, cette série qui évoque les aventures d’un/e apprenti/e sorcier/e passe par bien des clichés. La jeune héroïne est orpheline. Elle est élevée par un oncle et une tante peu compréhensifs qui l’exploitent et l’empêchent de choisir son propre destin. Elle finit par leur échapper, moitié par ruse, moitié par rage, déployant des pouvoirs destructeurs qu’elle ne se connaissait pas et qui l’effraient. Elle se croit alors maudite, habitée par des pouvoirs monstrueux. Partie en apprentissage comme cuisinière à l’école des sorciers, elle cherche quelqu’un qui pourra la guérir.
Les traits d’originalité commencent là : les scènes en cuisines sont intéressantes, l’école est un organisme vivant qui souffre ; elle cache bien des secrets, notamment une bibliothèque où personne ne va (sauf Adia) ; les apprentis chamans ne sont que des enfants de la haute société sans aucun talent ; enfin, le jeune empereur qui va venir visiter l’école est parait-il possédé par un démon ancien que l’on croyait vaincu définitivement. Un sort, à la manière de celui de Cassandre, fait que toute personne qui le dénoncera ne sera jamais crue et déchainera la violence de tous, y compris de ses proches.
Adia souffre du mépris des élèves et se réfugie dans la bibliothèque où, un jour, elle surprend une conversation qui lui révèle le secret de l’empereur. Elle est peu après renvoyée de l’école et c’est dans sa fuite honteuse qu’elle retrouve la déesse venue combattre le vrai démon, une jeune fille qui deviendra son amie, un soldat maladroit qui voudrait bien l’être, etc.
Il y a de l’imagination, un univers cohérent et de belles trouvailles mais c’est malheureusement écrit de façon très lourde. De plus, tout est explicité et l’on a l’impression de lire avec une voix off qui nous explique en continu qui pense quoi et quand et pourquoi. Le récit, malgré toutes ses péripéties se traine et l’on a hâte de voir tous les pouvoirs d’Adia se révéler enfin à cette héroïne décidément un peu simplette pour tourner définitivement la page (mais, il y aura deux autres volumes pour les amateurs).

Les mille Vies d’Ismaël et quelques saveurs en plus

Les mille Vies d’Ismaël et quelques saveurs en plus
Raphaëlle Calande
Roman Sarbacane 2024

Cuisine, graff et amour

Par Michel Driol

A 15 ans, en troisième, Ismaël est en plein décrochage scolaire. Même sa grand-mère ne parvient plus à lui venir en aide. Son père est en prison et sa mère déprime. La mort de sa grand-mère, après un cours de maths catastrophique, l’entraine dans une escalade de violence  au collège, et il doit passer dans un mois en conseil de discipline. Sa mère décide alors de l’envoyer, à Lyon, chez son oncle qui lui a trouvé un stage dans la cuisine d’un bouchon, auprès du Chef Francis. Là Ismaël fait la connaissance de toute la brigade, et, en particulier, de Céleste, une apprentie un peu plus âgée que lui,  dont il tombe amoureux.

Si le genre romanesque doit faire pénétrer le lecteur dans des milieux sociaux, les dépeindre, ce premier roman Raphaëlle Calande  y parvient remarquablement. C’est le milieu de la brigade d’un restaurant, avec ses relations,  ses hiérarchies, ses tâches, ses solidarités, son vocabulaire particulier, c’est aussi le milieu du graff, son lexique, ses codes, ses valeurs qu’il nous fait connaitre. Dans une langue souvent métissée et vivante, l’autrice réussit à mêler différentes techniques de narration. Le récit à la première personne, des extraits de carnet de correspondance, un QCM, un bulletin scolaire, des SMS… et même un relai de narration très polyphonique dans le chapitre le plus mouvementé. Tout cela s’inscrit dans le paysage d’une France qui va mal, raciste (Ismaël a un père polynésien), où les enseignants sont peu empathiques envers ce garçon aux dreadlocks, où des skinheads agressent des immigrés qu’on chasse de leur squat. Dans ce pays qui va mal, des personnages dépriment, deviennent boulimiques. Ismaël est ravagé par un sentiment de culpabilité, persuadé d’avoir entrainé le geste fatal de son père, persuadé aussi d’avoir causé la mort de sa grand-mère. Mais ce n’est pas un roman déprimant, c’est au contraire un formidable roman sur l’entraide et la solidarité, avec des personnages remarquables pour leurs qualités. L’oncle et la tante, qui élèvent un enfant atteint d’autisme Asperger, le Chef Francis, bougon et grande gueule comme il se doit, mais attentif à transmettre des savoirs, des attitudes, et soucieux du respect et du bien-être de tous ses apprentis dans son restaurant. Céleste, fille de profs engagés et bobo bohèmes, qui, à l’image des établis des années 68-70, préfère apprendre la cuisine et renonce à  fréquenter la bourgeoisie d’un lycée d’élite. Avec sa langue bien pendue, son don de la répartie et des relations sociales, elle défend une certaine conception du féminisme dans des milieux très masculins, entend se faire respecter, et rêve de graffer, elle aussi. Tous les membres de la brigade sont intéressants, bien dessinés par l’autrice, en particulier Katal, qui devra choisir entre la cuisine et le graff… Les nombreux personnages d’adultes bienveillants, le chef Francis, Mado, accueillants, cherchant à donner leur chance aux jeunes d’origine populaire montrent que l’on peut réparer, à son échelle, la société qui va mal. Au bout du compte, Ismaël, balourd, en surpoids, empoté, que rien n’intéresse dans le premier chapitre, découvre la solidarité au travail, le sens de l’entraide, et trouve enfin l’estime de soi qui lui faisait défaut. Autant qu’un page turner, c’est un vrai feel good roman qui réussit aussi à rester dans la légèreté sans chercher à approfondir ou à théoriser les problèmes que rencontrent les personnages : l’autisme, le surpoids, le racisme. Au lecteur de comprendre ces arrière-plans sociaux, psychologiques, l’important étant la dynamique du récit et les valeurs dont il est porteur. Un récit qui fait aussi la part belle à la cuisine lyonnaise, du tablier de sapeur aux tartes à la praline !

.A voir ces jeunes, dans ce quartier de la Croix Rousse, on se surprend à penser aux compagnons de la Croix Rousse de Paul-Jacques Bonson, des compagnons qui auraient un peu vieilli, porteraient désormais des noms issus de toute une diversité, mais n’auraient rien perdu de leurs origines populaires, de leurs valeurs de solidarité et de bienveillance autour d’un personnage, Mado, qui, âgée, serait devenue patronne de bistro. C’est un roman qui met en avant la générosité pour aider chacun à grandir, et à faire ses choix par lui-même. On est très loin de Top Chef, et du principe d’élimination. Il s’agit au contraire de tout faire pour accueillir chacun dans la communauté humaine, une communauté faite de métissages ethniques, culturels… même si la cuisine du Chef Francis est fortement héritière de la tradition des mères lyonnaise !

Le roman se termine par un gâteau, le Céleste, dont l’autrice donne la recette et nomme la conceptrice, ainsi que par un petit lexique des termes culinaires pour prolonger par la pratique la lecture de ce roman à déguster sans modération ! Comme l’écrivait Brecht dans l’Opéra de Quat’sous, d’abord vient la bouffe ! la morale ensuite !

Le Goût du temps

Le Goût du temps
Seoha Lim
D’Eux, 2022

Douceurs du temps (passé, présent, goûté)

Par Anne-Marie Mercier

Associer notions et sensations permet de mieux les explorer. Ainsi, Anne Herbauts dans son bel album sur la cécité, De quelle couleur est le vent ?, avait-elle essayé de faire « sentir » la couleur à des non-voyants et de faire comprendre à ceux qui ne l’étaient pas la nature de leur monde.
Ici, l’ambition est plus générale : il s’agit d’associer un plat, des saveurs, avec « le temps qu’il fait ». Deux lapins invitent leurs amis (écureuils, cochons, ourson…) à venir fêter un anniversaire en apportant chacun une évocation du temps qu’ils aiment : une soupe d’automne à la cannelle et aux nuages avec des odeurs de fleurs et d’herbes, et un soupçon d’extrait de brume pour les uns, lié au souvenir de leur grand-mère ; pou d’autres, ce seront les biscuits des jours de neige (aux amandes, bien sûr) préparés par leur mère.
Le temps qu’il fait est ainsi associé au temps qui passe et à la recherche de ce qui a été perdu mais qui revient, à la manière proustienne, dans des sensations aussi subtiles que puissantes : odeurs, goûts, atmosphères… Les images suaves et simples nous introduisent dans un joli monde enfantin, fait de partage, de découvertes et d’extase à travers de charmantes inventions de plats, mêlant l’imaginaire et la cuisine, l’impalpable au solide.
On retrouve la douceur de La Bibliothèque de la forêt, du même auteur, avec plus de profondeur, mais toujours avec des petits lapins.

Les Restaurants imaginaires

Les Restaurants imaginaires
Anne Montel – Loïc Clément
Little Urban 2022

Recettes bien réelles pour tous

Par Michel Driol

Les Restaurants imaginaires sont en fait un livre de recettes réalisables par des enfants, avec la complicité d’adultes. 25 recettes qui vont de l’entrée au dessert, des classiques œufs mimosas aux plus exotiques chirashi, 25 recettes présentées selon les standards des livres de cuisine, durées de préparation, repos, cuisson, ingrédients et déroulement. 25 recettes qui prolongent ce qu’en disent en introduction les auteurs, à savoir que la cuisine a un lien avec les souvenirs des grands parents, des parents, et la transmission. C’est pourquoi c’est dans une envie de faire ensemble, de partager des moments dans la préparation des plats autant que dans leur dégustation que s’inscrit cet ouvrage, comme une façon de resserrer le lien familial et de lutter contre la malbouffe.

Si cet ouvrage n’était que cela, ce serait bien. Mais il vaut aussi par son entrée dans l’imaginaire, indiquée dès le titre. D’abord parce que les membres de la famille réelle des auteurs sont représentés sous une forme animalière anthropomorphisée ans l’introduction en en quatrième de couverture. Ensuite parce que chaque recette est associée à un restaurant imaginaire, qui est illustré sur chacune des pages de droite. Restaurant pour fleuriste, pour naufragé ou pour lapin, en fonction des ingrédients présents dans la recette. Ces illustrations ouvrent un espace de tendre poésie, dans laquelle des animaux anthropomorphisés se retrouvent autour d’un food-truck surréaliste : bétonnière, carrosse, souche d’arbre… Elles font voyager ainsi d’un univers maritime à une univers céleste, et permettent aussi de croiser des personnages bien connus de la littérature de jeunesse, de l’ogre au petit prince.

Je ne sais si les recettes sont aussi délicieuses que l’est cet album qui invite à partager le plaisir de cuisiner ensemble !

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur
Michaël Escoffier – France Cormier
D’eux 2021

Petit manuel de cuisine pour les ogres

Par Michel Driol

C’est le chef Bronislav Haddendur qui accueille les lecteurs dans cet album. Depuis 50 générations, sa famille régale les ogres : n’est-il pas le mieux qualifié pour livrer ses recettes ? L’ouvrage commence par présenter les enfants, dire leurs dangers, préciser la différence entre enfants sauvages et enfants d’élevage, et donner les conseils pour la capture de seconds, bien plus gouteux ! Vient ensuite le chapitre consacré à la conservation des enfants. Et enfin trois recettes savoureuses : le rôti d’enfant, l’enfant brioché, le sandwich à l’enfant. Bon appétit !

Conçu sur le modèle des livres de recettes traditionnels, cet album est drôle et réjouissant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il parodie les encyclopédies ou les émissions culinaires qui donnent des conseils avisés, tant sur le choix des produits que sur leur utilisation. Cela sera peut-être plus perçu par les adultes lecteurs que par les enfants. Ensuite parce qu’il présente une vision de l’enfance pleine de saveur : la moquerie toujours présente, les dents gâtées par les bonbons trop fréquents, les microbes qu’ils apportent avec eux, leur gout pour les frites ou les pizzas, leur aptitude à se chamailler ou encore leur manque d’hygiène… Chacun s’y reconnaitra, et mettre ces traits dans la bouche d’un ogre ne manque pas de piquant et introduit une distance entre le texte et la réalité qui permet de mieux la percevoir. Enfin par les recettes. Passons d’abord sur leur côté rabelaisien dans l’exagération des proportions. 10 kg de farine ou 3 kg d’oignons, pas moins ! Evoquons ensuite la précision du lexique culinaire utilisé : on a affaire à un spécialiste ! Certes, mais n’est pas trop transgressif de proposer ainsi des recettes dans lesquelles des enfants vont se faire rôtir, griller ? C’est là qu’il faut évoquer le rapport texte image, et observer finement comment, à chaque recette, l’image montre que l’enfant est plus malin pour glisser qui un nounours, qui une chaussure, qui un grille-pain à sa place dans le plat, alors que l’ogre n’y voit que du feu. Autre qualité attribuée aux enfants : la débrouillardise qui culmine avec la fuite de toute la troupe d’enfants, dans le dos de l’ogre. Comme une revanche de David sur Goliath ! Les illustrations, colorées, vivantes, expressives, sont pleines de détails à examiner avec attention.

Ce petit manuel de cuisine pour les ogres, album grand format, est un vrai portrait des enfants d’aujourd’hui, avec leurs qualités comme la débrouillardise, avec leurs défauts comme la gourmandise, avec leurs penchants à l’irrespect. Il est surtout d’une drôlerie irrésistible !

Et toi, qu’est-ce que tu manges ?

Et toi, qu’est-ce que tu manges ?
Chloé Mesny-Deschamps, Salomée Vidal, Lucia Calfapietra
Grasset jeunesse, 2021

Le tour du monde avec treize enfants

Par Anne-Marie Mercier

La cuisine est bien ce qui distingue et rassemble : treize enfants aux prénoms tantôt bien français tantôt pas proposent une recette (d’une entrée, d’un plat principal ou d’un dessert), en commençant tous leur texte par « Dans le pays de mes ancêtres… ».
Chaque chapitre occupe quatre pages. Les première doubles pages sont consacrées à l’évocation rapide du pays, à travers quelques unes de ses caractéristiques : géographie, religion, faune et flore, coutumes… et à une présentation du plat, tout cela face à une belle image colorée reprenant quelques aspects évoqués par le texte. La deuxième double page développe la recette, avec toutes les caractéristiques du beau livre de cuisine : image présentant le plat dans un beau récipient et sur une nappe qui évoquent la tradition du pays, liste des ingrédients, élaboration pas à pas.
Tout est écrit à la première personne : c’est un enfant qui s’adresse à d’autres enfants. Les mots sont simples, les termes spécialisés expliqués (comme le mot « lever »), les ingrédients sont faciles à trouver (de la Vache qui rit pour une recette indienne, par exemple), les explications sont claires et intègrent des remarques personnelles sur le plaisir de certaines étapes (toucher, goût…) .
On y trouvera le Guacamole, le naan au fromage, une salade fattouche, les jiaozis, les falafels, les sushis, les boulettes kefta, les gnocchis, le poulet DG du Cameroun, les kanebullar (gâteaux à la cannelle suédois), les tartelettes au sirop d’érable, le gâteau Pavlova, et, pour la France, le croque-Monsieur ! Le succès est quasi certain, autant par la simplicité des recettes que par le choix judicieux de saveurs et de consistances aimées des enfants.
Les illustrations sont appétissantes, très colorées, avec le relief particulier du papier découpé ; la page finale présente tous les enfants avec leurs plats  dans un décor de fête en plein air, comme une invitation à organiser un superbe pique-nique de fin d’année intégrant l’histoire des familles de tous les enfants.
Voilà un beau complément aux livres d’Alain Serres chez Rue du monde sur la cuisine multiculturelle : Une cuisine grande comme le monde (avec Zaü, réédité en 2020 avec un jeu de memory) ou Une cuisine grande comme un jardin (avec Martin Jarrie, 2004)

Pot d’âne

Pot d’âne, recette en verre
Sophie Tiers
CMDE (« Dans le ventre de la baleine »), 2016

Ingrédients : une princesse, un âne, un roi, un prince

Par Anne-Marie Mercier

Cette réécriture d’un conte de Perrault est un peu différente dans son principe de celle du Petit Poucet et des autres contes publiés au CMDE, réécrits par Marien Tilet (voir Chronique précédente). Autant qu’une variation sur le conte célèbre de « Peau d’âne », il s’agit ici d’un exercice de style, assez réussi, qui consiste à raconter (plus ou moins) la même histoire en n’utilisant que des mots pris  dans un livre de cuisine.
Il y a de la virtuosité, de l’humour, de la poésie même dans ces télescopages de mots et de sens. Ainsi la princesse s’adresse-t-elle à son père : « Mon roi./ Je te prends l’animal/ Te dénude de thon or/ Ce coffre cette nuit/ M’entoure de son pelage/ Tas bête se transforme et s’adapte/ À mets chairs/ À mets côtes/ Amont sors/ […] Je te laisse sans chemise,/ Parée de matière grise/ avant que tu m’écosse me rendre grosse ».
Elle attend le prince et prépare le fameux gâteau : « Dans ce palais Je ne suis plus reine/ De Saba je passe aux abats/ Et fond au rang le plus bas./ […] Les vapeurs culinaires/ Font marcher droit verre ailes / Les pas de l’étranger ».
Éloge de la forêt et des herbes, de la fuite et de l’errance, tout autant que louange  aux arômes et saveurs lourdes d’une cuisine d’autrefois, c’est un livre qui se savoure, et qui donne faim.

Les illustrations fragmentaires et délicates, allusives autant que le texte, composent un puzzle dont les morceaux, réunis dans la dernière page, complètent l’image de cette femme animale et invitent à refaire le chemin pour mieux le saisir : à repasser les plats, donc ?

Pour écouter ce livre et voir des images de la performance à laquelle il a donné lieu voir ici (patienter un peu, le départ est un peu lent)

L’Auberge entre les mondes. Péril en cuisine !

L’Auberge entre les mondes. Péril en cuisine !
Jean-Luc Marcastel
Flammarion jeunesse, 2017

Auberge espagnole inter planétaire

Par Anne-Marie Mercier

Nathan est orphelin, il a été placé en foyer, puis en famille d’accueil, comme son ami Félix. Tous deux étudient dans une école hôtelière. Monsieur Raymond, un de leurs professeurs est aussi restaurateur et tient une auberge dans les montagnes, il leur propose un stage chez lui. Jusqu’ici tout est très normal, à part le mystère qui plane sur la mort des parents de Nathan.

Dès leur arrivée il se passe des choses étranges et terrifiantes : une créature inconnue et gigantesque leur barre la route, l’homme qui est venu à la gare semble se transformer, son oiseau apprivoisé semble parler, et Félix à son tour se transforme en félin lorsque Nathan est attaqué à son tour…

Le récit est mené tambour battant : Nathan se réveille choqué et peut croire un instant que ce n’était qu’un cauchemar, mais l’histoire se poursuit dans le cadre de l’auberge, ses cuisines, ses caves et resserres qui sont autant de portes vers d’autres mondes et d’autres salles à manger où les convives qui se pressent viennent de toute la galaxie, ? ou de plus loin…

Sans prétentions philosophiques en dehors du discours humaniste obligé, et sans originalité autre que celle, qui mérite d’être soulignée, du cadre aubergistico-cuisinier (à la fin du livre on trouve les recettes de l’auberge !), ce roman plein d’action et d’humour se lit bien et laisse présager des suites savoureuses.

Sur le site de l’éditeur, une interview de l’auteur.

La fée des Maamouls

La fée des Maamouls
Jean-François Chabas
Magnard Jeunesse, 2016

L’eau à la bouche

Par François Quet

Si vous ne connaissez pas les maamouls, il serait temps de vous renseigner. En tous cas, ce livre aura pour premier effet de vous faire chercher la pâtisserie orientale la plus proche ou bien, sur un site internet, la recette de cette délicieuse confiserie libanaise. Le problème c’est que, quelles que soient les qualités de votre fournisseur ou vos talents de pâtissiers, vous n’arriverez pas à égaler les maamouls confectionnés par Razane, l’héroïne de ce petit roman de Jean-François Chabas.

Voici un bon moyen de savoir si vous avez réussi vos gâteaux aussi bien qu’elle : la fée des maamouls, qui n’apparaît que si la recette est tout à fait réussie, se présente-t-elle devant vous ? Sinon, vous devrez faire une nouvelle tentative.

Ce n’est finalement pas très compliqué pour l’excellente cuisinière qu’est notre héroïne, de faire apparaître la fée des Maamouls. Ce qui l’est plus, c’est d’obtenir d’elle qu’elle réalise le vœu auquel a droit la reine des pâtissières. Et les obstacles sont nombreux : il faut trouver le bon moment et le calme nécessaire, il ne faut pas perdre de temps en bavardages inutiles, et surtout, il ne faut être fâché(e) avec personne, mission quasi impossible quand on a le tempérament de Razane.

Jean-François Chabas a imaginé, dans la tradition des Mille et une nuits, un conte de fée très léger et plein de fantaisie.  Si le récit ne manque pas d’humour et de situations amusantes, il vaut surtout pour le portrait de trois femmes : la grand-mère, la mère et sa fille, tempéraments forts et que tout oppose dans cette comédie explosive.

L’intérêt pour le Liban se manifeste aussi dans le vocabulaire qu’emploient tous les personnages (y compris, bien entendu, la fée) au point qu’un bref glossaire s’avère nécessaire : instrument efficace mais aussi source d’imaginaire exotique, et belle introduction à une culture étrangère.

Enfin, c’est la cuisine et l’amour des bonnes choses qui met l’eau à la bouche du lecteur. Construire un roman (si petit soit-il) sur la gourmandise et la passion de cuisiner, ce n’est pas si courant !

 

Le creux des maths

Le creux des maths
Christine Avel

L’Ecole des Loisirs (Neuf), 2012

Aïe ! Je n’ai jamais eu la bosse !….

Par Dimitri NIER et Laure JOURDAT, Master MESFC Saint Etienne.

Le creux des mathsAbel, au prénom prédestiné comme le lecteur le découvrira, est un jeune garçon, issu d’une famille pour qui les maths sont comme un fil rouge qui les unit, où tout le monde a « la bosse des maths », depuis ses parents jusqu’à ses jeunes frères, qui se trouvent dans la même classe que lui malgré leurs deux années de moins. Tous, …sauf lui. Lui, il a plutôt le « creux des maths » que la bosse, comme ses parents s’amusent à le lui rappeler.

Il espère, le jour de son anniversaire, que quelque chose d’extraordinaire va lui arriver. Comme de nombreux enfants de son âge, il s’identifie à son héros, Harry Potter, et souhaite que lui parvienne une lettre qui le tirera de ce monde dans lequel il se sent étranger. Cette lettre, il la reçoit effectivement, mais quelle n’est pas sa déception lorsqu’il apprend qu’elle ne le destine pas à une prestigieuse école de sorciers, mais à une semaine en compagnie d’un célèbre mathématicien finlandais, prix gagné par ses frères pour un concours qu’ils ont passé en usurpant son nom car ils n’avaient pas l’âge requis pour participer….

 Abel, se retrouve alors confronté à un dilemme : soit il joue un rôle d’imposteur, soit il passe à côté d’une belle occasion. Il décide de tenter sa chance et se retrouve brusquement loin de tout, tombe dans le stress permanent, terrorisé par l’éventualité que le mathématicien qui l’héberge ne découvre qu’il n’est pas le génie que la victoire laissait présager. Au fil du séjour, il apprend cependant à connaître cet étrange personnage, qui ressemble si peu à ses parents malgré ses capacités mathématiques. Les deux protagonistes s’apprivoisent peu à peu, en partageant notamment un goût commun pour la cuisine.

On retrouve le personnage principal à la fin du roman, devenu un prodige de la cuisine; il se voit enfin glorifié et mis sur un piédestal par le reste de sa famille. Il s’est découvert une vocation mais il lui a fallu pour ce faire prendre de la distance par rapport à ses proches, comme si la réalisation de soi s’en trouvait plus facile. Ce roman est une manifestation claire de la volonté de chacun de se découvrir un don ou une passion.

Cette aventure humaine est racontée avec les mots d’un enfant de onze ans, ce qui se ressent dans la formulation de phrases courtes, au vocabulaire quelque peu familier comme «cramé », ou « foutu ». Un lecteur plus avisé trouvera sans doute le dénouement intéressant, cependant le récit se trouve un peu dénué d’action. En effet, les seuls rebondissements du livre se déroulent dans le cheminement intérieur du protagoniste, pour qui ce voyage apparaît comme une découverte et une acceptation de soi.