Je m’appelle Mina

Je m’appelle Mina
David Almond
Traduit (anglais) par Diane Ménard
Gallimard Jeunesse (grand format), 2011

Folle de mots

par Anne-Marie Mercier

Je m’appelle Mina .jpgMina aime la nuit, et aussi les mots. Elle les utilise en toute liberté, au grand dam de son institutrice, ignorant les règles et la logique ordinaire. Elle écrit son journal avec sa fantaisie, mêlant réflexions et notations prosaïques, questions et rêveries. Elle raconte aussi son histoire qui a fait qu’elle a été retirée de l’école, pour comportement trop « bizarre », la scène de terreur qui a tout déclenché, l’ombre d’un père disparu, son passage par un établissement spécialisé.

Le journal de Mina est un livre hors-normes par sa forme : pages noires, pages vides, listes, « activités hors piste » qu’elle se propose : « observer la poussière qui danse dans la lumière », « écrire un poème qui répète un mot, qui répète un mot, répète un mot, jusqu’à ce qu’il perde pratiquement son sens », inventer des mots, refuser les évaluations… Le texte est très bien traduit, un tour de force, vu son originalité et sn inventivité verbale. Les pages sont tantôt sages, tantôt couvertes de mots en très gros caractères ou en encadrés. David Almond joue avec l’espace de la page en toute liberté.

Excellent dans la peintures d’adolescences masculines tourmentées par la violence (superbes Le Jeu de la mort, Imprégnation… parus en collection Scripto), Almond explore ici l’enfance et la frange de la folie avec délicatesse. Prix Andersen pour l’ensemble de son œuvre, prix sorcières en 2011 pour Le Sauvage, il avait aussi reçu la Carnegie Medal et le Whitbread Chidren’s book of the year pour son premier roman pour enfant, Skellig, auquel Je m’appelle Mina fait écho avec une grande poésie.

Le jeu de la mort

Le jeu de la mort
David Almond
Traduit (anglais) par Anita van Belle
Gallimard (Scripto), 2003

Sombres lumières

par Anne-Marie Mercier

David Almond est un merveilleux auteur, à découvrir à l’occasion de la sortie de son nouveau roman, Imprégnation. Son univers est à la charnière entre réalisme et fantastique, douceur et cruauté. Des paysages de landes anglaises, de petites villes et de banlieues mornes, des personnages ordinaires, habités par un grain de folie construisent un cadre crédible pour des portraits saisissants d’adolescents hésitant entre norme et transgression et tentés par la violence et les pulsions morbides.

Dans Le jeu de la mort, Askew, un jeune homme plus qu’étrange, exerce une fascination sur une petite bande de jeunes gens qu’il entraine dans des jeux inquiétants de simulacres d’exécution. Le héros, Kit, nouvellement inclus, en ressort extrêmement troublé, persuadé d’être allé de l’autre côté du réel et d’avoir vu le passé des lieux, son poids de morts et de souffrances.

Ce pourrait n’être qu’un roman parmi d’autres évoquant les jeux dangereux et les conduites à risque des adolescents. Mais c’est bien plus que cela : en arrière plan de ce récit souffrant et tenu par un suspens permanent, on trouve une ancienne mine, l’histoire des mineurs et de leurs légendes, les souffrances des hommes et des enfants, les trop jeunes morts et les petits fantômes qui hantent les lieux. De ce parallèle se dégage l’idée que ce goût du noir et de la plongée dans les profondeurs, cet amour du risque, n’est pas uniquement l’apanage d’une jeunesse moderne désœuvrée mais est une pulsion fondamentale des jeunes hommes de toutes les époques (les filles apparaissent dans le roman moins touchées mais pas tout à fait exemptes de ce vertige du gouffre). Tout au long du roman se jouent des questions de vie et de mort, de fidélité à soi et à autrui comme à la mémoire, à l’histoire et d’ancrage dans la société. La maison et la famille, le collège et les amis, la lande et ses fantômes sont des lieux de va et vient et de tensions incessants avec des personnages secondaires variés, tous indispensables, tous proches et lointains, tentant de comprendre ce qui se joue et ne saisissant que des bribes.

L’évocation et les apparitions du « soyeux », fantôme d’enfant qui court pour l’éternité dans les galeries, est à la fois atroce et très douce. En arrière plan de ces mémoires collectives erre la mémoire du grand père de Kit, ancien mineur, qui lui a raconté ces histoires et revit son passé avant de se perdre parfois en lui. Kit arpente la mémoire de son grand père comme il arpente les boyaux désaffectés. Géographie mentale et géographie réelle se mêlent, comme les histoires individuelles et collectives, les événements imaginés et réels.

Dans l’affrontement entre les deux garçons, la création offre une nouvelle strate d’exploration et de signification : l’écriture chez Kit et le dessin chez le rebelle Askew sont des moyens de vivre, de communiquer, de se battre, de convaincre, et pour Kit de tirer la mort vers la vie. De ce roman très sombre émerge une lumière, comme un charbon qui brille.

Imprégnation

Imprégnation
David Almond
Traduit (anglais) par Diane Ménard
Gallimard (Scripto), 2010

La question du Mal

par Anne-Marie Mercier

Se promenant avec son ami Max, un garçon paisible et normal, Liam rencontre un autre ami, Natrass, pas paisible du tout, obsédé par des jeux dangereux qui évoquent ceux d’un récent roman de David Almond, Le Jeu de la mort (voir la chronique de Li&Je). Dans la même promenade, Liam trouve un couteau et un bébé abandonné. Fasciné par l’un et l’autre, il ne voudra se séparer ni de l’un ni de l’autre et chacun l’entraînera dans des voies opposées, mais toutes pleines de dangers. Tout au long du roman, Liam oscille entre ses deux amis, entre deux façons de vivre ; de même il hésite entre le désir de préserver la vie et celui de donner la mort.

Avec le même art du suspens que dans Le Jeu de la mort, David Almond arrive à raconter une histoire prenante avec des personnages intéressants (le couple des parents de Liam, lui écrivain et elle artiste, dit quelque chose de ce qu’est la création pour cet auteur et de sa fonction et les montre aussi dans leurs activités quotidiennes), un cadre réaliste aussi bien sur le plan géographique (la campagne anglaise vers le mur d’Hadrien) que social (une famille heureuse, des enfants placés, les travailleurs sociaux qui s’en occupent, une famille d’accueil, la police locale et l’armée). Il y met en scène des questions politiques (la traque aux sans papiers), artistiques (peut-on faire de l’art à partir de l’horreur ?) et éthiques.

La même éternelle question revient encore : d’où vient cette fascination pour les spectacles morbides, cette attirance pour la violence et le sang ? Cette interrogation est posée à travers des événements rattachés à plusieurs moments de l’actualité contemporaine, les massacres du Liberia, les enfants soldats, le terrorisme islamique,   les images qui circulent sur internet. Elle est aussi portée par les adolescents du roman, violents contre eux-mêmes et entre eux, abandonnés par les adultes et terriblement désemparés.