Le Petit Pompier

Le Petit Pompier
Margaret Wise Brown, Esphyr Sloboddkina
Didier jeunesse (cligne cligne), 2014

Grand/Petit, Ancien / Moderne

Par Anne-Marie Mercier

le-petit-pompierPublié pour la première fois en 1938, cet album qui connut un grand succès aux États-Unis est édité ici pour la première fois en France : dans la collection que Didier jeunesse a dédiée aux œuvres de la littérature de jeunesse internationale mal connues chez nous (du même auteur, a paru précédemment Une Chanson pour l’oiseau).

L’histoire est apparemment très simple : il était une fois grand pompier… Il est appelé pour éteindre un incendie ; il y parvient, rentre chez lui dit, s’endort et rêve… qu’il éteint un incendie.

Seulement voilà : l’histoire est double. Parallèlement, sur la même page, mais en caractères et en dessins plus petits, on nous raconte l’histoire d’un petit pompier à qui il arrive les mêmes choses, avec de très légères différences et c’est ce qui fait tout le sel de l’histoire, quasi philosophique.

Les illustrations en papier découpé, une nouveauté à l’époque donnent un cadre coloré et stylisé  qui convient parfaitement  au propos. Ainsi ce n’est pas seulement une réédition qui permettrait de connaître des expérimentations en la littérature de jeunesse (Bank Street School proposait à un auteur ayant une expérience pédagogique de s’associer à un artiste pour créer des albums différents). Ce petit chef-d’œuvre est toujours aussi efficace, avec ses couleurs éclatantes et ses jeux sur le grand et le petit, dans les mots comme dans les formes.

Du bonheur à l’envers

Du bonheur à l’envers
Pascal Ruter
Didier, 2013

Quand le « petit Nicolas » s’invente une autre vie

Par Dominique Perrin

bonhComme sans doute en partie son auteur Pascal Ruter, Victor vit avec ses parents dans une campagne lotie de pavillons en bordure de Paris. C’est d’abord le quotidien d’un « petit Nicolas » qu’il narre avec une certaine verve et une certaine fraîcheur, en un peu plus sombre du fait de son âge un peu plus mûr. Des drames bien réels traversent son existence, sans que le jeune protagoniste soit ni armé ni outillé pour les arraisonner : celui de l’incompréhension croissante entre des géniteurs comme venus de planètes différentes, celui de la jeunesse confrontée à la maladie et à la mort, notamment dans quelques chapitres occasionnellement pris en charge par la voisine adolescente de Victor. Ce récit-tableau décolle, et se mue avec une force inattendue en aventure initiatique, avec l’arrivée en fanfare d’un oncle viscéralement marginal, porteur consciencieux et désinvolte d’une partie riche et lourde de la mémoire familiale, et d’un rapport fondamentalement différent au monde. 

Mon ti chien

Mon ti chien
Carl Norac, Isabelle Chatellard

Didier, 2012

Fable mordante

Par Dominique Perrin

ti070350On ne sait pas trop au départ si Rex est un chien, ou une baudruche, une peluche, une marionnette, halé qu’il est par une laisse qui semble lui tenir lieu de moteur. Il est aussi, selon les moments, intégralement enveloppé ou simplement accompagné d’une nuage de paroles « bêtifiantes » énoncées par un maître aimant et autoritaire. Cette condition d’animal tenu en laisse par un flux langagier obsessif et stéréotypé, plus durement encore que par un lien physique, suscite des pensées de révolte.
Rex est tout du moins roi de ses rêves, et s’approprie en esprit d’autres conditions de vie : il s’invente papillon, et même chat, mais aussi vase, coussin, et encore facteur. La fable enclose dans cet album-carnet toilé de rouge – à la manière, en son temps, de Pas facile l’amitié d’Ingri Egeberg et Christian Bruel – est à la fois tendre et incisive ; à la fin, on voit Rex tombé amoureux et père d’une portée de chiots, bêtifier copieusement à son tour. Les jeunes lecteurs percevront sans doute clairement la radicalité de la réflexion ouverte ici, dédiée par les deux auteurs à plusieurs toutous aimés.

J’entends le loup, le renard et la belette

J’entends le loup, le renard et la belette
Christian Voltz

Didier, 2012

Images pour des chansons sans âge

  Par Dominique Perrin

j'entends esLes éditions Didier reprennent leurs « plus belles histoires » en format léger : des contes, souvent traditionnels – aussi désopilants que La Souris et le voleur –, et de nombreuses chansons du patrimoine enfantin et populaire. De ce dernier corpus, réuni dans la collection « guinguette », le J’entends le loup, le renard et la belette de Christian Voltz illustre exemplairement le sel particulier. Les images y transposent des paroles certes fameuses, mais aussi fort mystérieuses, dans un univers symbolique – perçu aujourd’hui comme enfantin, mais assurément universel – marqué par la tension entre instinct prédateur et usage rusé de la parole, gourmandise égoïste et culture partagée. Le moindre charme de cette mise en images n’est pas de laisser largement intacte l’énigme d’un texte dont on redécouvre la progression… déconcertante ?

La Famille glagla

La Famille glagla
François Delecour, Sophie Chaussade

Didier, 2012

Premiers jalons d’un nouvel univers

Par Dominique Perrin

gla La Famille glagla ouvre une série d’albums de bande dessinée pour tout jeune public, au graphisme et à la structure simples, centrés sur la nordique famille éponyme, dans la proche compagnie de phoques largement intégrés à la société humaine. Si le projet est sympathique, les cinq sketches inauguraux proposés ici paraissent d’une qualité inégale, et posent la question de l’ambition des auteurs : créer un monde singulier en rapport réfléchi avec le nôtre, ou divertir le jeune public par des historiettes sans cohérence profonde, touchant à l’exotisme présumé d’un monde de glace – au demeurant en train de fondre.
Le premier de ces sketches évoque une partie de pêche qui débouchera sur l’arrivée d’un poisson rouge dans le cercle familal. La jeune Brigodin y sollicite un volontaire parmi sa collection d’asticots, ce qui pose des questions qu’il ne convient sans doute pas d’éluder, quel que soit l’âge du public visé : ou bien les vers, pleinement personnifiés, laissent leur vie lorsqu’ils servent d’appât, et on ne voit pas pourquoi ils coopéreraient avec leur utilisatrice ; ou bien les auteurs trouvent le moyen, imaginaire ou scénaristique, de protéger leur existence et de justifier ainsi leur collaboration, leurs forfanteries – et leur longévité ici inexplicable.
Si le second sketch est à tout points de vue un peu court (réduit à lui-même, le gag de l’enfant qui ne se décide pas à sauter du plongeoir peut passer pour usé), les trois derniers atteignent à la légèreté malicieuse annoncée par l’éditeur, précisément parce qu’ils témoignent avec cohérence des points de vue singuliers d’un petit poisson et d’un petit enfant. Mais la carte finale du pays des Glagla pose à nouveau le problème de la distance prise globalement ou non par rapport au monde tel qu’il va : il est curieux que la seule institution publique qui y figure soit la police – aux côtés des lieux de plaisir que sont la patinoire, la piscine et le cinéma.
Bref, dans cet univers naissant où les parents Glagla portent ostensiblement le nom des parents du scénariste, on ne retrouve pas la justesse et la cohérence étonnantes des contes du monde entier qui font la très grande classe de l’éditeur ; souhaitons qu’une telle ambition oriente la suite promise des aventures, et que celles-ci explorent résolument les potentialités imaginaires du pôle.