Lili Bumblebee et l’étrange SOS

Lili Bumblebee et l’étrange SOS
Lisa Zordan
Sarbacane 2023

Sauve qui peut !

Par Michel Driol

Lili Bumblebee est-elle atteinte du syndrome de Diogène ? toujours est-il que chez elle c’est une accumulation d’objets hétéroclites qui forment des montagnes. Montagnes protectrices sans doute, puisque Lili a bien trop peur de sortir de chez elle et ne regarde l’extérieur que par une unique fenêtre encore accessible. Mais lorsqu’elle aperçoit, sur la plage, un capharnaüm surmonté d’un message, SOS, elle se saisit de son parapluie, et sort à sa rencontre. D’abord l’agitation de la ville, puis le silence de la forêt, et, grâce à un coup de vent, la plage où elle commence à libérer celui qui est prisonnier de ce bric-à-brac d’objets divers apportés par la marée.

Enfermée dans sa maison-monde, Lili souffre de la peur du dehors mais rêve d’aventure et de voyage au-delà de ses murs. Telle est sa situation paradoxale, rendue sensible à la fois par le texte, et ses énumérations d’objets divers, mais aussi par les illustrations qui montrent l’empilement, le chaos au milieu duquel se trouve l’héroïne aux yeux rêveurs. La sortie, traversée de l’immense labyrinthe, prend un autre aspect grâce à l’illustration. Deux pages, l’une à dominante rose, l’autre à dominante verte, un champ et un contre champ montrent le passage dans une sorte de grotte… à l’image d’une naissance, comme la sortie d’un ventre maternel protecteur – rose – vers un univers froid et hostile – verdâtre. Et, juste avant la porte, de multiples miroirs renvoient l’image difractée de l’héroïne, comme une façon de montrer l’omniprésence du moi dont il faudra sortir pour aller vers les autres. Voici un album dans lequel les illustrations ne se contentent pas d’une redondance du texte, mais lui donnent une autre dimension. Qu’est-ce qui attire Lili au dehors et lui permet de naitre au monde ? A la fois quelque chose qui ressemble à son univers (un assemblage d’objets de natures différentes) et l’interpelle – au sens propre – par cet étrange SOS. C’est un jeu avec le même et l’autre qui permettra à Lili de se libérer, de ne plus être la victime de ses obsessions (belle image finale du petit caillou rond dans sa main, chose qu’elle abhorrait le plus dans la première partie). L’album plein de poésie débute dans la solitude et l’enfermement pour la jeune héroïne qui possède deux qualités, la générosité et l’altruisme. Il se termine avec un message écologique : le vent et la marée ont charrié des tas de détritus, emprisonnant un être vivant. C’est à un double mouvement de libération que le lecteur assiste : celui du petit animal prisonnier, mais aussi celui de Lili qui découvre d’autres petits bonheurs : l’odeur salée de la mer, la douceur du sable chaud. En sauvant l’autre, Lili se sauve elle-même.

Un album porté par une écriture et une illustration qui jouent avec un imaginaire onirique pour nous parler de nous, de nos peurs d’aller vers les autres, de la nécessité de sortir de nos habitudes, pour nous épanouir et profiter des plaisirs simples que la nature peut offrir.

La Case 144

La Case 144
Nadine Poirier – Illustrations de Geneviève Després
D’eux 2019

Le jeu de la Marelle / Va de la terre jusqu’au ciel

Par Michel Driol

Pour explorer la ville sans s’y perdre, Lia dessine sur les trottoirs une marelle géante, grâce à la boite de craies que sa mère lui a données. Mais lorsqu’il ne lui reste qu’un petit bout de craie, et qu’elle doit dessiner la case 144, le trottoir est occupé par un vieil homme couché sur un carton. Sans doute un personnage des Mille et une nuits, possédant un génie, capable de lui redonner une boite de craies neuve…

C’est donc l’histoire d’une rencontre à la fois probable et improbable que raconte cet album tendre et chaleureux. Celle de deux personnages, une fillette et un vieillard, un SDF épuisé et une fillette dont on devine qu’elle vit seule avec sa mère, qui n’a pas beaucoup d’argent. Celle d’une fillette pleine d’imagination et d’un vieillard dont on ne saura rien, si ce n’est que la vie n’a pas été douce avec lui jusqu’à ce qu’il rencontre Lia, qui saura le faire rire et lui offrir un peu de compagnie et de douceur. Le texte épouse le point de vue de Lia, donnant à comprendre sa façon de percevoir une réalité qui lui est étrangère au travers de ses lectures, de sa culture, de son imaginaire. Après l’avoir vu comme un obstacle l’empêchant de continuer de construire sa marelle, elle pense qu’il peut lui être utile grâce à ses pouvoirs magiques. C’est cette grille de lecture faussée – le SDF n’est pas un prince oriental – qui lui permet d’accepter progressivement l’autre tel qu’il est, au moment où elle prend conscient qu’aucun génie ne laisserait un homme dans cet état. Ce sera donc à elle de prendre soin de cet homme, et de lui offrir  ce qu’elle peut, une maison dessinée à la craie : quelque chose d’à la fois sublime et dérisoire. Les illustrations inscrivent l’histoire dans une ville canadienne vue comme un labyrinthe ou un formidable terrain de jeu pour Lia. Quelques pages centrales utilisent des calques, belle trouvaille graphique pour matérialiser l’imaginaire de Lia, qui fait obstacle à sa perception du réel. Les gros plans des personnages montrent des visages très expressifs : rires partagés, commisération, souffrance pleine de dignité du vieil homme.

Bien sûr, une fillette ne peut pas changer le monde et sa dureté. Mais l’album est une incitation à aller vers l’autre, et à prendre soin de lui, dans la mesure de ses moyens, et c’est déjà ça ! Un feel-good album lumineux, poignant et serein.

Si loin de Noël

Si loin de Noël
Baum-Dedieu
Seuil Jeunesse 2021

Tristes tropiques !

Par Michel Driol

Sur une ile du Pacifique vivent quatre amis, Crabe, Pélican, Nasique et Tortue. Comme tous les ans, ils s’activent fin décembre dans l’attente du Père Noël qui semble ne pas connaitre leur ile. Cette année-là, Nasique voit s’échouer un coffre sur une plage, rempli de choses diverses : casque, bottes, lunettes, qu’il emballe soigneusement pour signifier à ses amis que le Père Noël est passé. C’est alors que tombent du ciel quatre flocons…

Les deux auteurs signent ici un joli conte de Noël loin de l’imagerie traditionnelle des lutins et du grand Nord. Il dit l’attente d’un moment exceptionnel, capable de rompre la monotonie des jours, avec ses préparatifs. Il dit l’amitié entre quatre animaux, bien différents mais, en même temps, aux caractères indistincts, petite communauté ilienne agissant ensemble. Il dit l’amitié, le don, la volonté de faire plaisir aux autres, voire l’altruisme. Il dit la enfin la magie de Noël, avec ce coffre mystérieux, et surtout les quatre flocons, quatre comme les quatre personnages. Le texte sait se faire discret, quasi minimaliste, mais aussi adopter le point de vue des personnages. Il laisse la place à de grandes illustrations en double page, à des images très colorées, aux couleurs des tropiques, bleu turquoise, avec des animaux très peu anthropomorphisés, parfois par une pose, ou un accessoire, représentés avec réalisme.

Un bel ouvrage pour toucher à l’essence de Noël : la générosité, la magie, la surprise, les cadeaux, le plaisir. Comme dans Un Noël pour le Loup, Dedieu continue de tourner autour de ce thème afin de le détourner, de le revisiter avec bonheur.