Au gré du vent

Au gré du vent
Mapi, Emmanuele Benetti
A2Mimo, 2024

A bas les murs !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un petit village tranquille où chacun vaque à ses occupations, quand soudain… tout simplement arrive le vent. Le vent pendant trois jours et trois nuits, avec ses bruits et ses odeurs, c’est bien fatiguant et ça dérange beaucoup d’activités. Les habitants, menés par le maire décident de faire quelque chose, de construire un mur par exemple. Et ils le font, hélas.
Cette jolie fable illustre les dangers des décisions trop radicales face au changement. Elle invite à s’adapter plutôt (belle leçon en temps de changement climatique). Elle illustre aussi les dangers de l’enfermement, de manière imagée : on ne voit pas les fleurs qui surgissent au printemps, on ne comprend que tardivement que c’est le vent qui les a apportées.
Les illustrations en noir et blanc, en style naïf, mettent l’accent sur le caractère villageois et bon enfant de cette histoire (les actualités sinistres sont ainsi éloignées). Sur ce fond monochrome les volutes vert pistache du vent se répandent et mettent une belle animation.

 

Lili Bumblebee et l’étrange SOS

Lili Bumblebee et l’étrange SOS
Lisa Zordan
Sarbacane 2023

Sauve qui peut !

Par Michel Driol

Lili Bumblebee est-elle atteinte du syndrome de Diogène ? toujours est-il que chez elle c’est une accumulation d’objets hétéroclites qui forment des montagnes. Montagnes protectrices sans doute, puisque Lili a bien trop peur de sortir de chez elle et ne regarde l’extérieur que par une unique fenêtre encore accessible. Mais lorsqu’elle aperçoit, sur la plage, un capharnaüm surmonté d’un message, SOS, elle se saisit de son parapluie, et sort à sa rencontre. D’abord l’agitation de la ville, puis le silence de la forêt, et, grâce à un coup de vent, la plage où elle commence à libérer celui qui est prisonnier de ce bric-à-brac d’objets divers apportés par la marée.

Enfermée dans sa maison-monde, Lili souffre de la peur du dehors mais rêve d’aventure et de voyage au-delà de ses murs. Telle est sa situation paradoxale, rendue sensible à la fois par le texte, et ses énumérations d’objets divers, mais aussi par les illustrations qui montrent l’empilement, le chaos au milieu duquel se trouve l’héroïne aux yeux rêveurs. La sortie, traversée de l’immense labyrinthe, prend un autre aspect grâce à l’illustration. Deux pages, l’une à dominante rose, l’autre à dominante verte, un champ et un contre champ montrent le passage dans une sorte de grotte… à l’image d’une naissance, comme la sortie d’un ventre maternel protecteur – rose – vers un univers froid et hostile – verdâtre. Et, juste avant la porte, de multiples miroirs renvoient l’image difractée de l’héroïne, comme une façon de montrer l’omniprésence du moi dont il faudra sortir pour aller vers les autres. Voici un album dans lequel les illustrations ne se contentent pas d’une redondance du texte, mais lui donnent une autre dimension. Qu’est-ce qui attire Lili au dehors et lui permet de naitre au monde ? A la fois quelque chose qui ressemble à son univers (un assemblage d’objets de natures différentes) et l’interpelle – au sens propre – par cet étrange SOS. C’est un jeu avec le même et l’autre qui permettra à Lili de se libérer, de ne plus être la victime de ses obsessions (belle image finale du petit caillou rond dans sa main, chose qu’elle abhorrait le plus dans la première partie). L’album plein de poésie débute dans la solitude et l’enfermement pour la jeune héroïne qui possède deux qualités, la générosité et l’altruisme. Il se termine avec un message écologique : le vent et la marée ont charrié des tas de détritus, emprisonnant un être vivant. C’est à un double mouvement de libération que le lecteur assiste : celui du petit animal prisonnier, mais aussi celui de Lili qui découvre d’autres petits bonheurs : l’odeur salée de la mer, la douceur du sable chaud. En sauvant l’autre, Lili se sauve elle-même.

Un album porté par une écriture et une illustration qui jouent avec un imaginaire onirique pour nous parler de nous, de nos peurs d’aller vers les autres, de la nécessité de sortir de nos habitudes, pour nous épanouir et profiter des plaisirs simples que la nature peut offrir.