Sanni & Jonas Une nuit d’hiver
Kalle Hakkola et Mari Ahokoivu
La Pastèque 2017

Rêver un impossible rêve…

Par Michel Driol

Quatre personnages, pour cet ouvrage qui tient de la bande dessinée et de l’album : une fille, Sanni, son frère Jonas, Maman et Papi. C’est l’hiver, quelque part dans le grand Nord (Finlande, sans doute, étant donné l’origine des auteurs). Chronique d’une vie familiale : descente en luge, avant de se préparer à la longue nuit : bain, histoire… Arrivent alors rêves et cauchemars montrant l’imagination des enfants : nounours polaire cherchant du secours pour Linda le dragon, super maman sauvant le monde, métamorphose en papillon… Chacun des rêves se clôt par un « bonne nuit » rassurant et réconfortant.

L’album conjugue la vie ordinaire de cette famille soudée et sans père avec les jeux, les rêves, les rires et les angoisses des enfants. Celle de la mort revient souvent : crainte de la mort du grand-père, qui souffre après avoir pellé la neige, ou dont les ronflements soudain cessent, ou de celle de la mort de la mère, qu’on envisage. Ces craintes sont vues à hauteur d’enfant dans un texte qui sait prendre des aspects philosophiques, avec la métamorphose des papillons qui leur confère plusieurs vies.  Ces craintes n’empêchent pas les rires et la vie de l’emporter.

A la façon des bandes dessinées, le récit avance au rythme des image etdles bulles, qui font entendre la parole des personnages. Des dominantes de couleur sur les fonds, tantôt chaudes, tantôt froides contribuent aussi à recréer l’atmosphère particulière des rêves.

Un beau voyage au pays des songes enfantins.

40 jours de nuit

40 jours de nuit  
Michelle Paver
Hachette, 2012

Refroidissant !

Par Maryse Vuillermet

40 jours de nuit imageJack Miller, anglais, 37 ans, végète dans un emploi de secrétaire qu’il déteste. Il a étudié mais trop pauvre pour continuer, il ne peut que  rêver  de voyages,  d’expéditions. Nous sommes à Londres en 37, des bruits de guerre lointains  n’empêchent pas quatre jeunes gens fortunés et bien nés  d’organiser une expédition dans le grand Nord en Arctique. Ils  recherchent un télégraphiste pour les accompagner.

Il s’agira de réunir des données scientifiques sur le cap norvégien de Gruhuken, dans l’archipel du Spitzberg, non loin du Pôle Nord.  Jack, bien que très méfiant à l’égard de ces jeunes aristocrates,  Algie, Gus, Teddy et Hugo, est accepté. Ils embarquent tous sur le l’Isbjörn, un bateau commandé par le capitaine Eriksson à destination de leur lieu d’hivernage. Ils sont accompagnés  de huit chiens de traîneau, d’armes,  de munitions, de caisses de vivres et de lampes pour de longs mois. Pendant la traversée, le capitaine tente plusieurs fois de les mettre en garde contre  le lieu qu’ils ont choisi, mais sans succès. Arrivés sur place,  ils installent leur nouveau campement arctique.

Ils sont  d’abord émerveillés par la beauté de ces étendues gelées. Rapidement,  la routine des journées se met en place, interrompue parfois par de curieux petits incidents qui semblent imputables au hasard,  à la solitude, au brouillard.  Hugo les a quittés, pour raison de santé. Jack,  malgré son courage et son dynamisme, sa rationalité aussi  a l’impression que quelqu’un les épie. Il n’ose pas en parler aux deux autres. Et voilà qu’à son tour Gus tombe malade et doit  partir se soigner en compagnie d’Angie.  Jack est seul pour une période indéterminée et la nuit polaire commence à s’installer.  Au fil du temps,  des tempêtes, des mésaventures, et des incidents qui se multiplient,  l’imagination de Jack s’emballe.

Seul avec ses chiens, sa radio et son appareil de télégraphe, avec lequel il communique encore un peu, Jack poursuit son journal dans lequel il décrit  la progression de l’horreur, les tempêtes, la fuite des chiens, les apparitions, il se calfeutre à l’intérieur mais est obsédé  par le poteau devant la fenêtre  qui …se met à bouger..

 Est-il en proie au Rag,  cette fameuse crise de folie  créée par l’obscurité de l’hiver arctique ou pire ?  La  progression assez subtile du cauchemar,  de l’horreur rendent le récit très prenant et très effrayant.  Le narrateur doute et fait douter  son lecteur, jusqu’à la fin du récit, on n‘a pas de certitude sur la cause de ces événements.

Les lieux, l’atmosphère  de trappeurs, de chiens de traîneau,  l’amitié avec le husky, Isaak,   rappellent l’univers de Jack London,   mais l’angoisse  savamment distillée  et les frontières poreuses entre épouvante et folie font plutôt penser  aux  récits fantastiques, au Horla de Maupassant, par exemple.

En tout cas, ça fonctionne !

Revolver

Revolver
Marcus Sedgwick

Traduit (anglais) par Valérie Dayre
Thierry Magnier, 2012

North-ern

Par Christine Moulin

revolver.jpgSi l’action ne se déroulait pas dans le Grand Nord, dans une atmosphère glaciale, pure et étouffante comme celle des tragédies, on pourrait dire qu’il s’agit d’un western: le héros de l’histoire principale (il y a une histoire-cadre que je vous laisse découvrir), Sig, est un jeune garçon dont le père Einar meurt dès les premières lignes (« Sig regardait fixement le corps immobile de son père, attendant qu’il parle, et le père se taisait, car il était mort »). Einar, on l’apprendra, a été impitoyablement poursuivi, pendant toute sa vie, par une brute, un homme-ours (du nom de Wolff…) qu’il a trompé, dans une affaire d’or et de trésor. Appât du gain, batailles, ressentiment, vengeance, errance, violence, tout est là.

Mais comme dans tous les grands westerns, il y a plus: d’abord le froid, qui remplace la chaleur accablante de l’Ouest, minutieusement décrit, mordant et obsédant, qui fatigue mais parfois galvanise, qui tue aussi; ensuite, l’arme qui a donné son nom au roman: omniprésente, à travers notamment des citations qui scandent les chapitres, objet de peur, de fascination, elle semble pouvoir précipiter le dénouement et pourtant… Et surtout, il y a les personnages. Dotés d’une psychologie, d’une personnalité, d’une voix, ils représentent en même temps des valeurs qui vont s’affronter au moment du dilemme auquel sera confronté le héros: d’un côté, celles de son père, la ténacité, le courage, la volonté farouche de défendre les siens; de l’autre, celles de sa mère, l’amour, la valeur du pardon, la Foi, l’Espérance, les deux univers se rejoignant dans un même précepte, difficile à interpréter et à incarner: « Apprends ce que tu pourras sur le monde ».

Le roman est servi par une chronologie complexe mais efficace et par une langue incisive: Valérie Dayre en traductrice, excusez du peu! On peut donc se délecter d’une écriture acérée, émaciée, parfaitement congruente à son objet, qui sait rendre haletantes les actions (« Elle était à mi-chemin du chenil quand elle entendit le coup de feu.
Un coup unique, qui retentit dans toute la vallée pétrifiée par le gel, de la cabane jusqu’au Giron.
L’écho revint en secouant un peu de neige au faîte des arbres, et les corbeaux prirent leur envol. ») mais qui sait aussi donner à ces actions un arrière-plan tragique, voire métaphysique (« Dieu détourne-t-il les yeux quand il arrive de vilaines choses? Ou reste-t-il à observer en s’interrogeant sur l’évolution de sa création? Secoue-t-il la tête tant sont grands son chagrin et sa déception? Ou sourit-il? »).

Tant il est vrai qu’au moment de choisir, il s’agit toujours au fond, de savoir qui on écoutera au fond de soi, car « même les morts racontent une histoire ».

PS : une belle analyse de ce roman sur le blog Les riches heures de Fantasia.