Dans le cœur

Dans le cœur
Nada Matta
Editions MeMo 2021

A tous les enfants de la guerre

Par Michel Driol

La narratrice a six ans lorsqu’éclate la guerre au Liban. Sa famille se réfugie dans une grande maison qui abrite aussi de nombreux enfants. La tante raconte des histoires, on dort dans un dortoir,  on subit les multiples privations, d’eau, de gaz, d’électricité… On rêve et parfois on va à la mer se baigner. Vingt ans plus tard, la fillette qui a grandi découvre enfin l’autre côté de la ville.

C’est en fait une histoire double que raconte ce bel album de Nada Matta, artiste et autrice jeunesse franco-libanaise. D’une part, il y a la fillette dont on a résumé l’histoire qui occupe la plus grande part de l’album, illustré. D’autre part, il y a une autre fillette, qui raconte aussi en « je » son histoire, sur une page. Orpheline, elle est recueillie par une dame au grand cœur solide, dans une grande maison. Enfin, il y a les mots de l’autrice, qui explique le lien autobiographique entre elle et l’autre fillette, sa sœur de cœur. Ce qui se lit donc dans cet album, c’est l’histoire de cette amitié, et aussi, de façon très explicite, l’hommage à la tante, Janine Safa, qui a permis à de nombreux enfants de traverser la guerre du Liban, de continuer à vivre et à aimer.

A partir de son expérience très forte et très personnelle, Nada Matta signe ici un album dont l’écriture et les illustrations sont particulièrement soignées. Le texte au présent évite tout pathos : il est surtout constitué de notations, de constats liés aux activités que l’on fait quand il n’y a plus d’école, aux sensations comme la couverture qui gratte ou le froid, aux peurs et aux réactions presque animales (se rouler en boule pour n’être qu’un point). Ce texte permet donc au lecteur d’être au plus près du vécu de la fillette, de s’identifier à elle. Il sait aussi user des répétitions et des anaphores pour rendre encore plus sensibles certains termes et donc certaines réalités, le cœur de la maison qui protège, les « parfois » qui rythment le temps, ou les « Comme il n’y a plus… » qui marquent les absences, les privations, les difficultés de la vie matérielle.

Les illustrations sont de véritables tableaux qui tantôt partent dans l’abstrait (les couleurs de la fête qui font écho à la guerre qui éclate, composition verticale de coulées qui semblent exploser au sol), tantôt au contraire sont très réalistes, comme les nombreux portraits d’enfants ou d’adultes, traités avec une grande humanité. Ces tableaux utilisent aussi toute une riche palette de nuances : des grisailles rehaussées de quelques taches de couleur pour le temps de la guerre, taches de couleur qui explosent en jaune vif  lorsque le texte évoque l’éclairage à la bougie. Le tout se clôt se un magnifique portrait de fillette souriante dont les larmes bleues s’envolent vers le ciel : tout un symbole de cet album à la fois sombre et lumineux, qui parle d’espoir et de la nécessité de sauver tous les enfants de toutes les guerres.

Un album sensible, riche, émouvant et porteur d’espoir, un album pour dire ce que les survivants doivent à celles et à ceux qui ont su leur transmettre les valeurs et l’amour qui leur ont permis de rester vivants, et debout.

La fée des Maamouls

La fée des Maamouls
Jean-François Chabas
Magnard Jeunesse, 2016

L’eau à la bouche

Par François Quet

Si vous ne connaissez pas les maamouls, il serait temps de vous renseigner. En tous cas, ce livre aura pour premier effet de vous faire chercher la pâtisserie orientale la plus proche ou bien, sur un site internet, la recette de cette délicieuse confiserie libanaise. Le problème c’est que, quelles que soient les qualités de votre fournisseur ou vos talents de pâtissiers, vous n’arriverez pas à égaler les maamouls confectionnés par Razane, l’héroïne de ce petit roman de Jean-François Chabas.

Voici un bon moyen de savoir si vous avez réussi vos gâteaux aussi bien qu’elle : la fée des maamouls, qui n’apparaît que si la recette est tout à fait réussie, se présente-t-elle devant vous ? Sinon, vous devrez faire une nouvelle tentative.

Ce n’est finalement pas très compliqué pour l’excellente cuisinière qu’est notre héroïne, de faire apparaître la fée des Maamouls. Ce qui l’est plus, c’est d’obtenir d’elle qu’elle réalise le vœu auquel a droit la reine des pâtissières. Et les obstacles sont nombreux : il faut trouver le bon moment et le calme nécessaire, il ne faut pas perdre de temps en bavardages inutiles, et surtout, il ne faut être fâché(e) avec personne, mission quasi impossible quand on a le tempérament de Razane.

Jean-François Chabas a imaginé, dans la tradition des Mille et une nuits, un conte de fée très léger et plein de fantaisie.  Si le récit ne manque pas d’humour et de situations amusantes, il vaut surtout pour le portrait de trois femmes : la grand-mère, la mère et sa fille, tempéraments forts et que tout oppose dans cette comédie explosive.

L’intérêt pour le Liban se manifeste aussi dans le vocabulaire qu’emploient tous les personnages (y compris, bien entendu, la fée) au point qu’un bref glossaire s’avère nécessaire : instrument efficace mais aussi source d’imaginaire exotique, et belle introduction à une culture étrangère.

Enfin, c’est la cuisine et l’amour des bonnes choses qui met l’eau à la bouche du lecteur. Construire un roman (si petit soit-il) sur la gourmandise et la passion de cuisiner, ce n’est pas si courant !