La Maison sur la dune

La Maison sur la dune
Niels Thorez – Odile Santi
Editions courtes et longues 2023

Ce qui nous lie

Par Michel Driol

Comme toutes les années, Lou – la narratrice –  et ses parents rejoignent la maison sur la dune. Mais, cette année, c’est  après le décès de celle qui l’occupait, la grand-mère de Lou. La fillette observe  sa mère triste qui erre sur les dunes, dans la forêt, sur la plage. Elle joue un peu avec son père, sans enthousiasme, regarde de vieilles photos de sa mère enfant avec sa propre mère. Lou se décide alors à accompagner sa mère, refaire le geste qu’elle a vu sur les photos pour ôter le sable des bottes… avec la promesse de revenir l’année suivante.

Superbement illustré de tableaux en pleine page par Odile Santi, Niels Thorez propose ici un album tout en retenue et en douceur sur le temps du deuil. Tout ici y semble à la fois réaliste et symbolique. Le lieu, un lieu frontière entre la terre et la mer, la dune, qui grandit, grandit, grain de sable après grain de sable, comme l’inverse du sable qui s’écoule dans le sablier. Lou fait l’expérience de la découverte que tout est à la fois semblable et différent : les mêmes objets, les mêmes odeurs, mais l’absence de la grand-mère change tout. Au « comme toujours » récurrent du texte s’oppose le récit des premiers jours, dans lesquels la fillette, silencieuse, observe sa mère  – jours qui semblent s’étirer tandis que l’illustration montre soit un décor sans personne, soit des personnages disjoints avec des échelles de plan bien différentes les isolant chacun dans leur monde. La vie revient à partir de la découverte des photos, magnifiquement montrées en noir et blanc. A partir de là, les illustrations présentent la mère et la fille unies, voire sous le regard protecteur de la grand-mère dans un cadre au-dessus d’elles. Au-delà d’être un album sur le deuil, sur la mort, c’est avant tout un album sur la transmission : transmission d’une maison, transmission de gestes, passage d’une génération à une autre dans une sorte de complicité, d’intimité féminine gardienne de secrets ou de rites à préserver.

Cet album  prend le parti de la lenteur. Lenteur du rythme qui isole de courts fragments de texte – donc de récit –  sur des pages qui se donnent à contempler, pages sur lesquelles on voit souvent un personnage contempler la mer, voire la mer seule. L’album sait magnifier l’instant qui passe, et comme le figer, pour toujours, pour l’éternité.

Un album plein de tendresse, sans aucun pathos, qui raconte avec sobriété une histoire simple, pour aborder des questions profondes : ce que c’est que faire famille, ce que c’est que transmettre ou hériter, ce que c’est de perdre un être cher, ce qui lie les générations.

Perpète / Illettrée littéraire

Perpète/Illettrée littéraire
Pierre Soletti – Cahier d’illustrations d’Emma Morison
Editions du Pourquoi Pas ? Collection Faire humanité 2023

Si présente absence

Par Michel Driol

Deux récits – ou plutôt deux poèmes – tête  bêche de Pierre Soletti, adressés tous deux à sa grand-mère, Mamé. Perpète, construit autour d’une anaphore, j’ai frappé dit le désespoir de celui qui frappe à la porte d’une morte, avec tout l’amour de l’enfance, tout le désespoir de voir cette porte désespérément close. Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant, écrivait Apollinaire… Plus long, Illettrée littéraire, développe l’oxymore du titre comme un touchant hommage à une grand-mère, Mamé, à ses liens avec son petit fils qui sera ému de voir son nom sur la couverture d’un livre.

Deux textes magnifiques, en vers libres, très libres, qui explorent des frontières. Frontière représentée par la porte, entre la vie et la mort. Frontière entre deux pays, incarnée par Mamé, exilée à l’accent rocailleux. Frontière entre la langue écrite, celle de l’auteur, et la langue orale, « espiègle, créative » de la grand-mère. Ces frontières ne sont pas infranchissables, mais sont plutôt des lieux de passage, voire de transmission. C’est ce que souligne l’incipit du second texte, qui inscrit l’individu dans une généalogie, entre ceux qui l’ont précédé et ceux qui lui succèderont. C’est bien de faire humanité qu’il s’agit ici, c’est-à-dire de n’être pas individu solitaire, mais maillon d’une chaine sans laquelle on ne serait rien.  Quoi de plus beau que de voir un écrivain dire qu’il ne serait rien sans sa grand-mère, présentée en quelques scènes à la fois drôles et émouvantes : celle de la dictée où elle invente l’orthographe, celle du livre d’histoire, avec un(e) grand(e) h(ache), cette grande mère dont la prononciation restituée de quelques mots dit l’accent, c’est-à-dire la singularité et l’originalité. Nous avons perdu nos accents, signes aujourd’hui de l’étranger, de l’autre. Pourtant, il n’est que d’écouter des enregistrements d’avant la télévision uniformisatrice pour entendre les particularismes des origines régionales assumées… Nous devenons de plus en plus des êtres normés, là où des variations seraient nécessaires.  Illettrée littéraire nous invite à nous affranchir des barrières des préjugés, des regards de mépris, pour chercher ce qui nous rassemble, nous aide à grandir, l’amour inconditionnel d’une grand-mère pour son petit-fils. Mais cela va plus loin, car on y lit un véritable art poétique autobiographique. La poésie comme une façon de prolonger par l’écriture ce lien charnel avec les mots prononcés, tordus, déformés d’une grand-mère, de continuer cette création verbale, mais peut-être aussi comme une façon de lutter contre le silence de la porte close qui ne s’ouvrira plus jamais.

Reviennent, comme un leitmotiv du cahier d’illustrations, les lettres, les écritures qui forment visage, bouquet, volet, comme pour montrer que Mamé n’est plus là, mais qu’elle est partout sur ces images d’un bleu très doux.

Deux beaux textes qui trouvent les mots pour dire, à hauteur d’enfant, dans une grande simplicité lexicale et syntaxique, le lien intergénérationnel et la douleur du deuil, afin de toucher toutes celles et ceux qui reconnaitront peut-être en Mamé comme en leur grand-mère ou  leur grand-tante : une passeuse de mots et d’affection.

Le Jardin de Baba

Le Jardin de Baba
Jordan Scott  – Sydney Smith
Didier Jeunesse 2023

Une grand-mère polonaise au Canada

Par Michel Driol

Tous les matins, le père du narrateur le conduit chez sa grand-mère, où il prend son petit-déjeuner. Puis ils vont à l’école. Sur le chemin, la grand-mère ramasse des vers de terre que, le soir, à la sortie de l’école, elle met dans son jardin. Jusqu’au jour où à la place du cabanon de la grand-mère on construit un immeuble, jusqu’où jour où la grand-mère vient habiter chez le narrateur.

Sur un script universel fréquent en littérature de jeunesse, les deux auteurs signent ici une histoire touchante et douce. Touchante, parce qu’intime. Il s’agit de montrer l’amour d’une grand-mère pour son petit-fils, un amour qui ne passe pas par le langage (elle parle peu l’anglais, lui ne doit pas parler le polonais), mais par les gestes, les attentions, la complicité dans des rituels immuables qui se renversent à la fin, lorsque c’est le petit fils qui apporte le petit-déjeuner à sa grand-mère. Touchante ensuite par ce qu’elle inscrit cette histoire familiale dans une Histoire plus grande, celle de l’immigration de la Pologne au Canada, histoire suggérée plus que dite dans l’album. (Elle est explicitée dans la postface). Quelques photos en noir et blanc accrochées au mur, montrées par l’illustration qui représente aussi Baba, la grand-mère, coiffée d’un fichu, à la façon des babouchkas  des pays de l’Est de l’Europe. Un intérieur de cabanon où semble recréée une petite Pologne, avec ses conserves de cornichon et ses betteraves. C’est donc l’histoire d’un double exil, celui de Pologne d’abord, puis celui de la zone périurbaine où vit la grand-mère (un cabanon, derrière un terril de soufre, près de l’autoroute…) à l’appartement où elle perd ses repères. Elle que l’on voyait active dans toutes les illustrations est désormais montrée derrière une fenêtre ou dans son lit. Ce récit plein de pudeur est aussi un beau récit de transmission. Transmission de cet amour pour la nature (le narrateur plante des graines de tomates cerises et continue de ramasser des vers de terre). C’est un récit plein de douceur qui parle aussi de la perte de l’utopie de l’enfance, du temps où l’on croit que les choses sont immuables et vont durer éternellement.  Le présent d’habitude des premières pages, qui porte le récit des rites qui lient Baba et le narrateur, se termine brusquement par un imparfait, qui sonne comme un glas. C’était comme ça… Cette nostalgie, qui a peut-être ici quelque chose de slave, est l’un des charmes de cet album superbement illustré par les aquarelles lumineuses de Sydney Smith dont les cadrages savent saisir des instants particuliers, et magnifient une pluie qui semble assez omniprésente.

Un magnifique album, autobiographique, pour dire tout ce que l’auteur doit à sa grand-mère, et, de façon plus universelle, ce qui se transmet d’une génération à l’autre.

C’est quoi la sagesse, grand-père ?

C’est quoi la sagesse, grand-père ?
Jean Marie Robillard – Fabien Doulut
Utopique 2023

Légende d’automne

Par Michel Driol

Grand-Aigle et Petit Castor ont l’habitude de descendre ensemble en canoé la rivière, et de discuter. A la question de son petit-fils, c’est quoi la sagesse ?, le grand-père montre un chêne qui, après avoir été l’arbre le plus majestueux de la forêt, se contente d’abriter les écureuils. Le voyage continue jusqu’aux rives du lac Massawippi où le grand-père raconte la création des hommes par le Grand-Esprit. Source-Claire, Flamme-Pure, Douce-Brise, Rouge-Terre qui vont rencontrer quatre femmes, Fleur-qui-Sommeille, Cheveux-au-Vent, Fleur-de-Matin et Perle-de-Rosée. Des ancêtres pour qui tout est sacré, la terre, l’eau, le souffle du vent ou le battement de l’aile d’un papillon. Quatre fils du Grand-Esprit dont on se transmet l’histoire, de génération en génération.

A la question philosophique du titre, l’album répond avec poésie, de façon indirecte, par la métaphore et la légende au cours d’un voyage initiatique. Le Grand-Père parle par images, des images que Petit-Castor, représentant du lecteur, ne comprend pas forcément, ce que souligne le texte. « Je t’apprendrai à plonger tes racines d’homme au creux du ventre chaud de notre Terre-Mère et à y puiser la force qui te portera ». D’une certaine façon, tout est dit dans cette promesse du lien qui doit unir les hommes et la terre, de la façon dont la Terre est mère nourricière. La métaphore du vieux chêne vient donner une première approche de cette philosophie, que l’iconographie rend encore plus sensible. Un chêne grandiose, dont les branches déclinent les quatre saisons, dont les racines s’enfoncent profondément dans la terre, et qui protège les deux personnages. A la fois figure des racines nécessaires et de l’acceptation du temps qui passe, de l’automne à l’été. Métaphore que le petit fils explicite : Tu es un peu comme cet arbre. Vient ensuite le récit des origines, que le grand-père transmet à son petit-fils là où son propre grand père le lui a transmis, comme une façon d’enraciner son petit-fils dans une histoire qui les dépasse. Un récit des origines poétique, qui associe l’homme aux quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre, qui souligne l’importance de l’amour, et évoque le mythe d’une nature où vivaient en harmonie les hommes et les animaux. Au-delà de cette façon de célébrer l’union de l’homme et de la nature, voire du cosmos, d’un plaidoyer pour une écologie respectueuse du vivant, c’est la dimension de la transmission qui retient particulièrement notre attention. Transmission entre un grand-père et son petit-fils, c’est un lieu commun en littérature de jeunesse. Mais ici cette transmission trouve sa source dans les générations précédentes, et vise à faire de chacun le maillon d’une grande chaine qui commence à la création du monde. Cette transmission est aussi celle qui nous met, nous, occidentaux, à l’écoute des cultures et des sagesses amérindiennes, pour faire passer une sagesse venue du fond des temps à l’heure où les dérèglements climatiques et le culte de la vitesse, du nouveau, du moderne nous entrainent dans une course effrénée. Voilà un album qui nous dit de prendre le détour de la poésie, de la contemplation pour tenter de refaire un tout avec la nature qui, d’une certaine façon, fait corps avec celles et ceux qui nous ont précédés. Ce qui coule dans les arbres, ce n’est pas que de la sève, c’est le sang de nos ancêtres.

Si les contenus philosophiques sont peut-être un peu complexes pour des enfants, la poésie de l’album, la qualité de ses illustrations, avec ses dominantes de marron et d’ocre rendront sensible au plus grand nombre la question de notre rapport avec la nature : en sommes-nous une partie ou nous est-elle étrangère ? Comment peut-elle nous donner des leçons de sagesse et nous apprendre à mieux vivre ?

Si Rose était là

Si Rose était là
Jennifer Couëlle – Bérengère Delaporte
La courte échelle 2022

Ce qui nous reste de ceux qui sont partis…

Par Michel Driol

On est un matin d’hiver qu’on croirait semblable aux autres, et Toinette cherche comment s’habiller. Tout, le froid, l’odeur des tartes, la neige est l’occasion d’évoquer Rose, la grand-mère, qui, si elle était là, dirait ceci ou ferait cela. Puis on apprend que Rose est allée dans ce qu’on appellerait en France un Ehpad, et Toinette se souvient des promenades avec sa grand-mère, de sa relation particulière avec la nature, de la sensation de la mousse sous les pieds nus. Toinette se souvient aussi de sa dernière visite à Rose, contagieuse, où elle avait dû rester dehors et avait fait l’ange dans la neige. On n’est pas un matin d’hiver comme un autre, c’est celui où il faut choisir sa tenue pour aller enterrer Rose, sa grand-mère.

Voici un ouvrage venu du Québec, qui, par certains côtés très discrets, fleure bon le québécois de certaines expressions, « le sucre à glacer », ou le parler enfantin et édulcorant, comme « la maison pour personnes qui ne peuvent plus décider ». Voici un ouvrage dont les illustrations, vives, lumineuses et colorées, montrent l’amour et la complicité entre une petite fille rousse et une grand-mère aux cheveux blancs, partageant les mêmes activités. Voici enfin un ouvrage dont l’écriture, dans sa simplicité poétique, dit aussi bien l’absence que la présence par ce qui s’est transmis. C’est la simplicité évidente de la formule récurrente, « Si Rose était là » qui à la fois signale le manque, mais n’attend qu’à être complétée par les attitudes, propos, conseils bienveillants de Rose, toutes ces choses que Toinette garde en mémoire. D’une certaine façon, c’est Rose qui conseille la tenue à porter pour ce jour douloureux,  « elle me dirait d’enfiler ce que j’ai de plus réconfortant », et ce sera un pyjama dont les couleurs vives tranchent avec le gris du deuil de la dernière page, au cimetière. Douceur et tendresse sont là pour qualifier cette transmission, qui touche à des petits riens comme à l’essentiel : trouver belle la neige, douce la mousse, et garder des glands au fond de la poche pour oublier la grisaille des trottoirs. Il y a là comme une façon pleine de délicatesse de décrire cette relation intergénérationnelle si marquante, de faire comprendre sans rien expliciter en quoi elle est fondamentale, et de montrer en quoi la vie passe aussi par l’acceptation douloureuse de la mort de celles et ceux qui nous ont précédés. C’est aussi un bel album sur le temps qui passe. Trois indicateurs de temps le rythment, introduisant à trois modalités temporelles essentielles. Toujours, c’est la permanence de l’habitude, parfois, c’est l’exceptionnel, et un jour ce sont tous les futurs à venir. C’est dans ces variations autour du temps vécu et ressenti que se glisse le présent de l’adieu à la grand-mère et le présent de l’enfance.

Après la pandémie de COVID, comme évoquée en filigrane dans cet album, un album lumineux, sans pathos, pour accompagner avec finesse et sensibilité les enfants qui ont perdu leurs grands-parents, mais qui sauront conserver présents en eux leur souvenir et leurs leçons de vie.

Esther, Tapio, Labiwa et les autres

Esther, Tapio, Labiwa et les autres
Cathy Ytak, Thierry Cazals, Thomas Scotto, Anne Maussion, Julia Billet, Christine Beigel, Marie Colot, Jo Hoestlandt, Marie Zimmer, Nathalie et Yves Marie Clément
Editions du Pourquoi pas ? 2023

Que sont-ils devenus ?

Par Michel Driol

Pour fêter leurs 10 ans, les Editions du Pourquoi pas ? ont eu la bonne idée de demander à onze de leurs auteurs de reprendre un personnage d’un de leurs livres précédents, ce qui donne ce recueil collectif dans lequel on trouve dix nouvelles bien caractéristiques de leurs autrices et auteurs.

Ainsi, Cathy Ytak imagine que son personnage de l’Enfant du matin accueille une nouvelle élève qui a fui une guerre et se souvient de sa propre arrivée, et de la façon dont le don d’un livre a changé sa vie. Thierry Cazals reprend le personnage de Tom, de la Bouche en papier. Il s’échappe du cirque où il se produisait, rencontre des enfants à qui il adresse leurs poèmes, puis se retrouve confronté à sa propre oreille en pierre qui ne supporte plus d’entendre tous ces cris de haine. Pour Thomas Scotto, c’est Esther, la fillette terrifiée par le théâtre dans Comme un sourire qui flotte, qui écrit à Anissa qu’elle va monter sur scène pour lire des textes, et rendre ainsi hommage à tous ceux qui l’ont ouverte à l’art et aux livres. Anne Maussion raconte comment la fille de son personnage de Mamie voyage trie ses affaires après le décès de sa mère, et découvre qu’elle n’a pas cessé de penser à elle et de lui écrire. Julia Billet reprend le personnage de Monsieur Kassar, celui qui apprenait à lire et à écrire à Mo, dans le texte éponyme, pour le conduire à révéler son secret, celui de son réel prénom qu’il a dû franciser, ayant ainsi eu le sentiment honteux de trahir sa propre histoire. En écho à L’Autre, Christine Beigel propose Ombre, belle allégorie dans laquelle le programme des ombres s’oppose à celui de MOI, autocrate, jusqu’au jour où ombre prend conscience que MOI a aussi une ombre. Marie Colot reprend Théo, son personnage de la Danse des signes, atteint de surdité. Son amie Emma et lui sont devenus danseurs professionnels et accompagnent le flow d’un rappeur. Jo Hoestland envoie une lettre à la Petite du récit éponyme, et imagine ce que cette fillette du voyage est devenue, comment elle a vécu, a eu une fille. Pour Marie Zimmer, Nino, le héros  de Maisons de papier, est devenu architecte, et soutient son projet de fin d’étude, réhabilitation d’une fiche ferroviaire, où les rails deviennent passerelles pour relier les habitants dans un éco quartier conçu comme habitat d’urgence. Enfin Nathalie et Yves Marie Clément racontent la rencontre et le dialogue entre la lionne Labiwa de la Lionne, le vieil homme et la petite fille, et d’Oscar, le vieil homme des Amoureux du Houri-Houri, de retour dans le pays de leur origine.

Qu’on se rassure d’abord. Il n’est pas nécessaire de connaitre les récits initiaux pour comprendre et apprécier ces textes, qui ont des dynamiques narratives propres.  Bien sûr, si on les a lus, on éprouve le plaisir de la série, qui est de retrouver des personnages sur un temps long. Cette entreprise originale a bien des attraits. D’abord, celle de faire connaitre (pour celles et ceux qui seraient passés à côté d’eux) et de réunir dans un même recueil quelques-uns des auteurs contemporains les plus remarquables en littérature jeunesse. Tous partagent une même vision de l’utilité de cette littérature, des valeurs qu’elle transmet, mais sont d’accord sur la nécessité d’un pas de côté, de passer par l’imaginaire, voire la poésie pour toucher les lectrices et les lecteurs. Sans doute ont-ils tous des techniques d’écriture différentes, et c’est aussi ce qui fait la richesse du recueil. Phrases très courtes ou phrases très longues et enveloppantes, écriture poétique et métaphorique ou recherche d’un réalisme précis, tentation du fantastique, de l’allégorie ou quête d’un ancrage solide dans le réel. Plusieurs de ces textes parlent d’écriture, de lecture, qu’il s’agisse d’y intégrer superbement des haïkus écrits par des enfants en atelier d’écriture, d’évoquer l’imaginaire lié aux lettres (ce O qui enferme, mais qui est aussi la bouche d’où sort le souffle), le théâtre, la musique ou la danse, comme une façon de souligner l’importance vitale des arts et de la culture dans le monde contemporain. Plusieurs évoquent la question de la transmission, de l’amour, de l’apprentissage. Cela se voit en particulier à travers la forme de la lettre que de nombreux auteurs et autrices choisissent pour leurs récits. Les thématiques de l’identité, de l’immigration, du voyage ne sont pas loin, avec toujours ce souci de parler d’accueil et de dignité. Si ce recueil parle de notre monde actuel, il n’est pas pessimiste. Il montre des personnages en mouvement, qui sont en train de réaliser les rêves qu’ils pouvaient avoir dans le premier récit où ils sont apparus. C’est cet optimisme qui transparait dans la conclusion du dernier récit, lorsqu’Oscar explique à la lionne que les hommes ont changé, que l’Afrique reverdit, qu’on ne capture plus les animaux… On aimerait le croire sur parole. Cet optimisme est néanmoins nuancé, en particulier dans la belle lettre un peu mélancolique de Jo à la Petite, mettant en évidence l’écart entre les valeurs de notre pays, celles que promeut ce recueil, et la réalité vécue par les gens du voyage.

Cette diversité des écritures trouve un écho dans la diversité des techniques d’illustration choisies par les 12 artistes (Inès Guerrero, Aurélia Budin, Juliette Torre, Violette Mesnier, Marie-Cécile Grand, Joséphine Loiseau, Charlotte André, Emma Escat, Tom Bellanger, Maëlle Labbé, Bérangère Thominet, Matthieu Dina). Qu’il s’agisse du choix des couleurs, ou du noir et blanc, de remplir la page ou de laisser une respiration avec beaucoup de blanc, d’être dans une épure assez abstraite ou, au contraire, dans la volonté d’être au plus près du portrait, ces illustrateurs apportent des contre-points graphiques à ces textes.

Beau cadeau d’anniversaire que les Editions du Pourquoi Pas ? font à leurs lecteurs, un cadeau riche de la diversité des auteurs, des imaginaires, des écritures, des tranches de vie, au service d’un projet fédérateur qui lui donne sens, faire humanité.

Comme un oiseau dans les nuages

Comme un oiseau dans les nuages
Sandrine Kao
Syros 2022

Le poids des ancêtres ?

Par Michel Driol

En pleine période de Covid et de confinement, Anna-Mei, une jeune fille de 16 ans,  est en pleine crise. Elle vient de faire une piètre prestation à une audition de piano, et sa relation avec Simon bat de l’aile. Depuis le décès de sa mère, c’est son père et sa grand-mère qui s’occupent d’elle. Cette dernière, d’origine chinoise, lui propose d’utiliser la médecine traditionnelle pour retrouver son équilibre. Parallèlement à cela, elle estime important que sa petite fille connaisse l’histoire des femmes de sa famille, depuis 5 générations.

Le roman croise deux fils narratifs. Le premier, c’est celui du présent récent, dans lequel une adolescente fragile, sérieuse et attachante raconte sa rencontre avec un garçon, leur amour, la façon dont elle s’est préparée à l’audition, et ce qui a suivi.  On retrouve là tous les ingrédients du roman adolescent contemporain, le premier amour, la passion pour un instrument, les relations avec les autres et la blessure causée par l’absence de la mère. C’est l’histoire individuelle d’un premier échec dont il faudra, tant bien que mal, se relever. Ce récit entre en résonnance avec  l’autre fil narratif, porté par la voix de la grand-mère, qui entreprend de raconter l’histoire à la fois douloureuse et romanesque des femmes de sa famille. Ces dernières ont traversé l’histoire de l’extrême orient depuis le début du XXème siècle, les guerres, le maoïsme, l’exil à Formose. Ces femmes ont en commun d’avoir été des victimes de l’histoire, qu’il s’agisse de la grande histoire ou de leur histoire familiale. Ruptures, rêves brisés, enfermement, rien ne leur a été épargné, de telle sorte que les lignées mère-fille se retrouvent, à chaque génération, coupées. Il en va de même pour le lien entre Anna-Mei et sa mère, morte très jeune. Le roman plonge ainsi à la fois dans une histoire tragique et  trop méconnue de l’Extrême-Orient, évoquant aussi bien l’accession au pouvoir de Mao, la Révolution culturelle, les événements de la place Tienanmen que la dictature au pouvoir à Taïwan. Ce récit de la grand-mère opère comme une révélation pour sa petite fille, qui découvre ainsi les secrets trop bien gardés d’une tradition familiale, mais dont les corps gardent peut-être les stigmates, à l’instar de cette douleur au pied que ressent la jeune pianiste, trace des pieds bandés de son aïeule ? Sandrine Kao, elle-même d’origine orientale, signe ici un roman qui rend hommage à toutes les femmes qui ont vécu, à leur courage, à leur résilience. Chacune d’entre elle a connu les échecs de ses espoirs, de ses rêves, de sa vie même, mais cette connaissance du passé devient quelque chose d’indispensable pour que la future génération puisse affronter le présent, forte de toutes ces expériences et de ces histoires à la fois si semblables et si différentes. Parlera-t-on ici de destin, de malédiction ? C’est bien de ce tragique-là qu’il est question.

Un roman transgénérationnel qui allie l’intime et l’épopée, qui permettra aux lecteurs français de mieux connaitre l’histoire complexe de la Chine au XXème siècle, construit autour de deux héroïnes, une petite fille et sa grand-mère, pour conduire chacun à réfléchir, sans militantisme ni manichéisme,  avec beaucoup de pudeur et de discrétion, sur la place des femmes et le sort qui leur a été trop souvent réservé, ainsi que sur ce que nous ont transmis nos ancêtres, consciemment ou inconsciemment.

Quand Hadda reviendra-t-elle ?

Quand Hadda reviendra-t-elle ?
Anne Herbauts
Casterman 2021

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Lancinante, la question qui donne son titre à l’album revient, sur toutes les doubles pages, en haut à gauche, tandis qu’en bas, à droite, revient comme un leitmotiv la réponse, « Mais je suis là », adressée à un personnage nommé tantôt mon amour, mon ange, bonhomme, ma mésange, ou mon tout grand…, suivie d’une petite phrase, écoute, regarde, va, tu as ma dignité, ma force, ma beauté… Sur l’autre page, une illustration pleine page montre un coin d’appartement, cuisine, couloir, balcon, rempli d’objets du quotidien, mais sans personne.

Anne Herbauts aime à dire qu’elle fabrique des albums, comme façon de faire dialoguer texte et illustrations, mais aussi façon de proposer au lecteur un objet dont il lui faudra combler les lacunes. C’est bien ce qui fait la force de cet album, de laisser le lecteur avec le sentiment d’une absence et des questions auxquelles il cherche la réponse dans le texte et les illustrations. Tout se passe dans un appartement que l’on dirait abandonné, alors qu’on y vivait il y a peu. Appartement aux carrelages un peu vieillots, aux meubles surannés.  Qui est Hadda ? Mère, grand-mère, peu importe. A qui s’adresse-t-elle ? Au même personnage, enfant, petit enfant ? Ou à plusieurs ? Qu’importe… Hadda est partout dans les illustrations, sans doute sur les photos que l’on voit reproduites dans un pêlemêle.  Dans les ustensiles et ingrédients de la cuisine. Dans le linge qui sèche. Mais dans les illustrations, ce qu’on voit aussi, ce sont les traces de l’enfance,  des chaussettes plus petites aux petites voitures sur la table, ou aux cartes et illustrés par terre. A chacun de construire son propre récit du lien entre les deux personnages évoqués par l’album… Hadda a donc disparu, avec toute la polysémie de ce mot, mais, à travers son appartement, elle continue de dire son amour à ses descendants, elle continue de vivre à travers eux, leur transmettant rires, force, beauté et ailes pour aller plus loin. Car c’est bien cette transmission de force vitale léguée par ceux qu’on aime et qui nous aiment que rend sensible cet album. Comme toujours avec Anne Herbauts ces questions existentielles sont traitées sans forcer, sans s’appesantir, avec à la fois gravité et légèreté. La poésie de l’autrice parvient, avec des moyens simples à rendre présente cette absence, à parler de ce lien intergénérationnel, de la façon dont les disparus continuent à vivre en nous, tout en disant aussi la liberté d’aller plus loin, de vivre sa propre vie, magnifiquement symbolisée par les oiseaux qui s’envolent dans les dernières pages.

Un riche album, qui fait appel à tous les sens, pour dire tout ce que nous portons en nous de ceux qui nous ont précédés, sans tristesse, sans pathos, mais avec une grande confiance dans les destinées individuelles.

Dans le cœur

Dans le cœur
Nada Matta
Editions MeMo 2021

A tous les enfants de la guerre

Par Michel Driol

La narratrice a six ans lorsqu’éclate la guerre au Liban. Sa famille se réfugie dans une grande maison qui abrite aussi de nombreux enfants. La tante raconte des histoires, on dort dans un dortoir,  on subit les multiples privations, d’eau, de gaz, d’électricité… On rêve et parfois on va à la mer se baigner. Vingt ans plus tard, la fillette qui a grandi découvre enfin l’autre côté de la ville.

C’est en fait une histoire double que raconte ce bel album de Nada Matta, artiste et autrice jeunesse franco-libanaise. D’une part, il y a la fillette dont on a résumé l’histoire qui occupe la plus grande part de l’album, illustré. D’autre part, il y a une autre fillette, qui raconte aussi en « je » son histoire, sur une page. Orpheline, elle est recueillie par une dame au grand cœur solide, dans une grande maison. Enfin, il y a les mots de l’autrice, qui explique le lien autobiographique entre elle et l’autre fillette, sa sœur de cœur. Ce qui se lit donc dans cet album, c’est l’histoire de cette amitié, et aussi, de façon très explicite, l’hommage à la tante, Janine Safa, qui a permis à de nombreux enfants de traverser la guerre du Liban, de continuer à vivre et à aimer.

A partir de son expérience très forte et très personnelle, Nada Matta signe ici un album dont l’écriture et les illustrations sont particulièrement soignées. Le texte au présent évite tout pathos : il est surtout constitué de notations, de constats liés aux activités que l’on fait quand il n’y a plus d’école, aux sensations comme la couverture qui gratte ou le froid, aux peurs et aux réactions presque animales (se rouler en boule pour n’être qu’un point). Ce texte permet donc au lecteur d’être au plus près du vécu de la fillette, de s’identifier à elle. Il sait aussi user des répétitions et des anaphores pour rendre encore plus sensibles certains termes et donc certaines réalités, le cœur de la maison qui protège, les « parfois » qui rythment le temps, ou les « Comme il n’y a plus… » qui marquent les absences, les privations, les difficultés de la vie matérielle.

Les illustrations sont de véritables tableaux qui tantôt partent dans l’abstrait (les couleurs de la fête qui font écho à la guerre qui éclate, composition verticale de coulées qui semblent exploser au sol), tantôt au contraire sont très réalistes, comme les nombreux portraits d’enfants ou d’adultes, traités avec une grande humanité. Ces tableaux utilisent aussi toute une riche palette de nuances : des grisailles rehaussées de quelques taches de couleur pour le temps de la guerre, taches de couleur qui explosent en jaune vif  lorsque le texte évoque l’éclairage à la bougie. Le tout se clôt se un magnifique portrait de fillette souriante dont les larmes bleues s’envolent vers le ciel : tout un symbole de cet album à la fois sombre et lumineux, qui parle d’espoir et de la nécessité de sauver tous les enfants de toutes les guerres.

Un album sensible, riche, émouvant et porteur d’espoir, un album pour dire ce que les survivants doivent à celles et à ceux qui ont su leur transmettre les valeurs et l’amour qui leur ont permis de rester vivants, et debout.

Trek

Trek
Pete Oswald
Helvetiq 2021

La famille qui plantait des arbres

Par Michel Driol

Cet album sans texte raconte la journée d’un père et de son enfant. L’homme réveille l’enfant qui s’habille, prépare son sac, puis ils partent en voiture et commencent une randonnée qui les conduit au sommet de la montagne. Là, ils sortent du sac un petit arbre et le plantent, au milieu d’autres arbres,  puis retournent chez eux, où ils feuillettent l’Album de famille sur le canapé. Sur les photos, sépia, noir et blanc, couleurs, on voit que de génération en génération se perpétue cette tradition, de planter  un arbre.

L’album apparait d’abord comme une ode à la nature et à sa préservation. Les images montrent des paysages grandioses où vivent nombre d’animaux sauvages, que l’on suit à la jumelle ou dont le sol garde la trace du passage : autant de signes de vie à observer, à protéger. Il apparait ensuite comme la description des relations d’un père avec son enfant : un père qui joue (aux boules de neige), montre la nature, donne confiance et rassure dans les passages dangereux, pose la main sur l’épaule de son enfant, le protège en lui donnant un casque d’escalade. Tous deux regardent dans la même direction, mais tout est dit dans le regard complice qu’ils échangent, vu dans le rétroviseur de la voiture. C’est enfin un album sur la transmission à travers une coutume familiale qui a traversé plusieurs générations, et dont la nature porte la trace. Cette journée apparait donc quelque part comme un rite d’initiation aux mystères de la nature et de la vie familiale. L’album tire toute sa force des illustrations, respectant ainsi le silence de la nature sans distraire le lecteur par des bavardages ou des commentaires inutiles : il se passe de texte (mises à part quelques onomatopées discrètes) pour magnifier ces petits riens  (objets, gestes, attitudes), ces moments partagés qui disent la force de l’amour et de la vie.

Un album touchant qui laisse au lecteur une puissante  impression de quiétude : zen…