Le Passage des lumières, vol. 1 : Espoirs ; vol 2 Révoltes

Le Passage des lumières, vol. 1 : Espoirs ; vol 2 Révoltes
Catherine Cuenca
Gulf stream, 2012

Révolution et romance

Par Anne-Marie Mercier

PassagedeslumieresLe roman historique pour la jeunesse a souvent le défaut de proposer un héros – qui est souvent une héroïne – anachronique, qui raisonne comme un-e adolescent-e d’aujourd’hui, avec les mêmes revendications, les mêmes révoltes et les mêmes goûts et dégoûts (voir le passage obligé sur les mauvaises odeurs). Catherine Cuenca a trouvé un moyen imparable pour offrir un personnage proche du jeune lecteur et auquel il peut s’identifier sans trop heurter la vraisemblance historique : le voyage dans le temps.

Ainsi, la jeune Zélie, collégienne à Basmont-en-Argonne, se trouve propulsée dans le Basmont du 18e siècle. Se faisant passer pour la nièce du curé qui l’héberge, elle assiste aux débuts de la révolution de 1789, avec la convocation des Etats généraux et le recueil des cahiers de doléances. On trouve certes quelques passages obligés : la condition des femmes, les robes et chaussures si peu pratiques (voilà d’où viennent les baskets aperçues dans Marie-Antoinette, le film de Sofia Coppola), la médecine déplorable… Mais ces touches sont intégrées dans un ensemble cohérent et réussi : Zélie reconnaît les lieux sans les reconnaître, comprend que le dessous des choses lui échappe un peu ; les dialogues avec le curé qui la trouve bien mal élevée sont savoureux, et le village prend vie avec ses riches et ses pauvres, ses jeunes et ses vieux et le beau Léandre ! Mais le réel reprend ses droits en fin de volume. Le deuxième volume la ramène à Basmont en 1791 – heureusement Léandre l’a attendue – et l’on continue à vivre avec elle les épisodes importants de la révolution (4 volumes sont parus).

Lame de corsaire

Lame de corsaire
Nicolas Cluzeau

Gulf Stream (Courants Noirs), 2011

 La mer à boire

Par Matthieu Freyheit 

Pris en chasse par deux vaisseaux anglais, grevé par une série de meurtres à son bord, suivi par une mystérieuse malédiction, le Scylla, frégate française, fait sans conteste figure non seulement de personnage principal, mais également de point d’ancrage. Et le lecteur, qui navigue soudain entre Histoire, aventure et roman policier, en a bien besoin. Le Scylla, en pleine guerre d’indépendance américaine, transporte des armes et de l’or destinés à soutenir les insurgés, ce à quoi s’oppose bien évidemment l’Angleterre. Et ce n’est pas l’unique souci des hommes du bord. Une femme est assassinée dans chaque port où le navire fait escale, de quoi aiguiser la superstition des plus sages : la frégate est-elle vraiment maudite ? La série de meurtres perpétrés à bord ne fait malheureusement que renforcer cette hypothèse, tandis que les deux nouvelles passagères sèment encore un peu plus le trouble dans l’esprit de l’équipage…

On l’aura compris, Nicolas Cluzeau ne fait pas dans le minimalisme. Son site web nous invite même à plonger au cœur de son multivers. Oui, un dérivé d’univers, vous avez bien compris. Aventure, Histoire, récits maritimes, romans policiers, fantasy, Nicolas Cluzeau fait tout et refuse de choisir. Du coup, il faut suivre, et mener de front avec lui les intrigues et les genres. Eric Van Stabel est-il le fier capitaine que l’on croit ? Saura-t-il sauver son navire de la perte ? L’officier Christian de Saint Preux contiendra-t-il sa verve devant la belle Hélène de Montmagner ? Georges Verlanger, enseigne et poète, découvrira-t-il la vérité sur les meurtres perpétrés à bord ? Hélène de Montmagner est-elle aussi arrogante et suffisante qu’il y paraît ? Mais d’abord, qui est Hélène de Montmagner ?

Attention, n’allez pas croire que l’auteur ne fasse pas bien son travail. En dépit de la difficulté de l’entreprise, et malgré un début un peu long, l’ensemble est plutôt réussi. Le navire offre l’occasion d’un huis clos haletant, presque angoissant, la multiplicité des personnages donne une épaisseur certaine à l’intrigue policière, et l’écriture de Cluzeau, quoique trop ostensiblement riche en vocabulaire maritime, parvient à maintenir un suspens efficace. Presque jusqu’à la fin. Presque, seulement. Car si jusque là l’auteur a su se contenir, tout se termine dans un capharnaüm littéraire où s’effacent quelque peu la tension et le plaisir. Mais je n’en dis pas plus…

1001 manières de sentir

1001 manières de sentir
Véronique Gaspaillard, Françoise de Guibert

Gulf stream, coll. La vie tous azimuts, 2011

1001 manières d’être vivant

Par Dominique Perrin

 Se nourrir, naître – se reproduire – sentir : trois albums documentaires explorent successivement ces grandes fonctions transversales à l’univers du vivant, qu’il soit végétal ou animal – avec à chaque fois une interrogation conclusive subtilement espiègle : « et l’humain dans tout ça ? ». L’explication, synthétique et précise, est organisée en chapitres et paragraphes alertes, illustrés sur un mode alternativement plaisant et sérieux ; elle invite le lecteur à se positionner, « tout simplement », en scientifique : Véronique Gaspaillard, professeure de lycée passionnée de biologie, et Françoise de Guibert, spécialiste de l’écriture documentaire à destination de la jeunesse, relèvent ici avec rigueur et allant le défi toujours renouvelé du partage du savoir scientifique et de la curiosité insatiable qui le sous-tend.

Noire lagune

Noire lagune
Charlotte Bousquet

Gulf Stream éditeur, 2010

Polar baroco-féministe

Par Anne-Marie Mercier

noirelagunejpg.gifCharlotte Bousquet emprunte à la fois au roman historique, au roman policier et au roman populaire dans ce récit qui se déroule à Venise en 1579. Le Carnaval, la peste, les courtisanes, le Doge et l’administration de la république, les ambassades et les commerces, la religion… tout cela est mêlé pour composer un roman très dense en informations diverses qui n’ont pas toujours un rapport dynamique avec l’intrigue mais sont très précises et ont un air d’exactitude (encore que, le rapport des populations avec la peste laisse sceptique). Un glossaire clôt le texte (avec des entrées Tintoret, peste, chats, Véronèse, Ghetto, Lépante…).

L’autre originalité du roman réside dans la personnalité de son héros ; c’est une héroïne, et qui plus est une apprentie courtisane (qui le devient de fait à la fin, on le devine), pupille de Véronica Franco dont l’histoire a servi de trame au récit (la peste, les défis poétiques, les accusations de sorcellerie). Mais elle est aussi une escrimeuse, une femme prête à braver tous les dangers et obsédée par un amour impossible. Elle est aussi curieuse et se fait enquêtrice face à une fausse épidémie de peste (on songe au roman de Fred Vargas, Pars vite et reviens tard).

Le résultat est plaisant, baroque au sens où il mêle différents éléments. L’histoire a du corps, elle est pleine de sensations et d’odeurs. Elle crée aussi la jubilation propre à la lecture des romans populaires, tant la vraisemblance est délibérément laissée de côté pour laisser la place à de nombreux coups de théâtre, découvertes, trahisons. La lagune est noire à souhait et les clichés sur la Venise romantique sucrée sont bien loin. Enfin, la poésie, à travers celles de Véronica Franco, parcourt le texte ; la poésie est une arme et une parure pour de belles figures de femmes, conscientes de leur valeur et du danger qui y est attaché.

 

Les Poisons de Versailles

Les Poisons de Versailles
Guillemette Resplandy-Taï

Gulf Stream éditeur (courants noirs), 2011

Sombres jardins

Par Anne-Marie Mercier

Les Poisons de Versailles.jpgLe titre pourrait faire croire que le roman s’inscrit dans la liste de ceux qui se passent à Versailles au cours de  » l’affaire des poisons  » dans laquelle madame de Montespan a été mise en cause (voir les romans d’Annie Jay, Complot à Versailles et d’Annie Pietri, Les Orangers de Versailles et leurs suites).

L’action se passe un peu plus tôt, en 1672, au moment où les rumeurs sur les poisons commencent. L’héroïne est, comme c’est souvent le cas dans les romans de ses devancières, guérisseuse et un peu rebouteuse et a été appelée pour ces talents au service de la reine. Qu’elle soit originaire de Catalogne, de Prats-de-Mollo où sa famille a été décimée par les dragons du roi et que son frère, seul autre survivant, ait pris le maquis avec l’intention de se venger ne fait pas peur au roi ni à son épouse.

Dans le cadre du château en construction, des jardins et du potager de la Quintinie, on voit évoluer la famille royale et les maîtresses, Bontemps le valet et La Reynie le policier, Vauban, Molière, Lenôtre, les savants Sydenham et Lémery… dans une affaire des poisons avant la lettre qui frappe les survivants du régiment de dragons.

Des annexes présentent un résumé d’événements historiques et traits anthropologiques de Catalogne et surtout quelques pages qui auraient mérité d’être placées en préface tant elles sont à la source du livre, sur les plantes et la médecine de l’époque, et sur l’introduction du quinquina, mais aussi sur le galéga, la mandragore, le pavot, la digitale… L’auteur est pharmacienne et s’est servie de ses connaissances pour ce roman, un peu plus noir que ceux qui ont paru sur ce sujet en édition jeunesse. Cette noirceur et cette précision lui donnent un peu d’originalité.