La Pierre maléfique

La Pierre maléfique
Chris Van Allsburg
Traduction (anglais) par Christiane Duchesne
D’eux, 2023

Étrange, vous avez dit étrange?

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant en 1991 sous le titre « The wretched stone »,  cet album est de la grande période de Van Allsburg. Les images, aux dessins cernés de noir, combinant différentes techniques de peinture, sont superbes : magnifiques tons de bruns, marines souples, blancs crémeux, le vaste océan violet et bleu, les ciels immenses, tout cela impressionne autant que les paysages de jungle.
L’histoire, fantastique, se présente comme le journal de bord d’un capitaine, avec tous les garants d’authenticité nécessaires. Lors d’une escale dans une navigation parfaite (trop?), on trouve une pierre étrange. Celle-ci est chargée sur le bateau, et à partir de là tout va mal : les marins sont fascinés par cette pierre et elle a des effets bizarres sur eux…
Les cadrages hardis surprennent à chaque page et le lecteur est embarqué dans d’étranges points de vue avant d’entrer dans des métamorphoses plus étranges encore tandis que le narrateur garde son flegme dans un « understatement » qui procure une distance plus étrange encore. Quant à la chute, elle est bien dans le style de l’auteur : tout semble rentrer dans l’ordre, sauf…
L’occasion de relire Boréal express ?

Kissou

Kissou
Angèle Delaunois – Jean Claude Alphen
D’eux 2022

A tous les petits qui ont dû abandonner leurs rêves en cours de route

Par Michel Driol

Kissou, c’est le nom du doudou d’Amina. Une nuit, sa mère la réveille, lui demande de préparer quelques vêtements et objets, car elles vont fuit leur ville où sévit la guerre. C’est le début d’un long exode, Amina serrant toujours Kissou contre elle. Après le campement de réfugiés, c’est la traversée à bord d’un bateau trop petit, et le naufrage au cours duquel Amina perd Kissou. Amina est sauvée, et Kissou, découvert par un autre homme, est donné, dans un autre camp de réfugiés, à un garçon solitaire et handicapé.

Sur la page de titre, des jouets abandonnés sur l’ocre d’une sorte de plage donnent le ton de cet album. Comment parler de l’exil, de la guerre, des réfugiés à des enfants ? Par le biais du doudou que l’on serre contre soi, signe du passé, porteur d’odeurs, rassurant. Aucune complaisance dans ce album : c’est la réalité des migrants qui est montrée, l’attente dans des camps, cette attente interminable qui fait perdre à Amina toute notion de temps. La dignité et le courage sont mis en avant : Amina ne pleure pas, ne se plaint jamais, malgré les dures conditions de vie. L’évocation de la traversée en bateau, au cours de laquelle beaucoup n’ont pas la chance d’être sauvés, est marquée du sceau du réalisme, avec une conclusion « heureuse » pour Amina et sa maman. Mais peut-on parler de bonheur quand on a perdu le dernier lien avec la vie d’avant ? Le texte dit la peur, la souffrance, la solitude, à hauteur d’une enfant dont il épouse le point de vue. C’est un album sur la perte, perte symbolique du doudou, perte de l’innocence, perte de l’espoir, perte des repères, perte du pays natal. C’est aussi un album sur la passation : Kissou – comme dans l’album d’Ungerer Otto – va continuer sa vie de doudou, consoler un autre enfant qui a besoin d’affection. C’est un récit sur la guerre, sur la résilience et sur la force morale de celles et ceux qui ont tout perdu, notamment des enfants qui ont dû affronter des dangers redoutables pour tenter de survivre. L’empathie de l’autrice et du dessinateur envers leurs personnages est fortement communicative. Les illustrations, très dépouillées, disent l’essentiel en quelques lignes : une ville qui brule, une foule de réfugiés au bord de la mer, la petite lumière devant une tente, ou encore Naïm, l’enfant unijambiste, muni d’une pauvre béquille en bois, serrant contre lui Kissou.

Un album dur, bien sûr, mais sensible et juste, à l’image de la réalité contemporaine des migrations, des exils, qu’il ne cherche pas à édulcorer, et qui permettra à des enfants plus heureux d’avoir une vision qu’on espère aussi empathique que celle des auteurs.

Les Chroniques de Zi, vol2 (Nara) et 3 (Turi)

Les Chroniques de Zi, vol2 (Nara) et 3 (Turi)
Jean-François Chabas
Nathan, 2018 et 2019

Mondes croisés

Jean-François Chabas qui a essayé un peu tous les genres avec brio et une belle écriture, s’adonne ici à la fantasy, un peu à la manière de Tolkien, avec un monde imaginaire (une carte en présente les mers et les continents), des êtres fantastiques (ogres, sorcières, dragons, etc.), une princesse belle et hardie, un chevalier amoureux, son rival et ami – un enfant trouvé mystérieux aux cheveux bleus–, leurs fidèles montures infatigables…
Chaque épisode laisse découvrir un nouveau paysage, de nouveaux ennemis, ou des amis inquiétants. On a aussi un bel exemple de mélange de traditions : si la princesse Nara semble venir de Polynésie, son amoureux semble sorti d’un roman de chevalerie, et l’ami de celui-ci d’un conte de fées…
L’auteur a choisi une technique qui lui permet de raccourcir ce qui aurait pu être une très longue saga : les péripéties  s’enchainent à la suite de nombreuses ellipses qui épargnent au lecteur les temps moins riches en événements, les attentes et délais (souvent elles  sont justifiées par le fait que l’un des héros s’évanouit, puis se réveille pour le chapitre suivant).
Cela donne une densité très généreuse au roman. Tout est mené tambour battant sur terre et sur mer, avec d’épais mystères qui font que personne ne sait qui est ami ou ennemi, et de nombreux moments où la vie des héros tient à peine à un fil, et d’autres où ils se chamaillent de manière comique. Deux autres volumes sont attendus : la fée Zi qui pour l’instant se contente d’observer les événements, n’a pas dit son dernier mot.