Les Rêves rouges

Les Rêves rouges
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2015

Pourquoi les humains aiment-ils les monstres ?

Par Anne-Marie Mercier

« On ne sauvelesrevesrouges pas les gens malgré eux », ces mots clôturent le premier chapitre et l’on croit qu’ils s’appliquent à l’un des personnages, mais tout le roman diffracte ensuite cette affirmation sur chacun d’entre eux. Ce qui commence comme un roman mi sentimental-mi policier avec un zeste de fantastique s’avère être une réflexion sur ce thème de l’impuissance et de la culpabilité, tout en ouvrant une voie vers l’espoir.

Le « Méchant du lac », autrement dit Ogopogo, ou N’ha-a-itk comme le nommaient (et le nomment encore secrètement) les natifs, indiens du Canada, existe-t-il ? Ce monstre aquatique est-il si méchant ? pourquoi semble-t-il vouloir ne se révéler tout d’abord qu’aux deux adolescents qui sont au cœur de cette histoire, le narrateur, Lachlan, indien par sa mère et celle dont il est amoureux, Daffodil, fille aux yeux mauves venue d’Ottawa, qui souffre de trichotillomanie : elle s’arrache littéralement les cheveux. Cela fait d’elle une souffre douleur au collège, notamment pour la bande de petits voyous qui jusque là étaient les amis de Lachlan.

Tous les personnages sont fortement typés : les parents de Daffodil, maniaques eux aussi, mais dans un autre sens, la mère du narrateur, Flower Ikapo, forte femme qui a rompu avec les siens, Edward le pervers, Farren le drogué, un masseur tatoué accompagné de son  fils énorme et simplet, une pseudo-écossaise, une policière abrupte… Et les sentiments de Lachlan explosent comme la chaleur qui écrase les jours et les nuits de la petite ville et de son lac endormi…

Si Lachlan ne sait toujours pas à la fin du roman qui est son père, il en sait pourtant un petit peu plus ; si Daffodil n’est pas guérie de sa manie, on en découvre les raisons ; si les mères de l’une et de l’autre ne sont pas sauvées elles sont sur la bonne voie, quant aux anciens amis de Lachlan, ils lui montrent qu’on ne connaît jamais vraiment les autres : chacun a quelque chose à cacher et le dévoilement, tout en apportant la honte, ouvre une possibilité de libération : c’est ce que fait Ogopogo.

Oui, mais qu’est-ce qu’un rêve rouge? au delà de la symbolique populaire des rêves (« voir rouge », exprimer une frustration ou une passion, la violence…), on peut y voir une référence à la « couleur » de Lachlan et de sa mère, indiens en marge de la société des natifs comme de celle des blancs, mais rattachés au passé par le mythe, et inventant un avenir meilleur à travers lui.

Mongol

Mongol
Karin Serres
L’école des loisirs (Théâtre),

Moi ?   Différent ?….

Par Chantal Magne-Ville

mongoltheatre.aspx.gifmongolroman.gifDans cette adaptation théâtrale du roman éponyme, Karine Serres met en scène Ludovic, un enfant différent qui se fait souvent insulter par ses camarades de classe. Un jour ils le traitent de « mongol ». Le dictionnaire lui apprend qu’il s’agit d’un peuple d’Asie, et il n’a alors de cesse de trouver des informations sur ces hommes dont il découvre la culture. Il en apprend les expressions, la géographie, et rêve sur leurs noms de lieux. En s’identifiant à ces guerriers, et en tentant maladroitement d’en adopter les coutumes, il se singularise et génère l’incompréhension autour de lui. Seul le spectateur perçoit la logique de ses nouveaux comportements, ce qui fait ressortir l’inadaptation des réponses de l’entourage. Cependant Ludovic acquiert progressivement de l’assurance et parvient à tenir tête à ses persécuteurs. Les échanges sont nerveux et très percutants, mimétiques de la montée de la force intérieure du héros, dont nous partageons les conquêtes par le  point de vue interne qui prend souvent la forme de monologues décoiffants où l’humour est souvent présent ainsi que la poésie. Une œuvre attachante, pleine d’humanité, qui sait toucher tout spectateur, quel que soit son âge. La découverte de l’altérité se fait avec une très grande justesse psychologique, sans misérabilisme, délivrant un message résolument optimiste.