Ma musique de nuit / La danse des signes et Uni vert / Remous

Uni vert / Remous
Stéphanie Richard, David Allart

Ma musique de nuit / La danse des signes
Marie Colot, Pauline Morel
Éditions du Pourquoi pas, 2020

Par Anne-Marie Mercier

Dans cette collection, « faire société », deux récits sont réunis, tête bêche, dans un même volume et se répondent. Dans Uni vert et Remous, on imagine un monde changé : il devient vert, totalement vert et les couleurs autres ont disparu, en dehors de la mémoire et de l’imagination des hommes : que va-t-il advenir ? Ou bien il devient mou et seuls certains arbres restent solides : c’est là qu’on doit se réfugier.

Dans Ma musique de nuit et La danse des signes ce n’est pas le monde qui est changé, mais la perception du personnage : l’une est aveugle, et veut jouer de la musique ; une autre est sourde et voudrait danser en rythme avec son ami : comment faire ? Tout est possible, avec la passion et l’amitié. C’est un beau message et un ebelle ouverture.

Les quatre récits s’achèvent avec une page de questions, questions au lecteur, sur son interprétation du texte, question à l’humain, sur ce que cela lui dit de la vie, question au citoyen sur un engagement possible, le sien ou celui des autres, qui serait peut-être déjà là : Pourquoi pas ?

Tempête

Tempête
Sandrine Bonini, Audrey Spiry
Sarbacane, 2015

Tempête dans l’album

Par Anne-Marie Mercier

Que d’ambitions dans cet album ! images superbes et décoiffantes, explosions de couleurs, scenario surréaliste, mêlant réalisme social et onirisme, quadruple et triple pages déployant des scènes fantastiques et superbes sur un réel trop sage… Autre aspects exceptionnels : le format est plus haut que la normale et les couleurs et les ombres sont si bien rendues qu’on se croirait devant un original…
Tout commence pourtant sagement avec une fête d’anniversaire, par un jour gris dans une banlieue pavillonnaire cossue, grise elle aussi : le narrateur, un adolescent, remâche son dégoût :
« les jours s’y succédaient, tristes et brumeux, comme si le cœur des habitants s’était retiré très loin dans leur poitrine. »
Il s’inquiète pour les enfants qui l’entourent « Avec leur façon d’exister si intensément, ils n’arrivaient pas à se faire à tout ce gris qui commençait à leur rentrer sous la peau. Moi, ça ne m’a jamais fait peur mais je me faisais du souci pour ma sœur Félicie, si petite et déjà transparente comme une eau gelée. »
La fête d’anniversaire, traditionnelle elle aussi (ballons, invitation des voisins et des voisins des voisins avec leurs enfants dans le jardin), est très chic (orchestre, discours, buffets avec serveurs, multitude de gâteaux spectaculaires).
Elle est progressivement troublée par un vent de plus en plus fort, qui fait fondre les gâteaux, dérange les coiffures, soulève les robes, fait enfin souffler un vent de folie : une femme en tailleur strict se retrouve vêtue en vamp, le père du héros chante un air d’opéra alors qu’il ouvrait la bouche pour protester contre le désordre, les vêtements se couvent de pois colorés, tout glisse, y compris la route et les bâtiments de la ville, tous et tout partent en tous sens, tout rit.
Les enfants, réfugiés à l’abri sur une colline, regardent de loin en attendant que cela se calme (quand la folie gagne les adultes, mieux vaut s’éloigner et ne rien en voir).
Et tout redevient normal, mais chacun se souvient… et le souvenir s’inscrit dans l’image du triste réel. Entre violence et poésie, déchainement et sagesse, réalisme et déformation du réel, cet album a tout pour étonner et marquer.
Il a reçu le Prix Chrétien de Troyes en 2015.

Sandrine Bonini a bien des talents: elle est l’auteure et l’illustratrice de la série de petits romans d’initiation scientifique Clarence Flute (Autrement jeunesse) et surtout du Grand tour (Thierry Magnier), un beau roman d’initiation, d’aventures, de voyages et de  fantasy, de l’album  Dans mon petit monde, dont Michel Driol, dans sa chronique, relevait la belle ambition, de Lotte fille pirate (chez Sarbacane, avec la même illustratrice), etc.
Elle a aussi illustré de nombreux ouvrages, notamment Ma Soeur est une brute épaisse (Grasset).

Ma Vie en vert, tomes 1 à 4

Ma Vie en vert, tomes 1 à 4
Michel Van Zeveren
L’école des loisirs, Pastel, 2021-2022

Vert… comme un martien

Par Anne-Marie Mercier

La science-fiction est rare dans les ouvrages pour le jeune public, surtout la bonne SF. On avait eu la belle surprise de la BD de Zita la fille de l’espace, de Ben Ben Hatke, chez
Rue de Sèvres (voir nos chroniques pour le tome 1 et les tomes suivants) et depuis il semble que les ouvrages drôles, inventifs et traitant de sujets sérieux se multiplient dans ce genre, notamment sous la forme de séries.

 


Ma vie en vert présente la vie d’un enfant terrien après que sa planète a été envahie par des petits hommes verts : eh oui, les clichés ont du bon quand ils sont utilisés avec humour, mais on pense forcément aussi à l’occupation allemande en France pendant laquelle les soldat de l’armée ennemie étaient appelés « les verts-de-gris » (couleur de leur uniforme).
Ces nouveaux martiens sont donc entièrement verts et ne possèdent qu’une patte (original !). À cause de cela, ils obligent les habitants à ne manger que des choses vertes (ce qui les colore en vert, eux comme leurs habits) et à se déplacer à cloche-pied. Mais la résistance s’organise… Les habitants sont confinés, arrêtés… mais ils triomphent bien sûr (mais tout de même un peu par hasard) à la fin des méchants.
C’est drôle, plein de belles trouvailles et les dessins sont parfaits.

 

 

 

 

 

 

Zita, la fille de l’espace

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

 

Compte avec Olivia

Compte avec Olivia
Ian Falconer
Seuil Jeunesse, 2022

Ou sans

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant sous le titre « Olivia sait compter », voici ce petit livre d’apprentissage de retour avec un autre titre, plus dynamique, impliquant l’enfant (on voit les stratégies marketing comment les théories pédagogiques sont à l’œuvre). Mais à part cela, rien de nouveau : les chiffres apparaissent sur chaque page accompagnant des objets ou personnages tirés de l’univers d’Olivia. Les dessins sont comme toujours drôles, masi le vocabulaire choisi laisse rêveur : le mot « accessoires » pour désigner des objets comme un collier, une casquette, des lunettes, un collant est-il le meilleur (ça sent la traduction) ?
Pour les fans (et on les comprend) d’Olivia.

Aggie Morton, reine du mystère, t. 1 : l’affaire du grand piano23

Aggie Morton, reine du mystère, t ; 1 : l’affaire du grand piano
Marthe Jocelyn, Isabelle Follath
Traduit (anglais, Canada) par Marie Leymarie
Gallimard jeunesse, 2020

Le Masque en Gallimard jeunesse ?

Par Anne-Marie Mercier

Une série policière, ce n’est pas nouveau, mais une série qui se réclame aussi ouvertement des romans d’Agatha Christie, c’est plus rare : l’héroïne, Aggie, s’appelle de son prénom complet Agatha, son ami s’appelle Hector Perrot et, comme Hercule Poirot, il est belge et méticuleux à l’extrême quant à l’hygiène et à la bienséance.
Les similitudes se poursuivent avec le type d’intrigue (le roman à énigme), la poursuite de l’investigation (de multiples suspects, pour finir par trouver comme assassin celui auquel on n’a jamais pensé (enfin, ça dépend du « on »). Aggie dresse un portrait de jeune fille sûre de son talent et de son futur d’enquêtrice qui pourra séduire son public, Hector est un peu effacé.
Tout ça a le charme d’un bonbon anglais, un peu acidulé, mais tout de même bien sucré, l’original avait le mérite d’être plus bref. Aggie a une excuse quant aux longueurs de l’ouvrage : elle se voit déjà écrivaine de romans de mystère et elle double le récit des événements et les dialogues par une ébauche de narration de son cru assez comique tant la recherche des effets est visible et tâtonnante.
L’humour du pastiche peut-il être perçu par un lecteur/ lectrice qui ne connaitrait pas les romans d’Agatha ? Ce n’est pas sûr.

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

Elmer et l’histoire du soir

Elmer et l’histoire du soir
David McKee
Kaleidoscope, 2022

Encore une histoire, une dernière…

Par Anne-Marie Mercier

David McKee est mort récemment, mais Elmer vit toujours : on découvre encore des histoires, publiées l’an dernier au Royaume-Uni, qui font revivre le petit éléphant à carreaux bariolés. Si dans les premiers volumes son apparence était à l’origine des récits, le temps et la célébrité ont fait que ce n’est maintenant qu’un argument de vente: l’histoire racontée ici pourrait être celle de n’importe quel éléphant – ou même de n’importe qui.
Elmer doit garder deux éléphanteaux jusqu’au retour de leur mère qui ne reviendra qu’après leur coucher. Elle lui conseille de leur raconter une histoire pour les endormir, « une histoire comme celle du tapis volant ». Elmer a une autre idée : leur faire faire une longue promenade afin qu’ils s’endorment vite.
En chemin ils rencontrent toutes sortes d’animaux accompagnés d’un ou deux petits à qui Elmer raconte son projet, et chacun conseille une histoire : « celle du cookie magique » conseillent les lionceaux, tandis que les petits crocodiles proposent « celle du monstre qui a perdu son ombre », le lapereau celle du nounours invisible », etc. À la fin, Elmer et les deux petits rentrent fatigués… et les petits s’endorment sans histoires (à tous les sens de l’expression).
Album sur les bienfaits de la marche pour faire dormir les enfants ? Pourquoi pas. Mais c’est surtout le charme des dessins et des couleurs et l’invitation aux parents à se saisir des titres pour inventer à leur tour d’autres histoires qui sont intéressants.

Dans la forêt sombre et profonde

Dans la forêt sombre et profonde
Delphine Bournay
L’école des loisirs, 2021

L’avez-vous eue, les p’tits loups ?

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, tout est là : le décor avec le titre, l’ambiance avec les couleurs sombres, et ce qui fait peur, avec ces yeux grands ouverts qui nous guettent à travers les branches.
Donc, il y a la forêt, et il y a des loups, et dès les premières pages on les entend : ils grognent et ils hurlent.

Mais ce sont des louveteaux. Et ils ne guettent pas le voyageur égaré. Ce sont des petits qui ne veulent pas dormir. Ils réveillent par leurs cris un grand loup (on apprend ensuite que c’est leur mère), un peu excédé, qui leur demande ce qui leur manque pour dormir.
Toutes les stratégies y passent et c’est assez drôle : ils réclament le bisou, le soin d’un bobo, l’histoire, rituels qui tous ont déjà été effectués, et enfin, la chanson… qui manquait.
Le dessin est très efficace, drôle, on voit juste ce qu’il faut.
Et c’est un bon livre à lire avant l’endormissement, à condition d’être prêt à chanter une chanson… mais c’est la dernière, hein ?

 

Bonsoir lune

Bonsoir Lune
Margaret Wise Brown, Clément Hurd
L’école des loisirs, 2022

Do… do… Do…do

Par Anne-Marie Mercier

Classique de la littérature mondiale pour la jeunesse, ce petit livre étrange et hypnotique avait déjà été publié par l’École des loisirs en 1981. Il revient dans une belle édition cartonnée.
On y voit une chambre (bonsoir chambre!) qui revient de deux doubles pages en deux doubles pages avec un cadrage différent, et, dans les autres doubles pages qui alternent avec elles, on voit, isolés, les objets présents dans la chambre. On dit également « bonsoir ». S’installe une répétition berçante et rassurante, parfaitement analysée par Cécile Boulaire dans son blog – carnet de recherches  sur l’album.
Si la chambre est représentée avec des couleurs complémentaires vives, à fond perdu, les images des objets sont des vignettes en tons de gris sur fond blanc : cette régularité berce déjà. Le personnage couché dans le lit (un petit lapin en pyjama) se tourne vers tous les objets, avant d’être pris par l’obscurité et le rythme de la répétition. Les étoiles, l’air et les bruits de la terre sont les derniers à être salués : chut !

Champignons

Champignons
Gaëtan Dorémus
Rouergue,  2022

On serait des petites bêtes…

Par Anne-Marie Mercier

Imaginez que vous êtes un insecte, à quoi allez-vous jouer ?
L’album de Gaëtan Dorémus donne une réponse développée sur tout ce qu’on peut faire avec des champignons : sauter dessus et rebondir (le champignon c’est souple et bombé), s’y mettre à l’ombre (ça ressemble à un parasol), escalader, se cacher, se baigner, danser… tous les plaisirs de l’été s’offrent aux petites bêtes, on les envie.
Et puis on apprend des choses aussi : les champignons peuvent exploser, on peut les manger (mais pas tous !)…

Si le parcours est moins exploratoire que dans les albums précédents, la drôlerie du dessin et la beauté des couleurs de Gaëtan Dorémus sont toujours aussi délicieux.