Petit somme

Petit somme
Anne Brouillard
Seuil Jeunesse, 2014

 Un instant d’éternité

par Christine Moulin

petit sommeTout l’univers d’Anne Brouillard, magiquement fidèle, est présent dans cet album à la fois semblable et différent des précédents. On retrouve les décors et les thèmes qui sont chers à l’auteur: une maisonnette cachée dans les bois, le sommeil d’un enfant, la symbiose entre hommes et animaux, la présence affectueuse d’un merle, l’évocation des moments merveilleux de l’existence, ténus, fragiles mais forts des forces essentielles de la vie.

Il ne se passe strictement rien: une grand-mère confie aux bêtes de la forêt le sommeil d’un bébé et prépare un goûter, que tout le monde partage à la fin. Mais on n’est pas dans le monde de Disney : les animaux ne sont pas humanisés, les hommes les côtoient, les accueillent mais n’interagissent pas avec eux, partageant avec eux « une intimité secrète et affectueuse, quoique presque toujours silencieuse » (1). Le zoom grâce auquel le regard s’approche progressivement des événements imperceptibles de l’unique scène de cet album permet d’un côté, de deviner l’épaisseur d’une histoire humaine à travers les photos accrochées au mur et de l’autre, de partager l’attente des animaux : la grand-mère va-t-elle parvenir à terminer la préparation du goûter sans être interrompue par les cris du bébé?

On referme les pages de ce livre magnifique, avec l’impression d’avoir pénétré dans un paradis fait de simplicité et de sérénité, tout bruissant d’ailes, doux de la douceur de la fourrure et du duvet.

(1) Cécile Boulaire, article « Anne Brouillard », in Dictionnaire du livre de jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie, 2013.

Berceuse du merle

Berceuse du merle
Anne Brouillard
Editions du Seuil, 2011

Lorsque l’enfant paraît…

Par Christine Moulin

Cet album est une berceuse, en images. Mais quelles images! celles d’Anne Brouillard qui nous offre de merveilleux tableaux s’étalant sur de généreuses doubles pages, à fond perdu. Les couleurs sont chaudes, vibrantes: Anne Brouillard n’a pas son pareil pour, en quelque sorte, « peindre le temps ». Elle a su ici capter la lumière de l’été commençant, à l’unisson de la vie qui gazouille dans le berceau. La première partie opère un zoom vers l’oiseau qui donne son titre à l’album. Une fois que le lecteur l’a découvert, au milieu des feuilles, il assiste, guidé par le merle envolé, à un mouvement de « dézoom » qui permet à la fragilité de l’intime de s’élancer vers l’extérieur, vers l’avenir: en l’espèce, les jeux d’enfants plus âgés, la ville, un chat… Mais très vite, on revient vers la maison, le foyer: tout s’apaise et en même temps, s’anime car bébé est réveillé. Le chat, seule présence à peine menaçante, n’apparaît plus qu’en photo, dans un cadre, sur le buffet ; les enfants font signe à l’enfant, qui, bien à l’abri dans les bras de sa mère, y puise la force et la sérénité pour s’ouvrir au monde et le saluer.

Petit Chien

Petit Chien
Anne Brouillard
Seuil jeunesse, 2012

Album espace-temps

Par Yann Leblanc

 On ne sait pas bien où va ce petit chien qui apparaît à moitié (on ne voit que son train avant) tout à gauche de la première page (en fait, la deuxième de couverture) et qui disparaît (on ne voit que son train arrière) dans la dernière (3e de couv.) tout à droite. On ne sait pas bien qui lui parle, l’interpelle, à qui il offre une fleur (l’auteur, le lecteur ?). Mais on le voit déambuler petit à petit dans un espace théorique, ou l’abstraction de la couleur et des formes prend sens à un moment, puis change à nouveau, ou le vert se remplit de champignons, puis de neige, puis de fleurs… l’espace se fait temps, les saisons sont des bulles de couleurs avec lesquelles jouer : on passe, comme lui, et on recommence à l’infini.

C’est un beau travail, difficile à décrire, et qu’il faut parcourir pas à pas ; il est proche de celui de son premier album, Les trois chats, dans lequel l’image est à elle seule tout un poème.

De l’autre côté du lac

De l’autre côté du lac
Anne Brouillard,
Le Sorbier, 2011

Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre,

par Christine Moulin

Anne Brouillard n’a pas son pareil pour créer un univers envoûtant avec rien. Rien si ce n’est un chemin (comme dans Le chemin bleu, autre magnifique ouvrage, publié il y a sept ans, déjà…), celui qu’un présent quasi atemporel nous invite à suivre dès la première phrase : « Le chemin bordé d’arbres tourne autour du lac dans l’ombre et la lumière ».

Rien, si ce n’est une superbe maison, de celle que l’on aimerait habiter, pleine de lumière, de tendresse (un tissu rouge à carreaux, un évier où sèche la vaisselle, des chaises en bois, toutes simples, un buffet, bien sûr, quelques livres posés sur la table, une bouilloire : c’est tout juste si on ne respire pas comme une odeur de café ou de thé en découvrant la double page où se succèdent quatre tableaux paisibles, décrivant  le monde vu de ce côté-ci du lac). Cette maison appartient à Tante Nadège, et Lucie, une petite fille dans les dix-douze ans, y est en vacances, sans doute.

On découvre aussi, avec bonheur, Alpha et Toka, deux chats, l’un blanc, l’autre tigré, merveilleusement croqués et croyez-moi, rien n’est plus difficile à dessiner qu’un chat ! Mais le premier livre de l’auteur, c’était, rappelez-vous, Trois chats.

Tout pourrait rester ainsi, en équilibre, dans la douceur estivale de cette maison de famille, mais « l’autre côté du lac », que Tante Nadège associe visiblement au souvenir et à l’enfance, va faire signe, dans tous les sens du terme. « Un matin, Lucie remarque quelque chose de bleu qui brille dans les arbres ». Bleu, la couleur du temps, chez Anne Brouillard…

On prépare l’expédition car c’en est une. On se lance. Il faudra marcher longtemps, construire un pont. Le résultat sera à la hauteur de l’attente. Manet et son Déjeuner sur l’herbe sont même convoqués. Mais l’essentiel est dans le décalage, le point de vue différent porté sur l’existence : il suffit de passer le pont… et l’aventure commence, à la fois intérieure et universelle.