Un chien dans un jardin

Un Chien dans un jardin
Patricia Storms et Nathalie Dion

Traduit de l’anglais par Christian Duchesne
D’eux, 2022

« Manquer la joie, c’est manquer tout »

Par Matthieu Freyheit

Stevenson rendait hommage à la joie, cette forme économe du bonheur qui parvient à être à la fois contentement et étonnement. C’est ici une leçon de joie à laquelle invite Patricia Storms par l’entremise du chien César, auquel l’illustratrice, Nathalie Dion, prête à chaque instant un regard vif et satisfait. Il fallait bien le regard d’un chien pour donner à contempler le plaisir pris aux choses simples : entendre sa maîtresse se lever et faire mine de dormir encore, attendre sa voix qui l’appelle, partager son petit déjeuner et, surtout, franchir avec elle la porte de la maison pour l’accompagner au jardin, où attendent les haies, les feuilles, la terre à creuser et les fleurs à aimer, l’eau du tuyau d’arrosage…
Faut-il un esprit simple pour apprécier les choses simples ? Non, mais la non-parole du chien donne à cette journée au jardin une dimension contemplative et sobre que traduit volontairement la palette de Nathalie Dion. Une contemplation active, cependant, la vie de César au jardin se mêlant joyeusement aux activités de l’industrieuse jardinière.
Au bout du jour a été donné au chien César ce qui revient au chien César : la beauté, ici-bas partagée. Un album pour celles et ceux qui savent que cultiver son jardin – cette image qui n’est pas d’aujourd’hui – fait aussi le bonheur des autres.

Le voyage sur la lune

Le voyage sur la lune
Isabelle Gil
L’Ecole des Loisirs, 2020

Quand on respecte les plus jeunes

Par Christine Moulin

L’album cartonné semble solide et prêt à supporter manipulations et morsures des tout-petits. Ce n’est pas pour autant qu’il cède à la facilité des imagiers sans originalité. Il propose une aventure, celle d’Ourson qui décolle pour un voyage dans l’espace. Le jeune lecteur a le droit à des péripéties et à … une chute, qui est aussi une célébration de l’amitié et des jeux partagés. Les illustrations, des photos très lisibles mais parfois joliment poétiques (quand, par exemple, il s’agit de représenter la lune), détournent des objets du quotidien pour en faire des engins spatiaux et célèbrent ainsi les pouvoirs de l’imagination. Le texte, tout simple, n’est pas plat: il comporte des dialogues, des onomatopées, des exclamations, voire, luxe suprême, des inversions du sujet (« Enfin arrive le jour du départ »). Autrement dit, on peut être exigeant tout en se mettant à la portée des bébés lecteurs et c’est une bonne chose!

Rosie court toujours

Rosie court toujours
Marika Maijala
Traduit (finnois) par Lauriane Renquet
Hélium, 2021

Cours plus vite, …elle a filé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album surprenant au grand format allongé, nous vient de Finlande. C’est un petit bolide. Il marque, par une impression de vitesse et d’espace dévoré. Traitées en pastels gras appliqués à grands traits, saturées de couleurs, imitant un style enfantin, elles nous font suivre un lévrier de course, nommé Rosie.
On la voit d’abord dans ses compétitions, puis au repos dans sa cage, puis échappée et cherchant un endroit pour vivre : elle traverse une ville puis une autre, découvre la mer… Après plusieurs espoirs déçus (la maison et le jardin d’une vieille dame ? un cirque ? une petite fille dans une voiture ?), elle trouve la vraie liberté, celle de courir avec d’autres chiens, dans un jardin «public» c’est-à-dire qui n’appartient à personne, comme elle désormais.

C’est un album où l’air circule, où on sent l’odeur de l’herbe et de la mer: un bel espace de liberté et un plaidoyer pour elle.

L’Écrivain

L’Écrivain
Davide Cali, Monica Barengo
Passe partout, 2020

Cœurs solitaires: un chien et son maitre

Par Anne-Marie Mercier

Un chien s’inquiète pour son maitre, qui passe son temps à écrire. Il doit veiller à tout à sa place. Et puis, il trouve qu’il lui faudrait une compagne pour rompre sa solitude. Mais lorsque l’écrivain trouve sans lui l’âme sœur, le chien s’inquiète cette fois pour lui-même : cette compagne a un chien (ou une chienne ?) et cela ne va pas du tout.

Les illustrations sont très cocasses, montrant un chien extrêmement sérieux et plein de l’importance de son rôle. Tout est vu de son point de vue, souvent à ras du sol, et la chute est jolie : un peu de douceur, enfin.

Le Jardin d’Abdul Gasazi

Le Jardin d’Abdul Gasazi
Chris Van Allsburg
Traduit (anglais) par Christiane Duchesne
D’Eux, 2016

Retour au Jardin d’Abdul

Par Anne-Marie Mercier

Premier ouvrage de Chris Van Allsburg, superbe auteur-illustrateur, l’un des meilleurs de la fin du XXe siècle, Le Jardin d’Abdul Gasazi a obtenu la médaille Caldecott d’honneur en 1980. C’était une première étape vers la reconnaissance qui suivit, avec la médaille Caldecott pour deux autres albums, Jumanji (1981) et Boreal express (1986). Mais presque tous ses albums auraient mérité des prix, tant ils sont originaux et beaux.

On retrouve dans cette première œuvre un travail du noir et blanc très particulier, proche de celui de Jumanji, des Mystères de Harris Burdick, de Zathura, etc. Le fantastique, plus encore que dans ses autres albums, est discret : le lecteur, se fiant à la couverture, s’attend à quelque chose de plus spectaculaire et son attente sera trompée, quoique… L’incertitude qui plane sur la réalité de la magie est prégnante. L’errance du jeune héros parti à la poursuite d’un chien, dans ce jardin mystérieux dont l’entrée est justement interdite aux chiens, est nimbée de mystère et pleine de suspens : le propriétaire, Abdul Gasazi, a inscrit sur sa porte, avec son nom, la mention « magicien à la retraite », et cette inscription joue pour le jeune Alan le rôle que la couverture a joué pour le lecteur. Quant à la chute, nul ne peut avoir la certitude qu’elle exclut ou non l’étrangeté. Comme dans L’Épave du zéphyr ou dans Boréal Express un indice, dans la dernière page laisse l’élucidation en suspens.
Feuilleter sur le site de l’éditeur.

C’est un beau cadeau que nous offrent les éditions D’Eux, basées au Canada : cet album, publié en 1982 par L’école des loisirs était épuisé. Il nous revient dans une belle édition, avec des lettres dorées sur la couverture et un ruban, de même couleur, qui permet de refermer ces mystères.

 

 

La Disparition de Sam

La Disparition de Sam
Edward van de Vendel

Traduit du néerlandais par Maurice Lomré
L’école des loisirs, 2020 (2012)

Sam, animal singulier

Par Matthieu Freyheit

Parmi les couples enfant-animal, celui qui associe un enfant et un chien n’est certes pas le plus original. Mais enfin : on sait que l’originalité n’est pas tout (ne faisons pas comme s’il n’y avait pas de bonnes et de mauvaises originalités, écrivait Anatole France). Le couple formé par Kix (l’enfant) et Sam (le chien) s’ajoute donc à celui formé par Belle et Sébastien, Boule et Bill, etc., mais c’est ici le chien qui est mis en avant par le titre, comme il l’était déjà dans le premier volume : Le Choix de Sam, publié déjà à L’école des loisirs en 2016. La lecture du premier volume n’est cependant pas obligatoire (le plaisir la recommande), l’auteur reprenant habilement, et en quelques lignes, les événements majeurs de cette première aventure : Sam, un gros et bon chien blanc caractérisé par un « goût du mystère », a choisi le jeune Kix pour ami et pour famille.

Mais si Kix a souvent le sentiment de comprendre Sam, celui-ci conserve une part de mystère, laquelle se traduit par des disparitions momentanées. Un jour cependant, la disparition se prolonge : Kix ne se résout pas toutefois à l’idée d’avoir perdu son chien et fait tout pour le retrouver. Il est vrai, là encore, que l’histoire ne se singularise pas par son originalité. Elle ressemble, un peu, à ces récits que l’Internet aime à voir circuler de chiens qui disparaissent et retrouvent leurs maîtres, réalisant ce que nous aimons à présenter comme des prouesses. Et pour cause, l’auteur rappelle que son récit est tiré d’une histoire vraie arrivée à la famille de son propre frère (photo de Sam à l’appui !).

La vraie réussite tient cependant dans la capacité à faire du chien Sam un vrai personnage, doté d’une épaisseur assez singulière, et renforcée notamment par la mise en perspective d’une intériorité qui n’est jamais présentée comme effective mais toujours interrogée par des humains désireux de percer le mystère de l’« animal singulier », selon le titre d’un très bel essai de Dominique Lestel. Ainsi le départ de Sam rappelle-t-il, comme le formule Lestel, que « toute ‟initiative” de l’animal s’apparente à une ‟rupture” dans la relation avec l’humain » (p. 29). Une rupture que Kix n’accepte pas et qui, dans ce qu’elle soulève alors d’émotions (la crainte pour l’autre, l’affection physique, l’amour du lien qui se noue), n’est pas sans évoquer cette « domestication mutuelle » théorisée, là encore, par Lestel (p. 53). C’est donc l’expérience de la domestication de soi par l’affection à l’autre que fait Kix, comme celle d’une préparation à l’issue nécessaire de la relation tissée entre deux espèces aux temporalités différentes : en effet, Sam vieillit, comme en atteste son comportement. Ainsi Kix comprend-il que cette domestication mutuelle l’oblige, d’une façon presque éthique, et lui offre l’occasion d’une responsabilité qui non seulement est désormais de son âge mais qui, de surcroît, le grandit : le soin d’offrir à l’autre, par sa jeunesse vigoureuse, une vieillesse heureuse.

Un récit simple et beau, auquel s’ajoutent les illustrations de Philip Hopman qui réalise, pour l’occasion, une couverture vraiment très réussie.

Noun et Boby

Noun et Boby
Praline Gay-Parra, Lauranne Quentric (ill.)
Didier Jeunesse, 2019

Sans mièvrerie

Par Christine Moulin

Il y a récit de quête et récit de quête. Dans la littérature de jeunesse, les parcours et les arrivées sont parfois stéréotypés et un peu mièvres. Rien de tout cela avec cet ouvrage au titre pourtant neutre. Le cadre fait la différence: un petit garçon, Noun, est seul, ou presque, dans une ville toute grise désertée, dévastée, par une guerre sans doute: les papiers collés qui la représentent en font un lieu fantomatique et oppressant. Le point de départ est également original et émouvant: Noun part à la recherche d’un chien, Boby, qu’une de ses voisines a abandonné, en s’enfuyant dans un taxi. Au cours de son périple, il est amené à sauver d’autres animaux que Boby: un  oiseau, qu’on peut voir comme un symbole de liberté, une chatte et ses petits, qui indique que la vie continue et qu’une renaissance est possible, au milieu du désastre. Tous les éléments qui peuvent signifier l’espérance sont dessinés et se détachent sur le décor, en particulier Noun, vêtu de rouge, qui souligne combien il est porteur d’une énergie généreuse qui l’emporte sur la pesanteur de la catastrophe. L’avant-dernière double page, par contraste avec les autres, est une explosion de couleurs et ouvre vers un lieu enfin accueillant, où se trouvent de nombreux animaux et… Boby, dont le collier rouge évoque le lien indéfectible avec son nouveau maître. La dernière double page est une merveille de tendresse apaisée. Heureusement car on aurait pu interpréter la descente de Noun vers le paradis des animaux dans un sens beaucoup plus tragique.

Chat et chien

Chat et chien
Jeanne Boyer
Ecole des Loisirs, 2015

Comme chien et chat

Par Christine Moulin

Tout semble destiner cet ouvrage aux plus petits: c’est un album cartonné, les illustrations ne montrent que l’essentiel et n’emploient que deux couleurs, le bleu pour le chien et l’orange pour le chat (du moins au début), l’histoire est linéaire (un chien et chat sont amis, le chat mange le chien, le chien ressort de l’estomac du chat, les deux animaux se réconcilient). Et pourtant…

Les illustrations privilégient un trait brouillon, très éloigné du « mignon » et tout entier dévoué à l’expressivité. Les couleurs débordent du trait et donnent encore plus de dynamisme à l’ensemble. L’histoire, quant à elle, sous ses airs innocents, remet en cause un certain nombre de stéréotypes, comme le suggère le titre qui inverse la formule habituelle: ce n’est pas le chien qui mange le chat  et dans ce récit, « on s’aime comme chien et chat ». On peut même penser que l’auteur nous invite à une réflexion sur l’amitié ou l’amour: on peut aimer quelqu’un et le dévorer au risque alors de n’être plus confronté qu’à soi-même, en un narcissisme délétère (quand il se retrouve tout seul, le chat se regarde dans un miroir mais sombre très vite dans le désespoir). Il faut accepter de ne pas comprendre l’autre, de ne pas l’absorber pour en faire un autre soi, afin de mieux être son ami, tout en se laissant transformer (est-ce ce qu’il faut voir dans l’échange de couleurs entre les deux animaux?).

La littérature de jeunesse seule sait ainsi s’adresser à tous les âges…

Le chien que Nino n’avait pas

Le chien que Nino n’avait pas
Edward van de Vendel, Anton Van Hertbruggen (ill.)
Marie Hooghe (trad.)

Didier Jeunesse, 2014

L’autre chien invisible

Par Christine Moulin

On l’a déjà noté, le thème des amis imaginaires est fréquemment traité en littérature de jeunesse, à tel point qu’un site comme Babelio a pu en dresser une bibliographie fournie. Le chien que Nino n’avait pas vient brillamment s’ajouter à cette liste. Tout est émouvant dans cet album: la présence fantomatique et pourtant si pleine de vie du chien de Nino, dans l’illustration, l’incessante répétition dans le texte de l’expression « le chien que Ninon n’avait pas », tout aussi paradoxale; en soulignant l’absence (ou plus exactement, la non existence) de l’animal, elle sature douloureusement le texte de désir et de rêve. Mais plus émouvante encore, et originale, c’est l’explication que l’on peut deviner de la nécessité pour Nino de se créer ce compagnon: « Le chien que Nino n’avait pas entendait tout ce que Nino entendait. Au téléphone. Avec Papa. Qui appelait d’un pays très, très lointain » (l’image montre un soldat ou un pilote en perdition).

Mais ce qui fait la magnifique spécificité de l’album, c’est que brusquement, en son milieu, le chien invisible disparaît au profit d’un chien réel, « le chien que Nino a maintenant » et évoque alors la belle acceptation de l’amour véritable: « Le chien que Nino a maintenant n’aime pas le lac […]. Il préfère creuser dans le sable. C’est bien aussi ». Ce qui n’empêche pas les rêves, heureusement, comme le suggère la fin…

Louison Mignon cherche son chiot

Louison Mignon cherche son chiot
Alex Cousseau, Charles Dutertre

Éditions du Rouergue, 2015

Le grand secret

par François Quet

 

61Mh-5yulyLLouison, six ans et demi, parle à son chiot qui n’est pas encore né, en même temps qu’elle le recherche. Elle lui parle des tomates et des aubergines, des nuages, des ronces ou des orties. Car c’est à la campagne que se déroule cette histoire, entre jardin et forêt : où peut bien se cacher la chienne pour faire ses petits ? La réponse, qu’on se rassure, est donnée à la dernière page (mais dans l’illustration, pas dans le monologue de la fillette).

Le texte d’Alex Cousseau donne une belle profondeur à cette quête enfantine : « Tu dors là où il fait encore nuit. Tu dors avant la vie », dit Louison au petit chien « pas plus gros qu’un cornichon », bien à l’abri, caché dans le ventre de sa maman. Et le décor champêtre accentue le caractère fondamental de ces interrogations puisqu’il convient d’arroser les légumes et leur chuchoter des secrets comme le fait le grand-père de l’enfant et comme elle-même le fait à ce petit chiot qui n’a pas encore vu le jour, pour les faire mûrir avant de les cueillir, et que d’autres encore viennent au jour. Les illustrations de Charles Dutertre renforcent encore cette impression de décalage entre l’histoire minuscule et et l’ampleur cosmique des questions qu’elle pose : d’un côté, les visages simplifiés à l’extrême (une bouille ronde, quelques traits et points pour dire les yeux ou la bouche, quelques aplats orangés pour signifier des cheveux) ou l’emploi de cette seule couleur pour signaler une guirlande de tomates ou les ailes d’un papillon ; de l’autre, l’entrelacs compliqué de lignes noires et épaisses, encre de chine ou feutre, très décoratif, pour insérer les personnages dans le mystère des bois ou des champs. Les motifs floraux ou les touches répétées prolifèrent et dessinent autour de l’enfant, avec une grande sobriété de moyen, un univers merveilleux et joyeux.