Fuis Tigre!

Fuis Tigre !
Gauthier David, Gaëtan Doremus (ill.)
Seuil Jeunesse, 2018

Une fin qui est un début

Par  Christine Moulin

Surprenant, cet ouvrage, qui commence par : « C’est la fin ». On a l’explication de cette déclaration paradoxale à la fois à la page suivante et sur la quatrième de couverture, en un texte tout à la fois poétique et angoissant par son rythme martelé : le tigre auquel l’injonction du titre (« Fuis Tigre ») est  adressée est poursuivi par le feu, il doit donc se réfugier dans la terre des hommes.

Fantastique, cette histoire, et passionnante: on suit l’errance du tigre, qui finit par se terrer dans le château fort d’un petit garçon. Il s’est donc bien fait « tout petit. De la taille d’une souris », comme le lui avait conseillé la voix qui l’accompagne. Ce n’était pas une métaphore. Le petit garçon et le tigre nouent alors une relation faite de tendresse et de bienveillance, jusqu’à ce que les parents découvrent l’animal… Mais ne dévoilons pas trop la suite!

Original, cet album, par son choix narratif: quelqu’un s’adresse au tigre tout au long de l’histoire, pour la raconter. Les phrases sont courtes, frappantes, souvent très belles dans leur étonnante simplicité : « Toi, le si bel animal, sa majesté des affamés », « Et près de lui, tu t’apaises ». Les illustrations, plutôt indépendantes du texte, sont très expressives, mais prennent parfois le relais de la narration en de surprenantes pleines pages.

Magnifique, le message porté par ce récit: comment ne pas voir derrière le tigre le destin des migrants? Et la fin est belle, optimiste, cette fin qui en toute logique prend l’allure d’un début.

L’avis de Sophie Van der Linden, c’est ici.

Chat-nouille

Chat-nouille 
Gaëtan Doremus

Rouergue, 2010

 Dans « LJ », il y a « littérature »

 par Christine Moulin

 chat-nouille.jpgOn aimerait aimer ce petit album, carré comme tous ceux de l’éditeur, au nom même du goût que l’on a pour le Rouergue. Pour le dessin aussi, fluide, au crayon rehaussé d’orange. Pour la bonne bouille du chat héros de l’histoire, sans doute nommé Mistigri (mais son nom disparaît rapidement pour la dénomination « le chat »).

Oui, mais voilà, le propos est tellement évident, pesant et didactique qu’on n’y arrive pas. Derrière ce chat anonyme, on reconnaît tellement vite tous les adolescents scotchés à leur écran et leurs jeux vidéo qu’il n’y a aucune surprise, aucun décalage, aucun déplacement. La leçon est assénée : la télévision, les jeux vidéo, c’est nul ; il vaut mieux lire et aller faire un tour dehors. Sinon, on devient lisse, mou et blanc… !

Quand le livre fait son auto-promotion sans nuances, on a bien envie de se précipiter sur son canapé et de s’offrir une grande orgie de télé !

Chagrin d’ours

Chagrin d’ours
Gaëtan Dorémus

Autrement, coll. Histoire sans paroles, 2010

Pour lire avant de lire…

Par Dominique Perrin

    Chagrin d’ours est l’un des derniers titres d’une collection à la silhouette unique, et au catalogue remarquable.

Sa première originalité est matérielle : présentation dans un fin étui de carton au long format à l’italienne, suscitant des attentes, à tout le moins des questions. La découverte de l’objet apporte de vraies réponses : l’écrin de carton, s’il se retire à la manière d’une première peau, fait pleinement partie du livre. Il assure des fonctions paratextuelles indispensables : associer une aura graphique à  un titre, un nom d’auteur et un nom d’éditeur, offrir une présentation éditoriale – ce que ne fait nullement la couverture proprement dite.
En effet, l’objet à lire est pratiquement nu de signes alphabétiques. A l’exception très circonscrite des pages de garde, point de messages écrits, mais un dessin fait pour être exploré, interprété, approprié. Dans Chagrin d’ours, c’est « l’histoire » – ou poème-graphique-narratif – d’un grand ours à qui d’autres animaux ravissent son petit ours ; c’est le conte, à structure dite de randonnée, d’une quête douloureuse mais pleinement déterminée, celle d’un « doudou » très attachant et très léger, par un vrai ours que sa course derrière successivement un loup, un lion, un oiseau et un éléphant narquois ou mal intentionnés transforme physiquement et moralement.
Les épreuves endurées sont importantes : frustration mainte fois renouvelée, affrontement à l’espace et aux éléments, colère immense et châtiment des adversaires par la dévoration. Mais au bout du compte, à l’orée de l’épuisement et de l’espace terrestre, rencontre d’un tiers compatissant, recouvrement de l’objet aimé, réjection des adversaires, quiétude sur la grève. La carte du monde discrètement figurée à l’intérieur des première et quatrième de couverture a complètement changé ; la mosaïque initiale d’espaces géographiques cloisonnés est devenue un espace aux caractéristiques multiples, aux habitants mobiles – ceux-ci ayant renoncé, en même temps, à leur couronne, et à leur isolement. 

Chat-nouille

Chat-nouille
Gaëtan Doremus
Rouergue

Minoufeste anti jeux vidéo

par Anne-Marie Mercier

Petit album carré qui plaira beaucoup aux parents (et peut-être aux filles) et risque d’agacer terriblement les garçons : Mistigri, dès qu’il est seul, ne fait que regarder la télé, surfer sur internet, jouer à la console au lieu d’aller « jouer dehors ». Et il ne mange que des nouilles. Du coup, il ressemble de plus en plus à une nouille…

Humour grinçant, dessin drôle et décapant, un album-arme-de-destruction-massive ? En tout cas, un plaidoyer amusant pour la lecture et les jeux de plein air.