Le Poisson qui me souriait

Le Poisson qui me souriait
Jimmy Liao
HongFei, 2021

Mon ami l’axolotl

Par Anne-Marie Mercier

Comme dans la nouvelle de Julio Cortàzar, un homme solitaire tombe en arrêt devant un bac d’aquarium dans lequel un poisson semble le regarder, et lui sourire. Le voilà son ami.
Il l’emporte chez lui dans un petit bocal rond, et passe son temps à le contempler. Ce poison qui sourit est d’après lui « aussi dévoué qu’un chien et affable qu’un chat. Attentionné comme une amoureuse. »
Un rêve emporte l’homme dans une course heureuse et libre, à la suite de son ami qui l’entraîne dans la nature jusqu’à la mer. Mais le rêve se transforme en cauchemar : il se découvre enfermé  dans un bocal en verre et comprend qu’un poisson, encore plus qu’un chien, un chat, ou une amoureuse, ne doit pas être enfermé si l’on veut qu’il continue à vous sourire.
Magnifiques, les pleines pages de bleu océan ou de nuit de rêve entraînent le lecteur dans une réflexion sur la solitude, une rêverie heureuse, puis inquiétante. Le visage de l’homme, très expressif, apporte une touche de rose et de vie. Les vignettes rythment le récit et donnent chair à cet homme ordinaire, miroir de la condition de ceux qui sont seuls, séparés de la nature, et qui cherchent désespérément un sourire, un visage ami à contempler, un être vivant qui les raccroche au monde.

Pour entendre (en VO) Jimmy Liao présenter son livre et les circonstances de son écriture

Phalaina

Phalaina
Alice Brière-Haquet
Rouergue, 2020écologie

Thriller écologique : le dépassement de Darwin

Par Anne-Marie Mercier

Le début de Phalaina a des allures de « dormeur du val » : une gracieuse enfant marche seule dans une belle lumière d’automne, mais petit à petit des indices d’une catastrophe récente et d’un danger proche émergent et voilà un engrenage implacable lancé. Des assassinats violents se succèdent, générant autant de fuites de la fillette.  On est donc dans un thriller, et celui-ci est très réussi : le suspens est permanent, très efficace, et les rebondissements de l’intrigue sont souvent inattendus.

La petite fille, orpheline et muette, a des allures d’Oliver Twist. Il est question de détournement d’héritage, de savants un peu fous… La fillette se cache et est enfermée dans divers lieux, dont un horrible orphelinat dirigé par des religieuses. Elle y endure de nombreuses souffrances et apprend qu’elle ne peut se fier à personne ou presque : l’amitié et la bienveillance qui finissent par émerger dans cette noirceur sont incarnées par de magnifiques et étranges personnages, autre originalité du livre. Enfin, on découvrira seulement à la fin du roman, comme il se doit, de qui elle est la fille.
Enfin, l’arrière-plan du roman et sa thèse est celle d’une réflexion sur la cohabitation des humains avec les animaux et d’une condamnation de la prédation générale menée par l’humanité. Des métamorphoses, l’idée de l’existence d’une espèce intermédiaire entre l’homme et l’animal, d’une hybridation possible, ouvre ce beau roman sur la voie du fantastique et de la poésie.
Le récit est entrecoupé de lettres que le savant (dont on a découvert le corps assassiné au premier chapitre) avait écrites à son ami Darwin, qu’il avait accompagné dans son voyage à bord du Beagle. Chacune de ces lettres est une invitation à la réflexion :
« Chaque espèce, chaque race, possède  son propre système de survie adapté à son environnement. Certains choisissent l’attaque et deviennent des prédateurs. […] D’autres espèces préfèrent s’économiser et adoptent un comportement défensif. Ils sont a priori plus fragiles, mais la nature leur propose d’autre armes. Le camouflage, par exemple ».
Ainsi en va-t-il du phalène, papillon de nuit qui donne son titre au roman. La réflexion sur l’animal débouche sur une réflexion large sur la « sélection naturelle » théorisée par Darwin appliquée aux humains. La société est devenue l’environnement naturel des humains, au point que la mode peut y jouer le rôle du camouflage ou de son inverse : « la sélection est devenue culturelle. Elle n’en est pas moins impitoyable ».

feuilleter

 

 

La Disparition de Sam

La Disparition de Sam
Edward van de Vendel

Traduit du néerlandais par Maurice Lomré
L’école des loisirs, 2020 (2012)

Sam, animal singulier

Par Matthieu Freyheit

Parmi les couples enfant-animal, celui qui associe un enfant et un chien n’est certes pas le plus original. Mais enfin : on sait que l’originalité n’est pas tout (ne faisons pas comme s’il n’y avait pas de bonnes et de mauvaises originalités, écrivait Anatole France). Le couple formé par Kix (l’enfant) et Sam (le chien) s’ajoute donc à celui formé par Belle et Sébastien, Boule et Bill, etc., mais c’est ici le chien qui est mis en avant par le titre, comme il l’était déjà dans le premier volume : Le Choix de Sam, publié déjà à L’école des loisirs en 2016. La lecture du premier volume n’est cependant pas obligatoire (le plaisir la recommande), l’auteur reprenant habilement, et en quelques lignes, les événements majeurs de cette première aventure : Sam, un gros et bon chien blanc caractérisé par un « goût du mystère », a choisi le jeune Kix pour ami et pour famille.

Mais si Kix a souvent le sentiment de comprendre Sam, celui-ci conserve une part de mystère, laquelle se traduit par des disparitions momentanées. Un jour cependant, la disparition se prolonge : Kix ne se résout pas toutefois à l’idée d’avoir perdu son chien et fait tout pour le retrouver. Il est vrai, là encore, que l’histoire ne se singularise pas par son originalité. Elle ressemble, un peu, à ces récits que l’Internet aime à voir circuler de chiens qui disparaissent et retrouvent leurs maîtres, réalisant ce que nous aimons à présenter comme des prouesses. Et pour cause, l’auteur rappelle que son récit est tiré d’une histoire vraie arrivée à la famille de son propre frère (photo de Sam à l’appui !).

La vraie réussite tient cependant dans la capacité à faire du chien Sam un vrai personnage, doté d’une épaisseur assez singulière, et renforcée notamment par la mise en perspective d’une intériorité qui n’est jamais présentée comme effective mais toujours interrogée par des humains désireux de percer le mystère de l’« animal singulier », selon le titre d’un très bel essai de Dominique Lestel. Ainsi le départ de Sam rappelle-t-il, comme le formule Lestel, que « toute ‟initiative” de l’animal s’apparente à une ‟rupture” dans la relation avec l’humain » (p. 29). Une rupture que Kix n’accepte pas et qui, dans ce qu’elle soulève alors d’émotions (la crainte pour l’autre, l’affection physique, l’amour du lien qui se noue), n’est pas sans évoquer cette « domestication mutuelle » théorisée, là encore, par Lestel (p. 53). C’est donc l’expérience de la domestication de soi par l’affection à l’autre que fait Kix, comme celle d’une préparation à l’issue nécessaire de la relation tissée entre deux espèces aux temporalités différentes : en effet, Sam vieillit, comme en atteste son comportement. Ainsi Kix comprend-il que cette domestication mutuelle l’oblige, d’une façon presque éthique, et lui offre l’occasion d’une responsabilité qui non seulement est désormais de son âge mais qui, de surcroît, le grandit : le soin d’offrir à l’autre, par sa jeunesse vigoureuse, une vieillesse heureuse.

Un récit simple et beau, auquel s’ajoutent les illustrations de Philip Hopman qui réalise, pour l’occasion, une couverture vraiment très réussie.

Le Voyageur du doute

Le Voyageur du doute
Maud Tabachnik
Flammarion 2019

Sombre road trip…

Par Michel Driol

C’est d’abord l’histoire d’un homme, Simon, et de son chien Black, deux amis, désabusés et pessimistes. Lorsque leur route croise 5 jeunes qui vivent de mauvais coups et de cambriolages, Simon ne peut s’empêcher de vouloir les aider, malgré le désaccord de Black. Et lorsque la route des 7 croise celle de Konk et d’autres malfrats, cela devient de plus en plus dangereux pour tout le monde.

Le Voyageur du doute laisse aussi le lecteur en plein doute. Publié en jeunesse, avec la mention de la loi de 1949, il permet de mesurer à quel point les conceptions de la littérature jeunesse ont évolué. Car voici un polar sanglant, faisant parfois l’apologie de la marginalité, du vol, et montrant une société future dystopique. Certes, on retrouve l’amitié entre l’homme et l’animal, l’animal qui sauve les hommes, mais le roman cultive les ambigüités : que veut exactement Simon ? Tout à la fois vivre avec d’autres marginaux, agir par amour pour Sonate et les empêcher de se salir encore plus les mains en agissant à leur place… Ces ambiguïtés ne sont pas une faiblesse du roman, mais sa force, car il oblige le lecteur à réfléchir, à se positionner, à se questionner.

Le roman s’inscrit dans un futur particulièrement sombre : si, politiquement, l’Europe semble unie et prête à se désigner un président, la pollution est omniprésente (l’eau du robinet n’est plus potable), et les tensions entre communautés ont atteint un paroxysme. Politiciens et truands sont de mèche (c’est l’un des ressorts de nombreux polars…). Dans cette société inhumaine, se marginaliser et vivre hors la loi devient pratiquement une preuve d’humanité.  Du passé de Simon, on ne sait pas grand-chose, mais ce qu’on en sait le présente comme un individu qui a fait de la prison – sans que l’on sache pourquoi. Les 5 jeunes gens sont tous plus ou moins issus de « bonnes »familles, et ont rompu avec elles. Reste donc la route, qu’ils parcourent en moto, façon Easy Rider…, les plages et les chambres d’hôtel. Se marginaliser, c’est vouloir être libre, mais quel est le prix à payer pour cette liberté ?

Le roman pose aussi une relation particulière entre un homme et un chien, philosophes désabusés tous les deux. Ils conversent, et le chien a un point de vue sur le monde, une capacité à réfléchir mais aussi à agir. L’auteure a la subtilité de ne pas faire « parler » le chien. Mais l’écriture montre qu’ils se comprennent, et rend compte des positions du chien, à travers ce que Simon comprend, ou ce que les autres perçoivent de cette relation. Et par bien des aspects, le chien se révèle plus humain que nombre de personnages…

Ce roman vaut enfin par son écriture, qui, paradoxalement, dans un polar où l’action prime, joue abondamment de l’imparfait. C’est dire que l’arrière-plan – la société, les pensées des personnages – passe souvent au premier plan. Il y a là un ton particulier, une langue particulière, qui installent une distance propre à la réflexion du lecteur.

Un polar qui ne laissera pas indifférent, et qui pose de nombreux problèmes liés à notre monde.

Les Vacances de mon amie Carla

Les Vacances de mon amie Carla
Stéphane Kiehl
Grasset Jeunesse 2019

Liberté à deux…

Par Michel Driol

Au fil des pages, on suit les vacances d’une petite fille et de sa chienne Carla. Vacances d’été et vacances d’hiver se mêlent, bord de mer et montagnes enneigées, jardin du grand père, entre une page d’ouverture et une page de clôture symétriquement inversées : le retour de l’école, et le départ pour la rentrée des classes. Anonyme, la petite fille se raconte et parle de sa chienne, de sa capacité à se faire des amis, de l’interdiction des chiens sur les plages : autant d’images d’un bonheur passager, de questions sur l’amour, de réflexions sur la vie de chien : rêver de voyager, c’est déjà voyager… Le temps passe, le tracteur chez le grand père est devenu trop petit, mais il fait bon vivre et profiter de l’instant, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau. Tout l’album se centre sur la relation entre la fillette et sa chienne, les parents et grands-parents ne faisant que de la figuration dans le texte.

Si le texte est assez simple, et se suffit pour raconter l’histoire, les illustrations sont beaucoup plus complexes et riches. Tantôt elles sont l’illustration du texte, tantôt elles s’en éloignent dans des codes narratifs différents : celui de la BD, pour raconter une petite histoire en quelques strips, tantôt celui de la peinture, avec de magnifiques doubles pages particulièrement oniriques, pleines de fleurs rouges sur fond noir, traversées par des chevaux ou la fillette et Carla. Parfois c’est Carla qui se multiplie sur les pages, dans différentes attitudes. Cette diversité graphique fait la véritable richesse de l’album, et l’on cherchera à reconnaitre les légumes du jardin du grand père… Fonds colorés, fonds blancs, tout est significatif dans cet album qui prend plaisir parfois à isoler les personnages, tantôt à les fondre sur un fond de nature.

Un album drôle et attendrissant, ludique, pour dire le lien entre une fillette et une chienne, mais aussi le plaisir du dépaysement et le sentiment de liberté que donnent les vacances.

 

Fuis Tigre!

Fuis Tigre !
Gauthier David, Gaëtan Doremus (ill.)
Seuil Jeunesse, 2018

Une fin qui est un début

Par  Christine Moulin

Surprenant, cet ouvrage, qui commence par : « C’est la fin ». On a l’explication de cette déclaration paradoxale à la fois à la page suivante et sur la quatrième de couverture, en un texte tout à la fois poétique et angoissant par son rythme martelé : le tigre auquel l’injonction du titre (« Fuis Tigre ») est  adressée est poursuivi par le feu, il doit donc se réfugier dans la terre des hommes.

Fantastique, cette histoire, et passionnante: on suit l’errance du tigre, qui finit par se terrer dans le château fort d’un petit garçon. Il s’est donc bien fait « tout petit. De la taille d’une souris », comme le lui avait conseillé la voix qui l’accompagne. Ce n’était pas une métaphore. Le petit garçon et le tigre nouent alors une relation faite de tendresse et de bienveillance, jusqu’à ce que les parents découvrent l’animal… Mais ne dévoilons pas trop la suite!

Original, cet album, par son choix narratif: quelqu’un s’adresse au tigre tout au long de l’histoire, pour la raconter. Les phrases sont courtes, frappantes, souvent très belles dans leur étonnante simplicité : « Toi, le si bel animal, sa majesté des affamés », « Et près de lui, tu t’apaises ». Les illustrations, plutôt indépendantes du texte, sont très expressives, mais prennent parfois le relais de la narration en de surprenantes pleines pages.

Magnifique, le message porté par ce récit: comment ne pas voir derrière le tigre le destin des migrants? Et la fin est belle, optimiste, cette fin qui en toute logique prend l’allure d’un début.

L’avis de Sophie Van der Linden, c’est ici.

Dessus dessous. Les animaux

Dessus dessous. Les animaux
Anne-Sophie Baumann, Clémence Dupont
Seuil, 2017

Leçon de « choses »

Par Anne-Marie Mercier

Qu’y a-t-il sous la peau des animaux ?
Des organes vitaux, un appareil digestif, un appareil reproducteur, des curiosités…
Ce qu’une petite encyclopédie pourrait expliquer en quelques pages, cet album le montre en une seule : de grands rabats et de petits « flaps » découvrent le dessous des choses et l’on voit, en parcourant le dessus et le dessous de chaque page à la fois un animal dans un paysage et les détails cachés avec des explications : la poule (qui a trois paupières), l’escargot (qui pond ses œufs par le cou), la vache (qui ne distingue pas le rouge), le serpent et le requin… ils n’ont alors plus de secrets pour nous !

Ame animale

Ame animale
Pablo Salvaje
Nathan, 2017

Animal, mon frère

Par Anne-Marie Mercier

Pablo Salvaje est un graveur sévillan dont les superbes images ont été réunies ici en album. Mais ce livre est bien plus qu’une réunion de très belles gravures, réalisées en trois couleurs, représentant des animaux : le propos introductif sur « l’âme animale » précise que ces deux mots viennent du même mot « anima », et doivent être considérés comme proches, voire équivalents. L’homme et l’animal participent de cette même âme, partagent le même réseau de vie, mais les hommes provoquent un déséquilibre qui menace les forts comme les faibles.

Hommage aux espèces disparues, avertissement sur celles qui sont menacées, et sur la dégradation de la planète, cet album est aussi une méditation sur les beautés et la variété des espèces. A travers quelques thèmes (amour, rythme, survie, métamorphose, habitat…) on aperçoit la variété des comportements, humains et animaux, et la merveille d’un monde coloré et infini porteur de multiples formes de vie.

La cause animale est bien illustrée en littérature de jeunesse, dans tous les genres (voir la chronique précédente, sur le roman de Stéphane Servant, Sirius.

NB: un site intitulé « âme animale » existe; il reprend la même posture d’émerveillement et de respect, tout en étant orienté vers l’ésotérisme.

 

 

Sirius

Sirius
Stéphane Servant
Rouergue, 2017

Le meilleur ami de l’homme.

Par Anne-Marie Mercier

Sirius, c’est le nom du chien de la famille d’Avril. Il doit revenir la chercher pour les emmener elle et son petit frère, Kid, rejoindre leurs parents à la montagne. Mais très vite on doute : les parents sont-ils encore en vie ? Et Sirius ? Le monde a été dévasté par une catastrophe, les animaux ont disparu, décimés par la contagion, les radiations, ou exterminés par les hommes qui les croient porteurs du virus mortel. Plus aucune naissancen’a eu lieu, les espèces sont devenues stériles. La survie n’est possible que grâce à des capsules disséminées çà et là contenant des rations de nourriture, des médicaments, des couvertures… Les humains sont dispersés en tout petits groupes, couples, hordes, ou bien sont massés aux portes d’une Ville inquiétante. Avril et Kid sont seuls et vivent dans un arbre.

La robinsonnade se mue en ‘road novel’ lorsque ils sont retrouvés et pourchassés par un tueur de la secte des Etoiles noires. Pour des raisons d’abord mystérieuses, il ne lâche pas la piste d’Avril et veut assassiner Kid. Les deux enfants se mettent en route vers la montagne. Sirius fait alors son apparition, mais ce n’est pas un chien mais un cochon noir au front frappé d’une étoile… blanche, que l’enfant nomme du même nom. En chemin, face à de nombreux périls et des souffrances en tous ordre, ils rencontrent une ourse, un âne, des rats… une dame Tartine dévoreuse d’enfants, et un Conteur qui les guidera jusqu’au bout de leur quête.

Cette figure du Conteur est centrale. Elle reprend d’autres figures liées au livre et développe la fonction des histoires, celles qu’on lit ou qu’on écrit, celles qu’on raconte, celles qu’on écoute, l’histoire de sa vie que l’on met en mots pour la dévoiler à autrui et s’en libérer. Avril a en effet de nombreux secrets, qui sont autant de cailloux à porter. Elle ne s’en délivre que peu à peu ; le lecteur, comme les autres protagonistes de l’histoire, ne découvre que très progressivement qui elle est, ce qu’elle a fait et pourquoi on la poursuit. Le suspens est constant et fonctionne remarquablement bien.

De nombreux autres thèmes s’entrecroisent sur ce fond de catastrophe : les peurs modernes, bien sûrs : nucléaire, épidémies, révoltes, terreurs et terrorismes sectaires… mais aussi la cause animale qui s’affirme peu à peu et donne une allure fantastique à une histoire qui n’avait aucun horizon d’espérance.

La poésie nait de la description d’une nature pauvre mais résistante, de paysages vides ou macabres, d’espaces humains abandonnés. Elle est aussi dans la manière dont l’auteur fait percevoir ce réel par les personnages : sensations, émotions, petites choses, intuitions. De courts chapitres en vers libres font entendre leurs voix intérieures, nous plongent dans leurs rêves. C’est une belle route que nous fait emprunter ce roman, sombre et tendu vers les étoiles.

Les Mésaventures de Noisette

Les Mésaventures de Noisette
Chris van Allsburg
Traduit (anglais) par Isabelle Reinharez
Ecole des loisirs, 2015

Roman d’éducation

Par Anne-Marie Mercier

Tout petit(eLes Mésaventures de Noisette?), déjà, Noisette le hamster a du caractère : dans l’animalerie il refuse de se faire adopter, puis finit par se laisser faire, imitant ses amis disparus les après les autres dans les bras de charmants bambins. Hélas, comme il l’avait deviné, l’enfance n’est pas un vert paradis pour les bestioles : délaissé pour un nouveau jouet (un ordinateur, bien sûr), donné à qui veut, terrorisé par d’autres animaux « de compagnie », habillé comme une poupée, roulé dans une balle, chassé par une mère hamsterophobe, exposé dans une cage à l’école, puis oublié dans la rue en plein hiver… il finit enfin par trouver, grâce à la complicité d’un écureuil, la liberté à laquelle il a toujours aspiré : l’histoire, un peu noire, finit bien… pour lui.

Portrait grinçant des comportements des enfants vis-à-vis des animaux qui leurs confiés, cet album est une leçon à méditer pour ceux-ci. Mais le caractère de la fable est atténué par l’humour des dessins, leur aspect dramatique, avec un usage de points de vue saisissants (plongées, gros plans…), et un trait et un usage de couleurs un peu passées sur un fond crème de papier à effet buvard. Tout ceci évoque les albums pédagogiques d’antan qui n’y allaient pas par quatre chemins pour tancer les garnements, tout en se délectant de leurs fantaisies et de l’infinie variété des « bêtises » à inventer.