Fans de la vie impossible

 Fans de la vie impossible
Kate Scelsa (Trad. Faustina Fiore)
 Gallimard, Scripto, 2016

 

 

 Adolescents en souffrance

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 fans de la vie impossible imageCe récit nous fait entendre successivement et alternativement les voix de trois adolescents très mal dans leur peau.

Jérémy, passionné d’art, incapable d’entrer en relation avec les autres, abandonné par sa mère et élevé par deux hommes, Sebby, homosexuel déclaré en rupture d’études,  élevé par une nourrice de la DAS débordée, et Mira, pliant sous le poids de ses kilos et de sa dépression nerveuse.

Quand Jérémy rencontre Sebby au lycée, pour la première fois de sa vie, il ne se sent plus seul. Et comme Mira a besoin de Sebby pour tenir, ils vont former un trio inséparable. Seuls, ils sont vulnérables et en proie à leurs obsessions ou addictions même, mais ensemble, ils sont heureux, s’inventent des fêtes ou des rituels, peuvent même aider les autres.

C’est une description  très dure et réaliste d’une jeunesse à qui « on ne laissera jamais croire que c’est le plus bel âge de la vie ». Elle est faite sans aucun tabou sur l’homosexualité, la drogue, le suicide,  et sur,  d’un côté, une Amérique en perdition, et de l’autre, des familles bourgeoises accrochées à leurs préjugés sur les grandes écoles et la réussite sociale.

 

Le sort en est jeté

Le sort en est jeté
Delmot Bolger
Flammarion, 2015

Le prix d’un voeu

Par Christine Moulin

CVT_Le-Sort-en-Est-Jete_9493Le premier chapitre est à l’image du livre entier, mouvant, trompeur, intrigant : l’action est datée de 1932, alors que tout le roman se déroule de nos jours, en Irlande ; la narration est à la troisième personne, alors que le narrateur, dans les deux autres chapitres, est Joey, le héros (cette alternance sera la règle) ; il présente un personnage qui réapparaîtra et jouera un rôle essentiel, sans pour autant être toujours sur le devant de la scène, Thomas; il introduit le thème du jazz, « la musique du diable » et le mythe du « changeling », « créature maléfique qui ne serait ni vraiment morte ni vraiment vivante » ; il met en place un des lieux importants, le Hellfire Club, diabolique… en diable (Hell : l’enfer, fire : le feu, n’est-ce pas ?) et raconte une des histoires clés du livre, celle d’un débauché, Dawson, qui, dit-on, aimait à parier avec le diable, justement. C’est dire combien ce premier chapitre installe une atmosphère quasi gothique.

Le contraste est d’autant plus fort avec le chapitre suivant : Joey prend la parole et laisse deviner sa triste histoire. On l’apprendra peu à peu, son père, un musicien raté, est mort dans un accident de voiture ; sa mère, qui lutte avec les séductions de l’alcool, l’élève seule ; il a déjà rencontré des problèmes dans les établissements qu’il a fréquentés. Stradbrook College, où il vient d’arriver, est le lycée de la dernière chance. Un autre nouveau lui vole la vedette : Shane, dont l’air d’ « assurance amusée avait quelque chose de fascinant » et qui « donnait l’impression d’avoir tout vu ». Shane semble connaître la fille que Joey a tout de suite repérée, Aisling. C’est avec lui que Joey devient ami, contre toute attente.

La suite du roman va permettre de connaître le passé de chacun des personnages et même de leurs ancêtres. La figure de Shane va devenir inquiétante, ambiguë : ce jeune homme sûr de lui est si séduisant a été malheureux et timide. Est-il vraiment un ami pour Joey ? Menteur, il mène une double vie, dans laquelle il entraîne Joey. Celui-ci ne devrait-il pas suivre les conseils d’Aisling et se méfier de Shane ?

Et progressivement, ces éclairages sur le passé vont se rejoindre dans le présent. Les chapitres, très courts pour la plupart, entrelacent les intrigues et délivrent des indices savamment disséminés, qui inquiètent, assombrissent et obscurcissent le personnage de Shane, Grand Meaulnes satanique, et tiennent en haleine le lecteur, l’obligeant à reconstituer la vérité, à l’instar des personnages embarqués dans cette histoire noire et passionnante. L’unité est maintenue à la fois par la solidité de l’ensemble et par l’entrecroisement de certains thèmes, musicalement introduits dans le roman : la phobie de l’eau, la musique, l’amour, le voyage…

Mais si ce roman fascine, c’est surtout parce que les caractéristiques du genre fantastique (il ne manque rien, pas même la maison hantée ; le fiacre dont les chevaux se sont emballés est devenu une voiture volée, mais qu’importe, l’effet est le même) ont été mises au service d’une évocation à la fois juste et terrible des tourments de l’adolescence : comment être accepté ? Comment se détacher de ses parents tout en continuant à les aimer ? Comment être soi-même en se libérant de ce qui nous a été transmis, et qui nous entrave ? Quel prix faut-il accepter de payer pour réaliser ses rêves ?

Bref, on se dit que ce livre a réussi ce que Twilight n’avait même pas tenté.

Red code, la brigade des fous

Red code, la brigade des fous      
Philip Le Roy
Rageot Thriller 1013

  Catalogue et liste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

cvt_La-brigade-des-fous--Red-Code_2696 imageJ’ai beaucoup de mal à accrocher à ce policier, le deuxième de la série  Red code après Blackzone.  Pour moi, le procédé est trop visible : six jeunes  choisis pour leurs qualités exceptionnelles mais aussi pour leur handicap,  un autiste savant,  une bipolaire séductrice, une hyperactive championne d’arts martiaux,  une dépressive insensible au danger, un addict aux jeux vidéo, et un trisomique  exceptionnellement musclé sont entrainés dans un camp appelé La Citadelle pour mener des actions d’enquête dangereuse et classée secrète.  Dans ce cas, il s’agit d’infiltrer un réseau de terroristes afghans. Ces terroristes ont la particularité d’être  jeunes et lycéens et de passer inaperçus. Il s’agît donc pour nos six détectives de s’inscrire dans leurs lycées,  de s’en faire des amis et de les arrêter avant qu’ils ne fassent exploser   le centre nucléaire ITER. Mais le réseau  qui les a fait venir en France est aussi un réseau de  vente d’êtres humains, de prostituées, les méchants sont aussi des adeptes de l’extraction des gaz de schiste, enfin  ils présentent eux  aussi un catalogue de perversités.

Je dis liste, car à chacune des sorties du camp,  les six agents  s’adonnent a une liste complète de coups  et tortures, d’exactions en tous genres, explosions, destructions de bus,  de voitures,  d’immeubles, enfin, tout ce qu’il est possible de faire sans tuer vraiment. Les personnages  ont à la fois des talents exceptionnels et   sont des malades qui pourraient être à nouveaux enfermés à tout moment. On devrait s’attacher à eux, mais ils sont trop caricaturaux. Dans ce style, j’ai préféré Les infiltrés ou A comme association de Bottero.

Chat-nouille

Chat-nouille 
Gaëtan Doremus

Rouergue, 2010

 Dans « LJ », il y a « littérature »

 par Christine Moulin

 chat-nouille.jpgOn aimerait aimer ce petit album, carré comme tous ceux de l’éditeur, au nom même du goût que l’on a pour le Rouergue. Pour le dessin aussi, fluide, au crayon rehaussé d’orange. Pour la bonne bouille du chat héros de l’histoire, sans doute nommé Mistigri (mais son nom disparaît rapidement pour la dénomination « le chat »).

Oui, mais voilà, le propos est tellement évident, pesant et didactique qu’on n’y arrive pas. Derrière ce chat anonyme, on reconnaît tellement vite tous les adolescents scotchés à leur écran et leurs jeux vidéo qu’il n’y a aucune surprise, aucun décalage, aucun déplacement. La leçon est assénée : la télévision, les jeux vidéo, c’est nul ; il vaut mieux lire et aller faire un tour dehors. Sinon, on devient lisse, mou et blanc… !

Quand le livre fait son auto-promotion sans nuances, on a bien envie de se précipiter sur son canapé et de s’offrir une grande orgie de télé !