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Guridi
CotCotCot, octobre 2023

Plaidoyer sans parole pour protéger l’environnement tout en douceur et en poésie

Par Edith Pompidou-Séjournée

Histoire sans parole au titre énigmatique et aux illustrations assez minimalistes essentiellement en noir sur fond blanc, cet album ne peut, d’emblée, qu’interroger. Une petite note sur la quatrième de couverture précise l’intrigue, le titre « Ö » correspond au nom de l’ours qui a décidé de ne pas hiverner cet hiver. Ce nom n’est pas banal, il rappelle peut-être la tête de l’ours avec ses deux petites oreilles ou le grognement de celui-ci ou encore les interrogations suscitées par ce livre. Le lecteur découvrira par la suite que l’ours ne va d’ailleurs pas cesser de se questionner au fur et à mesure de ses découvertes dans la nature environnante. Le décor s’étend sur chaque double page comme si la neige blanche avait tout envahi. Il n’y a aucun cadre, juste la silhouette de l’ours et quelques éléments de la nature végétale ou animale avec qui l’ours semble communier. Le lecteur est comme plongé dans cette ambiance hivernale. L’ours se recouvre ainsi de la neige qu’il fait tomber d’un arbre, se coiffe d’un branchage et danse, puis s’arrête face à un cerf dont les bois font écho à la couronne de branches qu’il s’est mise sur la tête. Un élément construit par l’homme apparaît ensuite : il s’agit d’un bonhomme de neige qui semble surprendre l’ours par sa silhouette. Il regarde ensuite son reflet dans le sol gelé, il patine sur la glace mais bientôt il réalise qu’elle se fissure et s’arrête. Alors il découvre un petit élément avec une tache légèrement colorée de jaune. On peine à distinguer de quoi il s’agit. Et si l’ours semble d’abord l’ignorer pour jouer à faire des empreintes, couché dans la neige, observé par de petits oiseaux, il finit par s’approcher et déterrer l’objet : on réalise alors qu’il s’agit d’un sac de déchets. L’ours paraît stupéfait mais il les prend et les dépose dans une poubelle avec d’autres colorés en vert. Il s’en va, retourne dans la forêt qu’on imagine profonde car ses arbres tiennent cette fois une grande partie de l’illustration. L’ours y disparaît et sur la troisième de couverture, on ne distingue plus que ses yeux sur fond noir… Cet album pourrait très bien servir de support de production orale ou écrite pour des enfants dont le capital sympathie de cet animal n’est plus à démontrer. Mais l’album aborde surtout de manière très poétique et juste des questions environnementales majeures qu’il est parfois difficile d’aborder avec les plus jeunes sans tomber dans un discours prescriptif et moralisateur, comme le réchauffement climatique ou la gestion des déchets.

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle
Joséphine Serre

Théâtrales, juillet 2024

« La forêt se déchaîne, les vivants se soulèvent, la beauté mène l’insurrection, et à l’intérieur ça vit, ça chante, cherche, explose, ça s’étreint et se déchire, cela vit, vit, vit. »

par Lidia Filippini

M.A.D, Je te promets la forêt rebelle est une pièce engagée en faveur de la protection de la Terre.
Une jeune femme apprend à l’aéroport la mort de son frère dans une ZAD. Elle renonce alors au voyage d’affaire qui devait lui permettre de vendre un projet d’ingénierie à des start-ups pour se rendre sur les lieux où le jeune étudiant en botanique a disparu. Pacifiste et mu par le désir de vivre autrement son rapport à la terre, Frère était parti, son carnet en poche, pour recenser les espèces végétales présentes dans la ZAD. Il a été victime d’une grenade offensive, lancée par un gendarme lors d’affrontements opposant les zadistes aux forces de l’ordre.

 La ZAD est située dans une forêt qui, comme toutes les forêts, regorge de mystères. Entre les arbres, Sœur croit apercevoir Walden, le chien de son enfance. Lancée à sa poursuite, elle va rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins oniriques : un jardinier nommé Neil Armstrong qui, s’il avait eu un fils, aurait aimé l’appeler Judas, une fille-jaguar, une sorcière, mais aussi le fonctionnaire auteur de la bavure. Les zadistes, quant à eux, lui font entrevoir cette manière de vivre différente où chacun s’efforce de construire ensemble un « autre futur » qui avait tellement séduit son frère.

 L’enquête que mène Sœur pour comprendre ce qui est arrivé à Frère prend peu à peu la forme d’une quête identitaire. Au fil de des rencontres, la jeune femme qui, jusqu’alors ne comprenait pas l’engagement écologique et social de son frère, va voir ses certitudes vaciller.

Le texte est traversé de bout en bout par des références à Macbeth, et plus précisément à l’acte V de la pièce de Shakespeare, « La forêt qui marche » dans lequel une armée de soldats, portant chacun une branche d’arbre avance vers le château de Macbeth. Une des sorcières rencontrées pendant sa jeunesse avait bien prédit au roi : « Rien ne pourra t’arriver tant que la grande forêt ne se sera pas mise en marche contre toi. » Mais, Macbeth, qui était encore un jeune général à l’époque, avait pris cette prophétie à la légère : « Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? […] notre grand Macbeth vivra jusqu’au terme normal de toute vie et rendra le dernier soupir à l’heure où tout homme doit le rendre. », s’était-il écrié, sûr de son pouvoir et de sa puissance. Dans M.A.D, la forêt rebelle, c’est celle des zadistes et des défenseurs de la nature qui, seuls, ont compris l’importance de changer notre modèle de société. M.A.D, acronyme de « monde à défendre », c’est la folie des hommes qui ne respectent plus leur planète.

Joséphine Serres s’est librement inspirée, pour écrire la pièce, de l’histoire de Rémi Fraisse, étudiant en botanique mort en 2014 lors de l’assaut d’un groupe de gendarmes. Le jeune militant écologiste occupait avec d’autres zadistes le site de Sivens, dans le Tarn, pour protester contre la construction d’un barrage. Pour Joséphine Serres, cet évènement tragique n’est pas « un fait divers mais vraiment un fait politique ». Elle considère Rémi Fraisse comme « un des premiers morts de ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’eau en Europe ».  Très juste dans son ton, l’autrice ne verse à aucun moment dans une vision idéaliste de la ZAD. Le microcosme qu’elle dépeint (surtout d’ailleurs dans Nous habitons vos ruines, une des trois courtes pièces qui accompagnent M.A.D et qui peut être présentée « en parallèle des représentations » ou « en guise de prologue ou d’épilogue ») est loin d’être un monde parfait. On y trouve toutes sortes de gens – et même des « cons » – « [e]t ça discute tout le temps et ça s’embrouille, mais ça échange ». Car au fond, ce qui lie ce groupe hétérogène c’est bien cette idée d’échange, de partage de connaissance, la « liberté inconditionnelle de la conscience ».

Le texte est percutant et néanmoins poétique. Extrêmement bien documenté, il fait le lien, par le jeu de l’intertextualité, avec l’œuvre de Shakespeare, mais aussi avec des ouvrages plus récents, fictions, poésies ou essais (Yourcenar, Whitman, Jünger). Joséphine Serres cite également de nombreux articles donnant envie au lecteur de les lire à son tour. On plonge dans le texte en commençant par la fin, la mort de Frère, dans un troisième chapitre intitulé « Anekdiegesis » (un monde privé de récit). Une voix s’est éteinte, celle du jeune homme d’où tout est parti. On découvre ce qu’était cette voix en remontant le cours du récit grâce à l’enquête de Sœur qui se termine au chapitre un « Homo Sapiens. Humilis. ». Devenir des « humain[s], humble[s], sage[s] de la terre », tel est le message de M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle qui nous engage à faire entendre, à notre tour, notre voix.
La pièce a été jouée en juin 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris, mise en scène par Joséphine Serres qui interprétait plusieurs personnages.

 

La Cabane sous le cerisier

La Cabane sous le cerisier
Céline Claire, Annick Masson
Flammarion, Père castor, 2024

À propos d’une cabane, la leçon d’une grand-mère

Par Anne-Marie Mercier

Le thème de la cabane construite par des enfants en vacances est un classique, tant dans les livres que dans la vie. Cet album le revisite de façon intéressante en proposant d’examiner dans quel environnement s’inscrit la construction.
Deux cousins, un garçon et une fille, en vacances chez leur grand-mère, décident de se faire une cabane dans le jardin. Une vieille couverture sur la branche basse d’un arbre fait le toit. Avant, on aura dégagé le sol de ses cailloux.  On aménage : mobilier, accessoires de dinette… la vie peut commencer. Mais un problème surgit : d’abord des fourmis, puis une poule, et le chat. Devant chaque intrusion les enfants ne manquent ni d’imagination ni de ressources et progressivement la cabane devient une horrible forteresse.
La grand-mère, arrivée avec le goûter, s’étonne et explique : le chat a l’habitude de dormir sur cette branche, les fourmis ont leur maison juste ici, la poule aime pondre là… Tous trois détruiront les barrières pour partager espace et goûter avec les animaux comme on le voit sur la couverture.
Cela invite à revenir au début de l’histoire pour voir les indices de ce que les enfants auraient dû deviner : les animaux, déjà là sur place, bien avant eux. Cela invite aussi à mieux regarder autour de soi dans la nature et même dans un jardin pour inscrire son action en harmonie avec les autres habitants. C’est aussi tout simplement une jolie évocation de vacances chez une grand-mère attentive et éducatrice.

Cet album a été chroniqué également par Michel Driol sur lietje

La petite Glaneuse de sons

La petite Glaneuse de sons
Benoît Bories – voix : Elodie Vincent – Illustrations Iris Durand
Trois Petits Points 2024

Sounds or Silence ?

Par Michel Driol

Irma habite à la montagne avec son grand père Nonno. Sa passion : collecter et enregistrer de nouveaux sons, oiseaux, torrent, pas dans la neige… Avec ces sons, Nonno fabrique des automassons. Derrière ce mot valise se cachent d’ingénieux dispositifs capables de reproduire les sons de la nature. L’arrivée de Monsieur Industrior et de ses machines destinées à creuser des trous dans la montagne fait taire tous ces sons, pour laisser la place à un bruit blanc que rien ne peut vaincre. C’est compter sans l’ingéniosité de Nonno qui fait fabriquer par les habitants du village une trompe géante capable d’amplifier les automassons et d’entrer en résonnance avec les machines de Monsieur Industrior pour les détruire.

Une fable écologique et politique pour les petites oreilles, annonce le sous-titre de ce nouvel opus sonore des Editions Trois Petits Points. C’est bien de cela qu’i s’agit, on l’aura compris en lisant le résumé, mais avec un angle original qui est bien lié à la spécificité de cette maison d’édition lyonnaise. La diversité dont il est question ici est celle des sons de la nature, que cette histoire invite à écouter avec attention, qu’elle donne à entendre en particulier dans les premiers chapitres. Quant au monde industriel, destructeur de l’environnement, il est incarné aussi bien par les bruits des engins de chantier que par le bruit blanc – négation de la diversité, de la variété. C’est une belle partition musicale à trois éléments que cet opus donne à entendre : les sons et bruits divers, la voix calme et douce de la narratrice, et la musique concrète très contemporaine, expressive, qui lie le tout. Par là il s’agit autant de s’adresser à la sensibilité de l’auditeur qu’à son imaginaire en lui proposant des sons – et non des images – avec une grande force d’évocation. Cette proposition poétique dessine un  paysage sonore dont les éléments sont l’écologie sonore et la musique acousmatique. Faut-il voir dans le nom du grand père, Nonno, une allusion à Luigi Nono, et à une musique au service d’un engagement politique ?

La défense de la nature, la résistance à sa destruction ont de nombreux visages. Ce récit sonore nous invite à écouter, tant qu’il en est encore temps, les sons de la nature, apaisants, et montre avec originalité comment ils peuvent donner lieu à une (re)création artistique. A auditionner les yeux fermés certes, mais pour garder les yeux ouverts sur le monde qui nous entoure…

Fuis Tigre!

Fuis Tigre !
Gauthier David, Gaëtan Doremus (ill.)
Seuil Jeunesse, 2018

Une fin qui est un début

Par  Christine Moulin

Surprenant, cet ouvrage, qui commence par : « C’est la fin ». On a l’explication de cette déclaration paradoxale à la fois à la page suivante et sur la quatrième de couverture, en un texte tout à la fois poétique et angoissant par son rythme martelé : le tigre auquel l’injonction du titre (« Fuis Tigre ») est  adressée est poursuivi par le feu, il doit donc se réfugier dans la terre des hommes.

Fantastique, cette histoire, et passionnante: on suit l’errance du tigre, qui finit par se terrer dans le château fort d’un petit garçon. Il s’est donc bien fait « tout petit. De la taille d’une souris », comme le lui avait conseillé la voix qui l’accompagne. Ce n’était pas une métaphore. Le petit garçon et le tigre nouent alors une relation faite de tendresse et de bienveillance, jusqu’à ce que les parents découvrent l’animal… Mais ne dévoilons pas trop la suite!

Original, cet album, par son choix narratif: quelqu’un s’adresse au tigre tout au long de l’histoire, pour la raconter. Les phrases sont courtes, frappantes, souvent très belles dans leur étonnante simplicité : « Toi, le si bel animal, sa majesté des affamés », « Et près de lui, tu t’apaises ». Les illustrations, plutôt indépendantes du texte, sont très expressives, mais prennent parfois le relais de la narration en de surprenantes pleines pages.

Magnifique, le message porté par ce récit: comment ne pas voir derrière le tigre le destin des migrants? Et la fin est belle, optimiste, cette fin qui en toute logique prend l’allure d’un début.

L’avis de Sophie Van der Linden, c’est ici.

L’île aux panthères, La presqu’île empoisonnée

Les Jaxon, t. 2: La presqu’île empoisonnée
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Les Jaxon, t. 1: L’île aux panthères
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Comment décoiffer le club des cinq

Par Christine Moulin

La quatrième de couverture de l’opus 1 l’indique clairement: « Signant le renouveau du polar de clan, en version 2.0, L’île aux panthères jette cinq adolescents au destin singulier dans les sous-sols obscurs d’un monde contemporain dangereux et réaliste ». De fait, ce roman, tout comme le second, met en scène une bande de collégiens dotés de pouvoirs extraordinaires mais pas surnaturels (l’un est un hacker surdoué, l’autre est hypermnésique, etc.). Et elle les plonge dans des complots qui leur font affronter la mafia calabraise, les Triades chinoises, des trafiquants en tout genre, des  spéculateurs immobiliers, j’en passe et des meilleurs.

Le premier tome se déroule à Nantes, le deuxième à Lyon : les deux villes sont mises à l’honneur et jouent un grand rôle dans l’intrigue. Pour ceux qui les connaissent bien, il est très réjouissant de voir comment l’auteur en fait le cadre de luttes souterraines et impitoyables. D’une manière générale, les deux histoires sont en prise directe avec le réel et évoquent, sans faux semblant et avec une grande précision, nombre de problèmes politiques contemporains (notamment l’environnement: le désherbant Cleanfields, au cœur du problème à résoudre dans La Presqu’île empoisonnée, cache mal sa ressemblance avec le Roundup, par exemple). Cela dit, ces deux romans restent des romans car nos cinq héros, malgré leur âge, accomplissent des exploits que ne renierait pas un agent aguerri du FBI et la vraisemblance est sans cesse oubliée: l’une des héroïnes n’est-elle pas engagée dans un combat « visant à abattre le système de prédation financière et écologique imposé par certaines multinationales »? Et en gros, elle revient pour le goûter…

L’invraisemblance ne touche pas, toutefois, les relations entre les membre du groupe qui sont finement décrites et ressemblent, finalement, à ce que vivent des jeunes « normaux ». Ce qui fait qu’on s’attache aux héros et que la lecture est très agréable, voire, par moments, addictive, du moins celle du tome 2 car l’intrigue du premier ouvrage est un peu embrouillée.
Mais surtout, surtout, c’est le style qui est remarquable (là encore, sans doute plus nettement dans le second opus): il y a de l’humour, beaucoup d’humour, fondé notamment sur des formules surprenantes (exemple: « Xavier l’attendait porte ouverte avec, sur le visage, un air qu’Oscar ne lui avait jamais vu. Une boule de papier journal chiffonnée qui essaierait de sourire était ce qui s’en rapprochait le plus »). Mais il y  aussi des descriptions fortes et frappantes, comme dans cette évocation de Lyon: « Et autour de tout ça, la main invisible et puissante de l’argent toxique et l’énergie brute des quartiers sous pression dont la rage pulsait dans la ville comme des vibrations sorties d’un caisson de basses. Lyon était opulente, baroque, géniale, vulgaire, industrieuse, moderne, expansive, gourmande, explosive et dangereuse ».  Il y a souvent, enfin, des passages d’écriture quasi fragmentaire particulièrement bien venus: « Lucas avait appris cette histoire par hasard – porte mal fermée, mère tourmentée « ce n’est pas cet homme que j’ai épousé », lui réveillé… ».

Bref, si l’auteur s’en était tenu au premier volume, on aurait pu penser qu’il s’était contenté de revisiter (avec talent) le club des cinq, en ciblant, il est vrai, un lectorat plus âgé. Mais le deuxième volume, à l’intrigue épurée, séduit par son rythme et par son écriture et acquiert une tout autre dimension : vivement la parution des Jaxon 3!