Fuis Tigre!

Fuis Tigre !
Gauthier David, Gaëtan Doremus (ill.)
Seuil Jeunesse, 2018

Une fin qui est un début

Par  Christine Moulin

Surprenant, cet ouvrage, qui commence par : « C’est la fin ». On a l’explication de cette déclaration paradoxale à la fois à la page suivante et sur la quatrième de couverture, en un texte tout à la fois poétique et angoissant par son rythme martelé : le tigre auquel l’injonction du titre (« Fuis Tigre ») est  adressée est poursuivi par le feu, il doit donc se réfugier dans la terre des hommes.

Fantastique, cette histoire, et passionnante: on suit l’errance du tigre, qui finit par se terrer dans le château fort d’un petit garçon. Il s’est donc bien fait « tout petit. De la taille d’une souris », comme le lui avait conseillé la voix qui l’accompagne. Ce n’était pas une métaphore. Le petit garçon et le tigre nouent alors une relation faite de tendresse et de bienveillance, jusqu’à ce que les parents découvrent l’animal… Mais ne dévoilons pas trop la suite!

Original, cet album, par son choix narratif: quelqu’un s’adresse au tigre tout au long de l’histoire, pour la raconter. Les phrases sont courtes, frappantes, souvent très belles dans leur étonnante simplicité : « Toi, le si bel animal, sa majesté des affamés », « Et près de lui, tu t’apaises ». Les illustrations, plutôt indépendantes du texte, sont très expressives, mais prennent parfois le relais de la narration en de surprenantes pleines pages.

Magnifique, le message porté par ce récit: comment ne pas voir derrière le tigre le destin des migrants? Et la fin est belle, optimiste, cette fin qui en toute logique prend l’allure d’un début.

L’avis de Sophie Van der Linden, c’est ici.

L’île aux panthères, La presqu’île empoisonnée

Les Jaxon, t. 2: La presqu’île empoisonnée
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Les Jaxon, t. 1: L’île aux panthères
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Comment décoiffer le club des cinq

Par Christine Moulin

La quatrième de couverture de l’opus 1 l’indique clairement: « Signant le renouveau du polar de clan, en version 2.0, L’île aux panthères jette cinq adolescents au destin singulier dans les sous-sols obscurs d’un monde contemporain dangereux et réaliste ». De fait, ce roman, tout comme le second, met en scène une bande de collégiens dotés de pouvoirs extraordinaires mais pas surnaturels (l’un est un hacker surdoué, l’autre est hypermnésique, etc.). Et elle les plonge dans des complots qui leur font affronter la mafia calabraise, les Triades chinoises, des trafiquants en tout genre, des  spéculateurs immobiliers, j’en passe et des meilleurs.

Le premier tome se déroule à Nantes, le deuxième à Lyon : les deux villes sont mises à l’honneur et jouent un grand rôle dans l’intrigue. Pour ceux qui les connaissent bien, il est très réjouissant de voir comment l’auteur en fait le cadre de luttes souterraines et impitoyables. D’une manière générale, les deux histoires sont en prise directe avec le réel et évoquent, sans faux semblant et avec une grande précision, nombre de problèmes politiques contemporains (notamment l’environnement: le désherbant Cleanfields, au cœur du problème à résoudre dans La Presqu’île empoisonnée, cache mal sa ressemblance avec le Roundup, par exemple). Cela dit, ces deux romans restent des romans car nos cinq héros, malgré leur âge, accomplissent des exploits que ne renierait pas un agent aguerri du FBI et la vraisemblance est sans cesse oubliée: l’une des héroïnes n’est-elle pas engagée dans un combat « visant à abattre le système de prédation financière et écologique imposé par certaines multinationales »? Et en gros, elle revient pour le goûter…

L’invraisemblance ne touche pas, toutefois, les relations entre les membre du groupe qui sont finement décrites et ressemblent, finalement, à ce que vivent des jeunes « normaux ». Ce qui fait qu’on s’attache aux héros et que la lecture est très agréable, voire, par moments, addictive, du moins celle du tome 2 car l’intrigue du premier ouvrage est un peu embrouillée.
Mais surtout, surtout, c’est le style qui est remarquable (là encore, sans doute plus nettement dans le second opus): il y a de l’humour, beaucoup d’humour, fondé notamment sur des formules surprenantes (exemple: « Xavier l’attendait porte ouverte avec, sur le visage, un air qu’Oscar ne lui avait jamais vu. Une boule de papier journal chiffonnée qui essaierait de sourire était ce qui s’en rapprochait le plus »). Mais il y  aussi des descriptions fortes et frappantes, comme dans cette évocation de Lyon: « Et autour de tout ça, la main invisible et puissante de l’argent toxique et l’énergie brute des quartiers sous pression dont la rage pulsait dans la ville comme des vibrations sorties d’un caisson de basses. Lyon était opulente, baroque, géniale, vulgaire, industrieuse, moderne, expansive, gourmande, explosive et dangereuse ».  Il y a souvent, enfin, des passages d’écriture quasi fragmentaire particulièrement bien venus: « Lucas avait appris cette histoire par hasard – porte mal fermée, mère tourmentée « ce n’est pas cet homme que j’ai épousé », lui réveillé… ».

Bref, si l’auteur s’en était tenu au premier volume, on aurait pu penser qu’il s’était contenté de revisiter (avec talent) le club des cinq, en ciblant, il est vrai, un lectorat plus âgé. Mais le deuxième volume, à l’intrigue épurée, séduit par son rythme et par son écriture et acquiert une tout autre dimension : vivement la parution des Jaxon 3!