La Brodeuse d’histoires

La Brodeuse d’histoires
Martina Aranda
CotCotCot éditions, 2019

Coudre le sens

Par Anne-Marie Mercier

Mila a déménagé. Ses livres sont toujours dans des cartons, elle est un peu désœuvrée tandis que les adultes œuvrent à tout mettre en ordre. Elle fait la connaissance de la voisine du rez-de-chaussée. Elle brode des fleurs à longueur de journée, mais à Mila elle raconte des histoires, en commençant par la vie des artistes du quartier, mais elle refuse de lire de nouvelles histoires, et Mila découvre qu’elle n’a ouvert aucune des lettres qu’elle a reçues depuis la mort de son mari et que sa vie s’est arrêtée.
Le mystère n’est pas éclairci, tout est laissé en suspens, délicatement. L’implicite est également dans les illustrations, délicates, incomplètes, laissant des blancs entre les éléments simples et proposant de rares touches de couleurs comme autant d’indices pour saisir la vie de cette femme.

Le mystère de la chambre froide

Le mystère de la chambre froide
Simon Bailly, Julia Billet
Les éditions du Pourquoi pas ? 2016,

Quand la prison n’est pas le problème !

Par Maryse Vuillermet

Ce roman graphique est réalisé par la même équipe que Mo sur le même sujet,  mais cette fois dans le monde des cuisiniers et des prisons. Le titre parodie un titre de Simenon Le mystère de la chambre jaune mais l’intrigue policière n’est pas le seul moteur de l’histoire.
C’est l’histoire de Jeannot Cabane, chef cuisinier, qui terrorise ses employés. Un jour, un critique gastronomique particulièrement désagréable mange en salle et le lendemain matin, il est retrouvé gelé dans la chambre froide.
A ce moment-là, un long retour en arrière nous fait découvrir l’enfance difficile et la scolarité chaotique de Jeannot, en particulier les humiliations que lui a fait subir son institutrice. Il n’a donc jamais aimé l’école mais son oncle cuisinier lui a appris son métier et lui a redonné confiance en lui
Retour au présent, tout accuse Jeannot Cabane, car on découvre le carnet de notes du critique gastronomique qui comportait des remarques désastreuses sur son restaurant, ce qui aurait détruit sa réputation. Jeannot est jugé et emprisonné. Mais en prison, il exerce ses talents, améliore le quotidien des autres, pas seulement en les nourrissant bien pour pas cher, mais encréant  aussi une bonne ambiance entre tous.
Un éditeur lui propose d’écrire un guide de cuisine Recettes de cabane.
Jeannot refuse, maugrée et finit par avouer à son professeur de français de la prison ce qui l’effraie. Le professeur l’aide à rédiger le recueil.
Jeannot sort de prison, son livre a du succès, il retrouve son restaurant et on comprend qu’il est innocent mais qu’il s’est laissé accuser pour ne pas avouer qu’il ne savait pas lire : « Si j’avais dit la vérité, qui est-ce qui m’aurait respecté ? »

C’est l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, plus que sa sortie de prison et la réouverture du restaurant, qui va le libérer.
C’est la même libération que pour Mo, des hommes pleins de tous les talents mais paralysés et honteux de leur illettrisme finissent par s’en libérer grâce à d’autres  hommes et femmes compréhensifs.
J’apprécie que ces histoires se passent dans des milieux modestes, ceux des métiers, gardiens d’immeubles, cuisiniers, des grands ensembles et des arrière-cuisines, que ce sujet soit abordé avec  justesse, grâce au dessin plein de tendresse  de Simon Bailly et à la vison fantaisiste de Julia Billet.

Mo

Mo
Julia Billet, Simon Bailly
Editions du pourquoi pas ? 2015

Mo a un seul défaut

Par Maryse Vuillermet

Magnifique histoire ! C’est celle de Mo,  gardien d’immeuble,  qui a toutes les qualités, gentillesse, créativité et sait tout faire, réparer, aider, régler les problèmes avec les jeunes en douceur, créer un jardin collectif, et surtout créer des liens entre les habitants. Beaucoup sont venus d’ailleurs Portugal, Europe de l’est, Maghreb, même Asie, mais Mo arrive à les faire vivre heureux tous ensemble. « On pourrait presque croire au bonheur. Malgré quelques râleurs, ce bout de terre abolit les frontières. »
Il n’a qu’un seul défaut, il laisse traîner les papiers, ne rédige pas les comptes-rendus, accumule les factures, bref,  déteste la paperasse. Un jour, au jardin collectif, l’institutrice lui demande d’écrire le nom d’une plante sur une ardoise, il se sauve en courant.
Quelqu’un, le mari de l’institutrice,  a compris, et intelligemment et gentiment a trouvé le moyen de l’aider. Depuis,  Mo n’est plus seul avec son secret et du coup, le poids de ce secret n’est plus aussi lourd et même, son problème honteux peu à peu se résout. « Mo est plus léger et plus libre »
Cette phrase, bien sûr, pourrait s’appliquer facilement à toute personne qui fréquente les livres. Ce que suggère la dernière illustration où les livres circulent de main en main.

J’ai beaucoup aimé aussi les illustrations tendres et très discrètement métaphoriques, avec leurs couleurs pastel, où Mo est partout, reconnaissable à ses bretelles et à son béret mais presqu’invisible tant il est au milieu des autres. Il est aussi presqu’invisible au milieu des montagnes de papier qui l’effraient jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre dans les murailles de paperasse.

Le Grand voyage de monsieur Tatou/ Je voulais te dire…

Le Grand voyage de monsieur Tatou/ Je voulais te dire…
Christine Beigel, Matieu Z.
Editions du Pourquoi pas (collection « faire société »), 2015

« Il n’y a pas d’âge pour entreprendre, ni pour s’émouvoir. » (éditions du Pourquoi pas)

Par Anne-Marie Mercier

Les Editions du Pourquoi pas, maison d’édition indépendante située dans les Vosges, ont un projet original et collaboratif intéressant : « Nées fin 2012, sous la forme d’une association à but non lucratif, les Éditions du Pourquoi pas sont le fruit d’une collaboration de plus en plus fructueuse entre l’École Supérieure d’Art de Lorraine – site d’Épinal et de la Ligue de l’Enseignement des Vosges » (site de l’éditeur). Eduquer au sens, au sensible, offrir à des étudiants la possibilité d’illustrer une œuvre écrite par un auteur reconnu (Y. Pinguilly, F. David…), proposer aux lecteurs des fictions qui les interrogent sur notre monde… Le nom de la collection, « faire société », est un programme à lui seul.

Après le très beau Mo, qui mettait en mots et en images le portrait d’un gardien d’immeuble et de son secret (l’illettrisme), ce volume propose deux histoires courtes, unies par un même thème, l’une sur le mode réaliste, l’autre plus fantaisiste.

Monsieur Tatou est un petit homme de papier, l’envie de voyager le prend, et ce qu’il voit ne lui plait pas : partout des bottes et des armes, point de paix, hormis dans le désert où il finit sa course. Cette petite fable conduit à une interrogation : « Doit-on appartenir à un pays, à un lieu, ou bien est-on libre de vivre où l’on veut, comme on veut, sans s’installer vraiment ?

Un homme écrit à son amour, restée au pays avec les enfants tandis que lui est parti plein d’espoir, un diplôme en poche pour d’imaginaires Eldorados. Il va de déceptions en défaites, jusqu’au moment où, sans papiers, il ne peut ni revenir ni donner de ses nouvelles tant le sentiment d’échec le paralyse.

Les questions tournent autour des sans-papiers : « qu’est-ce qui pousse une personne à quitter son pays et ceux qu’elle aime ? » qu’est-ce qu’avoir (ou ne pas avoir) une identité ? connais-tu des sans-papiers ? Questions simples, réponses qui devraient être simples mais ne le sont pas. Les dessins de Matieu Z. sont parfaits : ils disent le drame mais en ajoutant une touche d’absurde. Son personnage pourrait être chacun de nous et le monde qui l’entoure est à la fois beau, étrange et effrayant.