Séverine la frondeuse

Séverine la frondeuse
Sylvie Arnoux
L’Astre bleu 2025

Reporteresse et engagée

Par Michel Driol

Pour beaucoup de gens, aujourd’hui, le nom de Séverine n’évoque malheureusement rien. Ce petit livre de Sylvie Arnoux redonne vie avec passion à cette journaliste, fort active entre1883 et 1927, et fourmille d’informations rendues accessibles au plus grand nombre.

Les quatre premiers chapitres, très biographiques, retracent la vie de Séverine, depuis les blessures de l’enfance, évoquent son désir d’indépendance et de liberté, jusqu’à ses engagements, d’abord aux côtés de Jules Vallès dans Le Cri du Peuple, puis dans différents journaux, jusqu’à la consécration et la célébrité. Des pages pleines de vie, d’empathie, d’admiration aussi, qui rendent sensible ce qu’était l’éducation des filles au milieu du XIXème siècle dans une famille de la petite bourgeoisie, et qui montrent comment le désir de justice et de liberté peuvent guider toute sa vie.

Les 9 chapitres suivants sont plus analytiques, et reprennent, thème par thème, les grands combats qui ont animé Séverine : combat pour les travailleurs et les travailleuses, pour améliorer les conditions de travail, combat pour les femmes, combat contre le racisme, combat pour les animaux… Séverine multiple les combats, avec toujours l’idée directrice d’une humanité plus juste, d’une vie meilleure pour les plus défavorisés. Ces chapitres-là donnent à lire la prose de Séverine, toujours précise et informée, souvent polémique, souvent acérée et ironique, toujours juste, jamais blessante inutilement. Une vraie leçon de journalisme et d’écriture déjà dont on se dit que beaucoup, aujourd’hui, pourraient s’inspirer… Sylvie Arnoux commente, introduit, contextualise, raconte de façon à permettre au lecteur de replacer ces extraits dans leur époque. C’est à la fois très pédagogique, et très agréable à lire, jamais pesant, toujours captivant. On mesure alors toute la modernité de cette femme, dans ses multiples combats toujours d’actualité. On mesure aussi sa façon d’évoluer, de changer d’opinion, quant à l’affaire Dreyfus, quant au vote des femmes… C’est peut-être bien là la force d’un esprit libre de savoir évoluer, reconnaitre ses erreurs. Autre belle leçon pour aujourd’hui !

Les deux derniers chapitres se font écho : l’un qui recense quelques-unes des attaques dont Séverine a été victime, l’autre les hommages rendus après sa mort. Enfin une dernière page fait la liste de tous les engagements de Séverine, montrant leur concrétisation – ou pas – au cours des XX et XXIème siècles.

S’il n’est pas publié dans une collection a priori dédiée à la jeunesse, ce livre a toutes les qualités d’un ouvrage destiné à des ados. Par son écriture, jamais simplificatrice, mais toujours aisément compréhensible – en témoignent les notes de bas de page qui éclairent tel ou tel terme. Par son sujet, celui de l’engagement, d’une vie de femme, inventrice du terme reportesse, première femme journaliste à pratiquer l’enquête sur le terrain, l’investigation pour mieux rendre compte du réel, dût-il déplaire aux puissants.  Enfin un beau portrait de femme qu’il brosse, une femme engagée, sensible, empathique, prête à venir en aide  matériellement à toutes celles et tous ceux qui souffrent.

Maudite guerre

Maudite guerre
Sylvie Arnoux – Anouk Alliot
Editions du pourquoi pas ?? 2025

Un homme, une femme pendant la 1ère guerre mondiale

Par Michel Driol

Louison et Léon sont un couple d’instituteurs dans un village du Causse. Maudite Guerre donne à lire leurs lettres, échangées entre le 20 janvier 1917 et le 1er septembre 1917. Un épilogue relate le retour de Léon au pays, en janvier 1919. En contrepoint, et en relation avec les thèmes abordés par les lettres, l’ouvrage donne à lire des extraits des textes de Marcelle Capy, journaliste, socialiste, féministe, écrits durant cette période.

Ouvrage hybride, Maudite guerre tient de la fiction et du documentaire. La fiction est clairement annoncée dès la préface, l’autrice expliquant que ces lettres, ainsi écrites, n’auraient pas franchi le couperet de la censure. Fiction aussi dans la construction des deux héros, elle révoltée, exaltée, admiratrice de Marcelle Capy, amoureuse. Lui ouvert au progrès, aux idées nouvelles quant à l’égalité homme/femme, à une société plus juste. On est dans le Tarn, et l’ombre de Jaurès plane sur les personnages, dont certains vont travailler à Carmaux. Le documentaire, ce sont les faits relatés, précis, relatifs aux conditions de travail des femmes durant la guerre, aux conditions de vie dans les tranchées, ou à l’arrière, tels qu’ils sont relatés par la journaliste Marcelle Capy, tels qu’ils sont éclairés par les lettres des deux protagonistes. L’ensemble forme ainsi un récit à trois voix accordées sur l’essentiel.

L’essentiel, c’est le discours cohérent construit autour de quelques thèmes forts et dont l’actualité n’est plus à démontrer. D’abord la question de la guerre, du pacifisme, du nationalisme. Il n’y a pas de différence de nature entre les Français et les Allemands, ils sont hommes et femmes, des semblables qui souffrent autant. Sont alors critiquées et condamnées toutes les manifestations de chauvinisme, de nationalisme, de haine des Boches. Ensuite la question du travail des femmes, contraintes par l’absence des hommes, mobilisés, des animaux, réquisitionnés, à se faire bêtes de somme à la campagne, ou ouvrières dans les usines. Le récit évoque les grèves de femmes, qui réclament un salaire égal à celui des hommes, et l’usure des corps qui veulent des conditions de travail dignes. Enfin c’est la question de l’éducation, des valeurs d’émancipation que l’école peut transmettre, en particulier aux filles, des valeurs guerrières aussi que propagent les jouets. Trois questions fondamentales qui, depuis plus d’un siècle, se posent, et n’ont toujours pas trouvé de réponse satisfaisante. Face à ces volontés progressistes, le récit se fait l’écho de la soumission de celles et ceux qui subissent la propagande, l’idéologie dominante, imposées par les élites, loin du réel. Toute ressemblance avec une époque plus contemporaine ne serait pas fortuite…

L’un des intérêts de l’ouvrage est de faire (re)découvrir la figure de Marcelle Capy, à travers les riches annexes, dont sa biographie. Militante, féministe, pacifiste, amie de Séverine (autre journaliste du début du XXème siècle plus connue qu’elle), elle a pratiqué, tout comme Albert Londres, un journalisme d’investigation et d’immersion. Amie de Romain Rolland, elle a été directrice de la Ligue des Droits de l’Homme.

Un roman par lettres sincère, émouvant, qui sait mettre l’accent sur la place des femmes durant la 1ère guerre mondiale, sur les relations hommes / femmes, et poser, sans didactisme, des questions sociétales toujours actuelles.

La Course dans les nuages

La Course dans les nuages
Thibault Vermot
Sarbacane (‘Exprim’), 2022

Au-dessus de l’apocalypse

Par Anne-Marie Mercier

Salomé, la jeune héroïne du roman, belle figure d’orpheline résiliente, est aviatrice et relève un défi qui doit la conduire de Paris à Puerto-Montt (en Patagonie chilienne).  L’histoire se situe en 1938, après la mort de Mermoz, un peu avant celle de Saint Exupéry, et après la fin de la grande aventure de l’Aéropostale qui a donné un cadre à certains de leurs exploits. Salomé part au-delà des Andes pour gagner de vitesse un aviateur anglais dont on apprendra qu’il est lié avec les nazis, et pour venir en aide aux habitants de cette région, touchés par un gigantesque tremblement de terre. Elle est accompagnée par Edgar, journaliste débutant, dont la maladresse et l’ignorance fournissent de beaux moments de comédie.
L’aventure, précédée de longs préparatifs, ne commence qu’à la moitié du roman. Auparavant, on aura assisté à la rencontre entre les deux héros, exploré avec Edgar le travail de journaliste et avec Salomé l’histoire de l’aviation. Tout cela est fort intéressant mais la nature du roman change radicalement après le décollage : aux aléas de la traversée s’ajoutent des épisodes de combat, d’espionnage, de complot ; de beaux cauchemars ponctuent les rares moment de sommeil des pilotes. Enfin, leur arrivée dans une ville dévastée dans laquelle ne restent que des enfants (trop lents pour fuir avec les adultes qui les ont abandonnés) tient des meilleurs récits d’apocalypse.
Décidément, Thibault Vermot, après le beau Fraternidad, est à l’aise dans de nombreux genres et sait créer des héros, fragiles et résistants, très attachants.

 

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part
Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (medium), 2021

Polar historico populaire chez les Ruskofs

Par Anne-Marie Mercier

Placé sous le patronage de Gustave Lerouge (ou Le Rouge), voilà un beau roman populaire du XIXe siècle, situé dans les années 1920 et écrit XXIe siècle. On y retrouve  des ingrédients classiques, déjà présents dans le premier volume (Le Dernier des Valets-de-coeur) : le personnage de l’orphelin, de l’enfant adopté (multiplié ici par le nombre d’adolescents du même orphelinat poursuivis par un tueur au mobile mystérieux), le couple homme d’action – journaliste, le couple Belle et clochard, la quête des origines. Si le premier volume nous plongeait dans un mystère né de la guerre de 14-18, le second en évoque un autre, célèbre, celui du destin des derniers souverains de Russie.

Roman historique également, ce volume nous plonge aussi bien dans le milieu des Russes blancs exilés, au cœur de l’atelier de Coco Chanel, rue Cambon, avec son annexe de broderies Kimir, et dans le milieu de la galerie du marchand d’art Kahnweiler, mais aussi dans le monde des « barrières », la banlieue de Paris au-delà des « fortif’ » où Blato vit dans une roulotte – comme beaucoup de ses amis.
C’est aussi un roman policier rondement mené, avec un couple mixte (garçon et fille) de jeunes détectives et un policier sourcilleux, presque un roman sentimental (le cœur de Balto est le lieu d’émois et d’hésitations propres au roman d’initiation, mais reste très chaste). Tout cela est parfaitement organisé, entrelacé et écrit : passionnant.