Sauver papa

Sauver papa
Blanche Martire
Le Calicot 2024

L’enfant thérapeute

Par Michel Driol

Marguerite est une brillante élève de terminale dont les parents sont divorcés. Son père est poète, à ses heures, plutôt paisible, sa mère plus active enchaine les activités. Quant à elle, elle ne sait pas où elle en est, doute d’elle-même, si bien que, faute d’un conseiller d’orientation dans son lycée, sa mère l’envoie chez une psychologue qui l’aidera à découvrir en quoi son père lui est toxique, en prenant toute la place, et en attendant trop d’elle.

Cette nouvelle d’une trentaine de pages, particulièrement bien écrite et structurée, fait alterner sur une même soirée passée en boite de nuit les souvenirs et les confidences de la narratrice, tels qu’ils reviennent, au rythme de la musique. Il est question du mal être d’une adolescente, qui a de la difficulté à porter son prénom, Marguerite, fleur rayonnante. Qui est-elle réellement dans sa relation avec les autres, avec ses parents, avec son père surtout ? Ce père présent dès les premières pages, avec ce poème qu’il envoie à sa fille, ce père caméléon de la souffrance (ce sont ses propres mots) en attente d’une approbation, d’un retour de sa fille. Ce père, enfant de parents qui ont été famille d’accueil, a-t-il manqué d’amour ? Comment se fait-il qu’il soit devenu, en quelque sorte, l’enfant de sa fille ? Comment parler de cela avec son père ? comment se construire, et découvrir l’amour ? Telle sont les questions, fines, que pose cette nouvelle qui, pour une fois, aborde les phénomènes de relations toxiques  parents-enfants  autrement que par le biais de l’inceste ou de la maltraitance physique. On s’attache à ce personnage de Marguerite, à son errance mentale à travers cette soirée de fête, les bribes, les lambeaux de souvenirs auxquels elle se raccroche, sa sensibilité, sa fragilité. La force de la nouvelle réside dans sa construction, dans sa façon de retracer, en un temps et un espace clos, le parcours affectif de Marguerite, sa prise de conscience, les faits, petits ou grands, significatifs pour elle, à la façon d’un puzzle dont les pièces, petit à petit, viennent s’emboiter pour donner un sens et une orientation à une image de soi jusque-là brouillée, dans une écriture simple et douce, très classique dans la forme et la syntaxe.

Une nouvelle forte et concise, sans fioriture, qui montre comment les rôles de parent et d’enfant peuvent s’inverser, portée par une narratrice à la fois perdue et lucide.

Les petits nuages noirs

Les petits nuages noirs
Ingrid Chabbert, Stéphanie Marchal (ill.)
Le Diplodocus, 2016

Que de nuages !

Par Christine Moulin

Les prescriptions des programmes de l’Education Nationale, recommandant l’étude des émotions sont-elles complètement étrangères au grand succès actuel des nuages dans les albums pour enfants : impossible de le déterminer… Voici donc un nouvel album sur ce thème. Les nuages sont ici des « gribouillis » noirs qui flottent au-dessus de la tête de deux enfants, Adam et Nour qui, même s’ils ne se parlent pas, « se ressemblent sans se ressembler », faisant figure de héros bicéphale, peut-être pour mieux favoriser l’identification des filles comme des garçons. On l’apprend très vite, « les petits nuages noirs, […] ça apporte souvent des pensées un peu tristes et des moues toutes de travers ». Ces nuages finissent par provoquer un orage qui assombrit la cour de l’école: Nour commence alors à le dissiper en soufflant. Bientôt, un camarade vient l’aider, puis toute la classe: Adam se joint au groupe. Tout se termine bien: « C’est la fête, c’est la fête ».

On peut apprécier le fait que ce soit la fille qui, énervée, ait l’énergie de chasser les nuages la première, on peut saluer l’idée que ce soit la solidarité qui vienne à bout de la tristesse des deux héros. Les illustrations sont fines, mignonnes et permettent de décrypter les émotions grâce à l’exactitude du trait. Mais tout est un peu simple et rapide : dès la première tentative, la mélancolie capitule…  Et surtout, tout est explicite, très vite, trop vite : la portée symbolique du nuage est du coup, assez réduite. De symbole, il devient signe. Cela dit, l’album, optimiste, permet sûrement, malgré tout, de mettre des mots sur un malaise persistant.

Presque ado

Presque ado
Charlotte Moundlic
Thierry Magnier, Collection Petite poche,  2011

 Mon  corps  se transforme, où me cacher ?

                                                                                                       Par Maryse Vuillermet

Raphaëlle  commence mal sa journée car la boulangère la prend pour un garçon. Et puis, deux petites boules et des poils affreux apparaissent sur son corps, elle ne sait plus où se cacher.  Pour son entrainement de handball, elle met un maillot de bain très serré qui comprime ses petits boules et un  survêtement très large qui cache tout. Mais elle ne peut dissimuler sa colère qui  jaillit  en larmes. Sa mère et son père la comprennent mais ne peuvent pas la consoler. Son entraîneur Marjorie lui parle, sa mère lui achète de belles baskets et une brassière et elle gagne son match, la  journée se termine mieux qu’elle n’a commencé, la vie n’est pas si horrible.
Un petit livre sur un sujet peu abordé qui doit parler aux fillettes.

Oeuf

Oeuf
Jerry Spinelli, traduit par Jérôme Lambert

L’école des loisirs (neuf), 2010

Vous comprendrez

par Sophie Genin

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Oeuf, c’est l’histoire d’un garçon de 9 ans qui découvre, pendant une chasse à l’oeuf, le corps d’une adolescente, Primrose, qu’il croit morte.Oeuf, c’est l’histoire d’une famille hétéroclite qu’on se choisit pour survivre.

Si vous le lisez, vous comprendrez pourquoi un certain John Frigo pense que « ce n’était pas un hasard si tous trois formaient une sorte de famille ». Vous comprendrez comment deux inconnus, perdus, l’une sans père, l’autre sans mère, peuvent devenir amis, pourquoi une tortue violette peut être un souvenir secret, pourquoi on peut traiter sa mère – une voyante du dimanche aux pieds couverts de bagues- de « dingo », pourquoi, à 13 ans, on peut choisir de dormir dans un van sans roues, malgré les oeufs écrasés sur les vitres au matin, comment chasser les vers de terre et ce qu’est le « shopping de nuit ». Vous comprendrez surtout comment la vie, de rencontres en rencontres, de surprises en surprises, peut ressusciter l’espoir.

Il y a du Anna Gavalda, du Olivier Adam et du Claudie Galay dans ce roman : écorchés vifs qui n’auraient jamais dû se croiser, ils se rencontrent, la vie fait le reste et il n’y a plus qu’à lire…