Onze ours

Onze ours
Nathalie Wyss, Pascale Breysse
L’initiale, 2019

 

Affronter ses peurs, mais pas tout seul

Par Anne-Marie Mercier

Les onze ours veillent sur l’enfant, « en peluche, en dessins, en tableaux, dans des cadres, en statuette » ; on découvre leurs noms en fin d’album : Malika Malabar, Valentine Vaillante, Colin Colosse (le plus petit), Diégo dégourdi… On peut les compter sur la couverture ou au fil des pages.
Mais ces images, doudous, etc, censés rassurer ne tiennent pas toujours face aux peurs. Celles-ci envahissent le blanc de la page, recouvrent les belles couleurs, dispersent les ours. Il faut l’intervention de la mère de l’enfant en ce cas. Elle rassure, rappelle la présence des ours tutélaires, mais on comprend que cette fiction ne tient que parce que la présence bien réelle de la mère les soutient.
Ce petit album se rattache à la collection des ouvrages philosophiques de l’Initiale (jeune maison d’édition installée à Marseille) avec son format carré. Mais il est surtout un superbe livre, aux illustrations qui mêlent délicatesse du trait et force des couleurs, les rehauts sombres à l’aquarelle tranchant sur les papiers découpés et crayonnés colorés et brillants. On peut feuilleter les premières pages sur calaméo.

Voir la fiche philo : http://linitiale.unblog.fr/peur/

 

Le Cœur de la poupée

Le Cœur de la poupée
Rafik Schami
Traduit (allemand) par Irène Franchet, illustré par Gregory Elbaz
L’école des loisirs, 2015

Poupée philosophe

Par Anne-Marie Mercier

Pour la littérature adressée aux enfants, les « objets inanimés [ont] une âme ». Ce phénomène dépasse souvent la simple animation des objets à la Toy Story. Les nombreux ours en peluche aventureux malgré eux (Michka, Otto, les ours de Où vont les bébés ? d’Elzbieta, le récent ourson Biloute…) comme la poupée d’Elena Ferrante sont autant de figures vivantes qui ne s’autonomisent que par un abandon. Les histoires d’ours et de poupées ont donc peu à voir avec les « histoires de lapin » bien vivants dont parle avec mépris Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants.

La poupée de Rafik Schami, Petitoi, est originale sous plusieurs aspects. Elle se nourrit des peurs des enfants, les goûte, les mâche. Elle guide une fillette, Nina, dans sa découverte du monde, des autres, de l’absurdité sociale. Elle lui révèle qui sont ses vrais amis (« un ami ne dénonce jamais »), l’aide à se révolter contre une maitresse injuste (« la note moins dix »). Elle la pousse à la transgression, aux fous rires, au repérage de l’absurde et des détails scatologiques. Chaque chapitre propose des situations variées dans lesquelles la poupée met la pagaille. Elle est même parfois franchement méchante. On l’aura compris, la poupée incarne l’enfant transgressif et affuté.

Mais c’est surtout une poupée philosophe.

Elle sait que les enfants viennent d’une planète autre ; c’est pour cela qu’ils parlent tous la même langue, tant qu’ils sont bébés. Les adultes sont étranges. Le pays des poupées est un pays froid : « c’est le pays de la raison et c’est pour cela que les poupées ne font jamais d’erreur – logique ». (Petitoi conclut toujours ses phrases par un « – logique ! », ça agace beaucoup Nina).

Lorsqu’elle rencontre Flo, un nouvel ami, Nina est très excitée, Petitoi s’interroge :

« Cela devait être une excitation très agréable, car on voyait bien que Nina voulait absolument demeurer dans cet état. Petitoi ne connaissait pas ça. Peut-être les êtres humains en avaient-ils besoin pour se trouver ? se demandait-elle. Peut-être qu’il leur manque à tous quelque chose et qu’ils cherchent sans cesse l’être humain qui possède cette chose ? Ca devait être beau […] Les poupées étaient parfaites ; il ne leur manquait rien. »

Petitoi se met à ressentir le désir du manque, le désir d’avoir un cœur, des émotions autres que celles qu’elle peut ressentir. La révolte de Petitoi devant la dureté du monde des humains, sa bêtise et son manque de « logique », est contrebalancée par sa mélancolie et ce désir de rejoindre sa chaleur. Le lien entre l’enfant et la poupée est une belle histoire, presque une histoire d’amour. Les pages racontant la perte de la poupée sont superbes, comme celles des retrouvailles. On rit, on s’émeut, et cette quête du cœur (comme celle de l’âme pour la petite Sirène ou de la chair pour Pinocchio ?) est une belle aventure « humaine ».

 

 

 

À quoi penses-tu ?

À quoi penses-tu ?
Laurent Moreau
Hélium, 2011

Par Lisa Dubois (master MESFC Lyon 1)

Qui ne s’est pas déjà fait questionner à ce sujet lorsque, parfois, l’on est perdu dans ses pensées, que l’on semble complètement déconnecté de la réalité dans laquelle on est : Besoin de s’évader ? Rêverie ? Petits ou gros tracas ?

Laurent Moreau, à travers ce livre, nous plonge dans cet univers poétique en nous permettant d’accéder aux pensées de personnages issus d’un environnement proche. C’est par l’intermédiaire de la légèreté de la poésie qu’il amène le lecteur, adulte ou enfant, à aborder la question de ce qu’est un sentiment, une émotion ? Nostalgie, tristesse, joie, jalousie et bien d’autres états d’esprit y sont abordés. Mais aussi, il réussi à créer, par l’intermédiaire des « flaps », un questionnement sur la différence entre le  « moi public » et le « moi privé » : Que cachent réellement les apparences ?

Le texte est court mais efficace, l’image ludique et explicite, aide le lecteur dans son cheminement de découverte et de compréhension. De ce fait, cet album peut être abordé avec les plus petits aussi bien qu’avec de plus grands pour aller de rêverie en poésie et de poésie en réflexions.