Ensemble

Ensemble
Emilie Chazerand – Amandine Piu
La Martinière Jeunesse 2024

En groupe, en ligue, en procession

Par Michel Driol

On connait bien l’adage : Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Emilie Chazerand et Amandine Piu le déclinent en une douzaine de versions. En voici quelques exemples : Seul, on compte. Ensemble on partage. Seul, on joue. Ensemble on s’amuse. Seul, on grandit. Ensemble on s’épanouit.

Une douzaine de formules percutantes, ciselées, qui disent, non sans humour, l’intérêt du vivre ensemble, du collectif, dans un monde marqué par l’individualisme. Rien de moralisateur dans l’album, tout est plutôt énoncé sur le monde du constat, invitant chaque lecteur, chaque lectrice à réfléchir sur son rapport à soi et aux autres. S’en dégage une leçon de vie qui invite à se dépasser pour aller trouver, avec les autres, un bonheur, un épanouissement, des plaisirs plus grands, plus intenses, plus profonds.

Les deux autrices livrent ici un album réussi, en particulier par l’association du texte et de l’illustration, et par le dispositif mis en œuvre. Chaque formule se déploie sur deux doubles pages. D’abord Seul : un enfant seul, page de droite, isolé au milieu d’une page blanche dans une découpe, et un objet page de gauche. Puis Ensemble : la  découpe permet de passer d’une page à l’autre, et de montrer maintenant l’enfant au milieu d’un groupe. Il n’a changé en rien, ni de tenue, ni de posture, il est le même, exactement, puisqu’il s’agit de la même illustration, mais il est entouré dès que l’on tourne la page. Quant à l’objet qui était isolé, comme en attente sur la page de gauche, le voici, une fois la page tournée, mis en évidence par la découpe, dans un autre sens, dans un autre contexte  qui, souvent, le révèle. C’est inventif, plein d’humour dans le rapport entre le texte et l’illustration, souvent surprenante, jamais simplement redondante, et cela invite à chercher, avant de tourner la page, quelle sera la formule de la page Ensemble, comme un jeu. A l’exception de deux pages, dont les « personnages » sont des fourmis et des fleurs, tous l’univers représenté est un univers enfantin. Un univers de plaisirs où l’on se cache sous une table, où l’on joue beaucoup, où l’on va à l’école, où l’on mange ! bref, où l’on vit. Une mention particulière pour la dernière illustration, qui associe le monde de la forêt, page de gauche, où humains et animaux vivent ensemble, et le monde du village, page de droite, un lieu plein d’animation, autour de son école.

Se dégage de cet album poétique une atmosphère de tendresse, de bienveillance qui fait du bien en ces temps troublés.

Un matin de rêve

Un matin de rêve
Christian Demilly – Illustrations de Clémence Pollet
HongFei 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Premier matin des vacances, un enfant – le narrateur – se souvient des petits moments de bonheur qui ont marqué la veille : le dernier jour d’école, les portes qui ne claquent pas, son anniversaire, le film qu’on a regardé à la télé… De quoi faire d’aujourd’hui un matin de rêve.

Avec une grande sobriété dans l’expression (une simple petite phrase par double page, à la manière des je me souviens de Perec, ou d’un inventaire à la Prévert), l’album touche à ces petits moments de plaisir qui constituent la vie d’un enfant. Plaisirs simples, comme le voyage où l’on ne s’ennuie pas, ou plaisirs plus coupables, comme la dispense du brossage de dents. Ces plaisirs sont illustrés dans des grands formats (page simple ou double page) montrant l’harmonie familiale – grands parents, parents et enfants –  au sein d’une nature où l’on croise quelques oiseaux dans le ciel. Mais cette lecture, à laquelle beaucoup s’arrêteront sans doute, est peut-être trop simpliciste. Le dernier souvenir est « Hier, Benjamin m’a dit qu’il m’aimait » tandis que l’image montre l’enfant heureux, yeux fermés, aux côtés de sa mère qui lui caresse tendrement les cheveux, tandis que sur le sol trainent quelques pièces de puzzle, comme une incitation faite au lecteur à rechercher les pièces éparses dans l’album et à les rassembler. Qui est Benjamin, dont la seule occurrence du prénom est dans la phrase citée plus haut ? Sans doute ce garçon au tee-shirt jaune que l’on voit avec le narrateur, dans la première page, symboliquement au centre d’une sorte de labyrinthe tracé sur le sol. Puis celui qui vient rendre visite, un ballon sous le bras. Celui avec qui le narrateur regarde un atlas, pour fêter l’anniversaire, un puzzle cadeau devant lui. Celui qui s’en va, tandis que la famille part chez les grands-parents, et que le narrateur accompagne du regard, auquel il pense peut-être dans la voiture… Quant au chouette film qui passe à la télé, c’est Titanic, avec le plan iconique des deux amoureux comme volant à l’avant du bateau… Et si tout ceci était une façon de dire l’importance d’un je t’aime pour un enfant, peut-être une façon pudique de parler d’homosexualité masculine enfantine (mais ne serait-ce pas là un peu forcer l’album), à coup sûr une façon de parler de l’amour entre deux enfants, amoureux de vivre, à coup sûr !

Un album qui traite de sujets délicats avec une infinie délicatesse pour parler du bonheur, un album qui sait en dire autant par le texte que par l’illustration, très complémentaires, un album optimiste qui dit que le bonheur est à portée de main.

Comment devenir un élève modèle

Comment devenir un élève modèle
Audrey Poussier
L’école des loisirs 2021

En 7 leçons et sans ce fatigué

Par Michel Driol

Colette et Mo adorent jouer, et détestent l’école. En 7 « leçons », ils expliquent comment être à l’heure, bien écouter en classe, ne jamais rater l’école, excuser ses absences, faire ses devoirs, être bon camarade, savoir s’adapter aux situations imprévues… Sauf que ces « leçons de sagesse » sont plutôt des façons d’échapper à l’école, de faire l’école buissonnière, de faire croire qu’on est malade, et d’écrire des mots d’excuse à l’orthographe approximative mais qui dénotent une bonne dose d’imagination !

Sous une forme qui tient à la fois de l’album et de la bande dessinée, voici un album qui réjouira tous les cancres… mais pas que ! Deux personnages pleins de vie, un frère et une sœur, malicieux, étourdis, roublards, inventifs, et, au fond, terriblement sympathiques ! Pas de parents, mais un robot  « notre petit bonhomme en chef », métaphore du père ou de la mère, et une maitresse, autoritaire, peureuse, sévère, mais amatrice de bonbons comme les enfants, qui, au fond, l’adorent. Des situations farfelues, où les mots peuvent être pris au pied de la lettre, et des illustrations pleines de gaité, comme ce costume d’école buissonnière. L’album joue sur l’antiphrase, les deux personnages se prétendant sans arrêt bons élèves, alors qu’ils démontrent le contraire dans leur comportement, leurs attitudes. Mais rien de méchant, rien de violent, juste un désir assumé de ne pas se soumettre aux règles de l’école pour vivre sa vie d’enfant, loin des contraintes qui fera sans doute rêver tous les lecteurs en leur donnant l’image du fruit défendu et en les renvoyant à leurs propres pratiques et comportements.

Tout est dit de la complicité qui unit les deux personnages et les lecteurs dans la quatrième de couv’ : sil vou plé, ne dite pas que vous zavé trouvé toute ses idées dans notre livre, on pourrai avoir de cérieux problème. Autre preuve que pour apprécier les transgressions, il faut connaitre les normes et les règles!

La  Princesse qui pue qui pète

La  Princesse qui pue qui pète
Marie Tibi – illustrations de Thierry Manes
Casterman 2020

Etre soi !

Par Michel Driol

A la différence des autres princesses, Castille n’aime ni le rose, ni les licornes… mais s’occuper des cochons du fermier voisin avec son fils Armand. Ensemble, ils font des concours de pets. Voilà qui ne plait ni au roi, ni à la reine, qui songent mariage, et font boire à Castille un élixir de mièvrerie concocté par le magicien du château. Et voici Castille métamorphosée en princesse modèle mais malheureuse si bien que les parents font revenir Armand, qui va redonner à la princesse sa joie et vivre, et ses manières antérieures.

Un titre coquin, une couverture qui nous montre une princesse qu’ on dirait sortie des petites filles modèles, mais dans une pose bien étrangère à celles-ci… Comme étonnée de ce qui lui arrive. L’album joue de l’espièglerie de l’enfance, des plaisirs de la boue et de la saleté à l’opposé des convenances et de la bienséance. Bien sûr il y est question d’éducation genrée et de rébellion contre celle-ci. Mais, avant tout, il y est question d’identité et de modèles sociaux. A quoi bon se contraindre pour leur obéir, si c’est au prix du bonheur individuel ? L’album s’inscrit donc dans un mouvement libertaire, qui vise à permettre à chacun de trouver le plaisir en étant lui-même, et qu’importent les convenances sociales ! Cette philosophie est portée par un album joyeux, vif, transgressif, comme une ode à la liberté de l’enfance. Il n’est que de voir les deux gardes, figures récurrentes, incarnation de l’ordre social prompt à s’offusquer. Invitation à s’affranchir des destins tout tracés, des barrières sociales dans un joyeux désordre libérateur, cet album s’adresse aussi aux parents, en leur suggérant de veiller avant tout au bonheur de leurs enfants.

Un album au texte simple et léger, aux illustrations pleines de drôlerie, pour donner la force d’être soi.

Le Gâteau tout seul

Le Gâteau tout seul
Isalbelle Damotte / Cathy Gagnaire
Soc et Foc 2017

Le gout des choses, le gout des mots

Par Michel Driol

Un recueil de poèmes aux titres alléchants, évocateurs  des dimanches en famille ou des gouters d’enfants : la tarte aux pommes, le flan Ancel, le riz au lait, la régionale tarte aux blettes ou l’improbable gâteau de fromage de vache et salsifis confits aux oranges sanguines. Le premier texte donne le ton : nostalgie d’un temps perdu, souvenirs émus d’une Mamie Pomme disparue, fée perdue en chemin, laissant orphelins les petits enfants, avec le poids de l’absence, à la fois si léger et si lourd : manquait le poids de trois fois rien… Mais on peut refaire les gestes appris, devenus familiers, trancher les pommes, les assembler en rosace et retrouver les émotions du passé. Le recueil dit cet entre-deux, entre transmission et absence, à partir de sensations simples, de rituels, de complicité. Le recueil dit aussi le temps qui passe, les deuils, les enfants qui grandissent et partent, la perte aussi avec ces souvenirs des gâteaux de l’enfance que l’on n’a jamais réussi à refaire, à l’identique.

Si le recueil dit l’absence et le manque, il dit aussi le désir et la gourmandise. Désir enfantin de profiter des pignons sur la tarte, ou de la cerise sur le gâteau. Le recueil parle de plaisirs partagés, plaisirs simples d’une pâtisserie familiale qui se transmet de mère en fille. Tout se joue autour de quelques pronoms : elle et tu, parfois je et vous. Elle, c’est surtout la fée grand-mère, la mère. Je et tu incarnent plutôt des figures féminines et enfantines, comme en écho, écho de l’auteur, écho du lecteur, figures de l’enfance éternelle. D’autres figures de l’attente et du public s’inscrivent aussi dans le texte : celle des grands, pour qui l’on prépare du pain perdu, au cas où ils passeraient pour le diner, grands pour qui l’on dépose sur la table les serviettes qu’ils ont d’abord noué autour de leur cou avant de les mettre sur leurs genoux. Vous enfin figure du public, réclamant pour la fin quelque chose de gai, mais hors de la portée d’une pâtissière experte en mots…

Plaisirs simples de l’enfance, situations de la vie quotidienne, parfois  plus ascétiques, comme le pain et les pâtes de fruit du pensionnat, décrits dans une langue simple, joueuse et accessible à tous : le recueil invite à profiter avec gourmandise des mystères magiques de l’instant et à se plonger dans les souvenirs. Les illustrations colorées de Cathy Gagnaire,  avec une technique mixte, prolongent en douceur cette évocation.