C’est qui les méchants ?
Stéphane Servant – Laetita Le Saux
Didier Jeunesse 2023
Délations en chaine…
Par Michel Driol
Drame au pays des animaux… La mère Michel a perdu son chat ! Pour les trois petits cochons, une chose est sûre : on le lui a volé pour le manger. Le coupable ne peut être que la grenouille à grande bouche, suggère la mouche. Elle est bête, elle sent la vase, elle ne peut qu’être coupable… Et les trois justiciers d’aplatir la grenouille, bien innocente. Suivront, dans le rôle du coupable désigné par la rumeur, innocent passé à tabac, le renard, l’ogre, la sorcière, la grand-mère, l’ours. Jusqu’au moment où c’et le tour du loup. Le loup qui a récupéré le chaton perdu et le rapporte. Alors, qui sont les vrais méchants ? C’est vous, conclut l’album, montrant les trois petits cochons.
Sur le principe des histoires en randonnée, dans lesquelles on rencontre de nombreux personnages de contes ou de fables bien reconnaissables, voici un album qui utilise les mécanismes du comique de répétition, pleinement assumé dans le texte et dans les illustrations, pour faire réfléchir aux dangers de la rumeur et de la délation. Que dire du rôle joué par les trois petits cochons ici ? Ils vont d’injustice en injustice, de personnage rossé en autre personnage rossé, sans se poser la moindre question. Ils sont à la fois désireux d’aider et de retrouver le chaton, mais aussi bien naïfs, bien dépourvus de tout esprit critique, bien prompts à suivre les accusations portées par tel ou tel et à faire justice sans réfléchir. C’est là une des subtilités de l’album, car le lecteur s’identifie à eux : ne sont-ils pas des victimes du loup dans leur propre histoire ? Ne sont-ils pas pleins de bonne volonté ? N’ont-ils pas comme mantra récurrent « Nous on est les gentils et on le punira » ? Le renversement final, montrant le loup, stigmatisé souvent comme étant le méchant, comme celui qui aide, accompagné par le texte laconique, les méchants, c’est vous, invite le lecteur à réévaluer le comportement des trois cochons et à réfléchir ses propres préjugés, à sa façon de se croire « gentil » par nature. Mais cette leçon est donnée sans effet moralisateur dans un album d’une drôlerie assez irrésistible, qui tient autant au texte qu’aux illustrations. Le texte est rythmé, fait la part belle aux dialogues et aux répétitions liées à la randonnée. Le tourne-page ménage les effets de surprise : « le méchant, c’est… ». Les illustrations humanisent les personnages par les attitudes, les vêtements, et les montrent toujours en action. Reviennent, comme un clin d’œil aux westerns, les affiches Wanted qui stigmatisent les coupables potentiels.
Un album bien jubilatoire, dont les héros sont des benêts à la fois imbéciles et sympathiques, qui utilise de façon intelligente l’intertextualité et des personnages bien connus, pour aider à s’interroger sur la délation et les dangers du suivisme.

Il y a au moins deux histoires dans Docteur Parking. La première, qui occupe les trente premières pages de ce petit roman (65 p.), évoque les surprenants remèdes que ce drôle de médecin recommande à ses patients. A vrai dire, le docteur Parking n’a pas fait d’études de médecine et c’est à la faveur d’une méprise qu’il devient le médecin le plus écouté de la ville. Le docteur Parking est docteur en lettres ; son vrai métier, c’est l’attention aux langues. Il a fui son pays en guerre pour venir s’installer dans ce coin tranquille où il espère bien consacrer tout son temps aux livres de sa bibliothèque et aux enregistrements de dialectes et d’accents locaux. Est-ce l’exercice de sa spécialité ? un trait singulier de son caractère ? en tous cas le docteur Parking sait écouter les malades qui défilent chez lui. Il a beau leur dire qu’il n’est pas docteur, il sait aussi leur parler : « Il avait une manière de dispenser [ses conseils] qui vous obligeait à les suivre ». Il devine la bonne méthode de sevrage pour un confrère alcoolique et encourage la vendeuse harcelée par son patron à changer de travail pour soigner ses maux de ventre. Cette première partie est charmante : la magie envoutante du bon docteur invite à voir le monde autrement, à le soulager de ses tensions par un code de conduite plein de bon sens et d’équilibre mais qui paraît étrange et merveilleux, tellement il est contraire à nos habitudes.