L’Amour géométrique
Victoria Kaario – Juliette Binet
Rouergue 2024
Lorsque l’enfant parait
Par Michel Driol
L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, on le sait bien, est sujet de bouleversements pour de nombreux enfants. C’est un thème abondamment traité en littérature pour la jeunesse. L’Amour géométrique l’aborde, à sa façon, par le biais du récit, page de gauche, par le biais d’illustrations très géométriques, pages de droite, fruit d’une nouvelle collaboration entre Victoria Kaario et Juliette Binet (voir le Temps est rond, au Rouergue également)
Le récit évoque d’abord le réaménagement de l’espace, la peinture de la nouvelle chambre, des bruits et des odeurs bien dérangeants pour Céleste Après un temps au parc, c’est le retour, le repas de crêpes sucrées, puis la nuit au cours de laquelle Céleste fait un drôle de rêve. Réveillée, elle réorganise à sa façon l’appartement, envahissant le salon de ses jouets, et la chambre du bébé de son linge. Retour à l’ordre, après un gros câlin, pour comprendre qu’il faut une bonne place pour les choses, et qu’il y a assez de place dans la maison.
C’est un récit facile à comprendre, très explicite, qui évoque bien les émotions, les sentiments, les actions d’une petite fille que la venue d’un petit frère inquiète, qui cherche à s’accaparer tout l’espace de peur de perdre l’amour de ses parents dans le grand chamboulement qui affecte la maison et la désorganise.
C’est bien là que les illustrations prennent le relai, pour montrer grâce à des figures géométriques l’ordre menacé par le désordre. Globalement, chaque illustration est divisée en quatre rectangles de même taille, de couleurs différentes, comme représentant quatre des pièces de la maison, dont le jaune de la chambre de Céleste. Puis on voit comment, par des triangles, les meubles sont déplacés dans el salon bleu, tandis que des triangles – agressifs – envahissent de bleu piscine le gris du bureau, devenant ainsi la nouvelle chambre du bébé. Mais ce bleu envahit sournoisement toute la maison, à l’image du futur bébé qui envahit l’esprit de Céleste. Promenade et jeux au parc, comme un chemin jaune. Retour à la maison, devenue grise, avec une grosse crêpe ronde et jaune au milieu. Des ronds, des triangles jaunes matérialisent l’envahissent de la maison par Céleste, tandis que les images finales associent les ronds, les triangles, le jaune et le bleu, pour montrer une nouvelle organisation, et correspondent à la chute du livre : Tout est en ordre, même si tout a bougé.
C’est à la fois très conceptuel, et très évocateur pour dire les bouleversements de l’espace et la stabilité de l’amour sans avoir recours aux traditionnels petits cœurs… Ces figures géométriques disent leur permanence et leur stabilité, malgré leurs réarrangement. Elles invitent aussi à l’accueil du nouveau, montrent qu’il y a place pour lui aussi. Les enfants s’étonneront sans doute de ces figures, les compareront, les exploreront… dans une démarche d’appropriation d’un art plus abstrait que ce qu’on leur propose habituellement, un art qui tient aussi, quelque part, du jeu, et ce d’autant plus que le format de l’album, ses pages cartonnées le destinent aux plus petits.
Céleste en jaune, Ernest en bleu, comme un double écho à Ernest et Célestine et à Petit Bleu, Petit jaune… Comme une façon d’inscrire ce bel et original album sous le double patronage symbolique de Gabrielle Vincent et de Leo Lionni, deux auteurs dont il partage les valeurs.